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parait cette expédition, dont on s'accordait à placer le but en Syrie. Ces suppositions étaient fortifiées par le bruit de l'arrivée prochaine à Alexandrie de Halil-Pacha, amiral de la flotte ottomane, que la Porte se proposait d'y envoyer pour prendre connaissance de l'état des choses et dont l'opinion faisait déjà l'auxiliaire du Vice-roi. Et en effet, les révoltes fréquentes d'Abdallah, la destruction toute récente, sans autorisation de Constantinople, du château de Sanour, légitimaient ces conjectures à l'ombre desquelles Méhémed - Ali s'apprêtait, contre l'aveu du Divan, à frapper un coup hardi.

Tel est le résumé des circonstances les plus importantes qui précédèrent l'ouverture de cette campagne: peu d'entreprises avaient été plus habilement préparées, et le moment était bien choisi pour la réalisation d'un plan patiemment mûri.

La Porte était affaiblie par la campagne d'Andrinople et par le traité qui avait suivi. En présence de tant de désastres et d'humiliations, l'autorité même du Sultan s'était déconsidérée, et ses efforts pour réformer un empire qu'il n'avait pu défendre ajoutaient à son impopularité. Les désordres se multipliaient. A Van, sur les frontières du Kurdistan et de la Perse, un pacha destitué avait

excité un soulèvement qui ne cédait que len-’tement à la ligue répressive des gouverneurs voisins. A Bagdad, le Pacha s'était mis en rébellion ouverte, et avait soutenu un siége de deux à trois mois avant de faire sa soumission encore récente. L'Albanie, cet inextinguible foyer de révoltes, obligeait l'Empire à une sérieuse diversion : Mustapha de Scodra, jaloux peut-être de recommencer le fameux Ali de Tébélen, s'était insurgé dans le sandjak de Yaninamême, et venait seulement de capituler; mais avec lui n'avait point capitulé l'insurrection, dont les traînées continuaient à faire explosion par toute la province. Enfin, en Syrie même, le pacha de Damas provoquait, par sa tyrannie, une sédition, était chassé de la ville et périssait assassiné. En un tel état de choses, la Porte semblait devoir difficilement se résoudre à un parti violent. Inquiète des armemens extraordinaires de Méhémed-Ali, elle avait donné ordre à son amiral Halil-Pacha de se rendre à Alexandrie pour s'assurer de ce qui s'y passait; mais, sur un contre-ordre, la flotte ottomane reprit la route des Dardanelles, au moment où l'escadre égyptienne s'apprêtait à faire voile vers les côtes de Syrie. C'est peu : la Porte se vantait d'avoir découvert en Albanie les intelligences du vice-roi d'Égypte, et

le soupçonnait d'y presser, non sans dessein, la détente de la rébellion, toujours prête et fa

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cile en ce pays; cependant elle ne prenait aucune mesure, tant il lui coûtait d'entamer une lutte ouverte avec un vassal redoutable, que ses succès avaient rendu fameux dans l'Islamisme !

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Méhémed-Ali avait donc lieu de penser que le Divan, au lieu d'envisager dans son attaque contre Abdallah une agression contre luimême, laisserait à la victoire à décider entre ses deux vizirs: vainqueur, il obtiendrait enfin les concessions qu'il avait depuis si long-temps sollicitées. D'ailleurs, il n'ignorait pas que la Syrie était pour l'Empire d'un médiocre avantage. Jamais le gouvernement n'avait osé faire de levées forcées, soit dans le pachalik d'Adana, soit dans les différens districts de la Syrie toutes les troupes qu'il en tirait s'effectuaient par des enrôlemens volontaires, et n'avaient pas excédé, depuis l'établissement du nouveau système, la valeur d'un régiment. Les versemens au trésor impérial étaient misérables. Le pachalik d'Adana fournissait un million et demi de piastres; celui d'Alep rapportait au plus trois millions, et celui de Damas était plus onéreux que productif. Dans le

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vaste pachalik d'Acre, le caprice d'Abdallah réglait le revenu et le réduisait ordinairement à peu de chose. C'est pourquoi, en cherchant à ajouter la Syrie à l'Égypte, MéhémedAli n'affaiblissait, en réalité, ni les forces militaires ni les ressources financières de la Porte: mais, grâce à son voisinage et à l'énergie de son gouvernement, il pouvait répondre de la tranquillité du pays aussi bien que de la rentrée exacte des contributions annueiles, et des lors offrir le prix de cette cession dans l'acquittement régulier du tribut. Pour lui, il ne s'agissait donc que de forcer la main au divan de Constantinople et de conquérir son consentement aux portes ou dans les murailles d'Acre.

Quant à l'Europe, Méhémed-Ali en avait sagement apprécié l'état dans l'intérêt de ses desseins. Elle venait d'être remuée par les révolutions de France, de Belgique et de Pologne, ce qui, en l'obligeant à s'occuper de ses propres affaires, laissait plus de liberté à un mouvement oriental. D'ailleurs, depuis la révolution grecque, il avait été témoin d'une conspiration de presque toutes les puissances européennes contre l'empire des Sultans, et la chute d'Alger sous les armes françaises re

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tentissait encore dans tout l'Orient. Il y a plus: * la France, avant de se résoudre à frapper elle

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même ce grand coup, avait offert au Vice-roi, sous certaines conditions, de se charger de l'expédition et de l'occupation d'Alger (1). Mé

(1) Nous croyons ne pas nous jeter dans une digression sans intérêt en donnant, à ce sujet, quelques détails encore peu connus et dont nous garantissons l'authenticité.

Méhémed-Ali avait déjà ouvert la proposition de s'emparer des régences barbaresques, et de payer à la Porte un tribut proportionné à cette occupation, lorsque, le 16 novembre 1829, M. Huder, capitaine d'état-major, arriva à Alexandrie, pour rappeler au Vice-roi sa proposition, au nom du ministère. La France s'engageait à lui prêter son concours ⚫ contre les deys d'Alger et de Tripoli, dont elle avait à se plaindre, et elle devait s'abstenir pour Tunis, où elle avait conservé des relations d'amitié avec le Dey. Méhémed-Ali accepta cette offre néanmoins, avant d'entrer en arrangement sur les conditions du concours que lui promettait la France, il voulut s'assurer de l'assentiment de la Porte. Le général Guilleminot, alors ambassadeur à Constantinople, communiqua au Divan toutes ces propositions. Il fit valoir avantage que trouverait le Sultan à substituer à un dey, indépendant et ne payant aucun tribut, un pacha de son choix, nommé par lui, et s'obligeant à payer plusieurs millions; il insista même sur la convenance d'une telle récompense en faveur de Méhémed--· Ali qui avait servi l'Empire en Morée, et se croirait payé en rétablissant l'autorité ottomane sur les côtes d'Afrique. Mais, surtout, il déclara énergiquement que, si la Porte ne consentait pas à charger un musulman de l'expédition d'Alger, la France n'hésiterait pas à poursuivre elle-même la répa ration d'une injure personnelle, et que, dès lors, la possession serait le résultat immédiat et inévitable de la conquête. Cette déclaration est restée comme une fin de non-recevoir toujours opposable aux réclamations de l'Empire. La Porte était disposée à consentir, lorsque l'Angleterre l'arrêta. L'Angleterre lui insinua que la puissance de Méhémed-Ali était

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