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Adieu, Monsieur; aimez-moi toujours. Il me semble que je vois votre prélat de plus en plus satisfait de vous. Quoiqu'il ait été à Paris assez longtemps, il a peu paru ici. Dieu veuille nous faire selon son cœur, et non selon le nôtre; car nous serions trop pervers et trop pleins de petites choses.

A Versailles, ce 6 juillet 1677.

LETTRE L.

A M. LE ROI, ABBÉ DE HAUTE-FONTAINE (1).

Il exhorte cet abbé à ne point publier sa réponse à la lettre que M. de Rancé avoit écrite contre sa Dissertation sur certaines pénitences usitées à la Trappe, qui paroissoient autoriser le mensonge.

Je ne sais par quel accident il est arrivé que j'aie reçu votre écrit, sur la lettre de M. l'abbé de la

(1) Guillaume le Roi, abbé de Haute-Fontaine, prêtre aussi recommandable par sa piété que par son savoir, avoit des liaisons très-étroites avec le célèbre M. de Rancé, abbé de la Trappe. Quoique pénétré pour sa personne de tous les sentimens dus à son mérite, il ne put s'empêcher de lui témoigner son improbation pour une pratique usitée à la Trappe. On y étoit dans l'usage, sous prétexte d'humilier et de mortifier les religieux, de leur imposer des pénitences, souvent fort rudes, pour des fautes qu'ils n'avoient point commises, et qu'on leur imputoit, sans même qu'il leur fût permis de se justifier. On croyoit leur rendre service et honorer Dieu, en leur attribuant, par une pieuse fiction, des défauts que rien ne manifestoit au dehors. L'abbé de Haute-Fontaine témoigna combien ces sortes de fictions lui paroissoient contraires à la vérité et à la charité. L'abbé de la Trappe et dom Rigobert, qui prétendoient s'appuyer de l'autorité de saint Jean

Trappe (1), plus tard que vous ne l'aviez ordonné. Il m'a enfin été remis; et j'ai été fort édifié des sentimens d'humilité, de charité et de modestie que Dieu vous a inspirés en cette occasion.

Je reconnois avec vous qu'on ne peut vous condamner sans avoir vu la Dissertation, qui a donné Heu à la lettre; et ceux qui ne l'ont pas vue, n'ayant Climaque, répondirent qu'ils regardoient cette pratique «< comme » un point capital, pour faire acquérir aux religieux la perfection » de leur état (*) ». M. le Roi leur allégua contre ce sentiment beaucoup de raisons, qu'ils le prièrent de mettre par écrit. Il le fit dans un ouvrage qu'il intitula: Lettre à un abbé régulier, ou Dissertation sur le sujet des humiliations, et autres pratiques de religion. Cette Dissertation, quoique très-solide et très-sage, déplut à l'abbé de la Trappe, qui s'imagina que l'auteur accusoit lui et son monastère d'aimer les mensonges et les équivoques. Rien n'étoit cependant plus éloigué de la pensée de M. le Roi, qui n'attribuoit qu'à un zèle indiscret ou peu réfléchi la conduite qu'il blâmoit. La dispute s'échauffa. M. de Rancé entreprit de réfuter l'écrit de M. le Roi par une longue lettre qu'il adressa à M. Vialart, évêque de Châlons, dans laquelle il laissa échapper beaucoup de traits de vivacité contre l'auteur de la Dissertation. L'évêque de Châlons communiqua sa lettre à M. l'abbé de Haute-Fontaine, qui se borna à y faire des apostilles, après quoi il la renvoya au prélat. Cette affaire n'auroit pas eu d'autres suites, si l'abbé de la Trappe n'avoit donné des copies de sa lettre : elle devint bientôt publique par l'impression, quoiqu'à l'insu et contre la volonté de l'auteur, qui le déclara ainsi à M. le Roi, dans une lettre du 14 avril 1677. L'abbé de Haute-Fontaine se sentit alors pressé de faire imprimer sa Dissertation. Néanmoins la crainte de préjudicier à la réputation du respectable réformateur le retint; et avant de prendre aucun parti, il voulut consulter ses amis les plus sages et les plus éclairés. Bossuet fut de ce nombre. Ce prélat lui conseilla de ne point répondre à l'abbé de la Trappe.

(1) Il s'agit d'un éclaircissement donné par M. le Roi, sur la lettre de M. l'abbé de la Trappe contre sa Dissertation.

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(*) Lettre de M. le Roi à M. Nicole, du 14 septembre 1673.

aucune raison de vous blâmer, doivent présumer pour votre innocence.

Sans juger ce qu'il y a ici de personnel, il y a sujet de louer Dieu de ce que vous et M. l'abbé êtes d'accord dans le fond; puisqu'il convient que les corrections fondées sur le mensonge, n'ont point de lieu parmi les Chrétiens; et que vous avouez aussi qu'on ne peut avec raison, rejeter celles qui se fondent sur des fautes présumées par quelque appa

rence.

Ainsi la vérité ne souffre point dans votre contestation; et il me semble aussi, Monsieur, jusqu'ici que la charité n'y est point blessée.

Si M. l'abbé de la Trappe vous a imputé, comme vous le dites, un sentiment que vous n'avez pas (1); vous-même vous ne croyez pas qu'il l'ait fait dans le dessein de vous nuire; et tout au plus, il se pourroit faire qu'il auroit mal pris votre pensée; erreur qui, après tout, est fort excusable.

Les paroles fortes et rudes dont il se sert dans sa lettre, ne tombent donc pas sur vous; mais sur une opinion que vous jugez fausse et dangereuse aussi bien que lui.

Quant à l'impression, vous croyez sur sa parole qu'il n'y a point eu de part; et je puis vous assurer que l'affaire s'est engagée par des conjonctures dont il n'a pas été le maître.

J'avois vu sa lettre manuscrite, parce qu'elle

(1) L'abbé de la Trappe disoit que l'opinion de M. le Roi tendoit à ruiner les pratiques de pénitence, usitées dans les plus saints monastères; et pour me servir de son expression, alloit à ravager la Thebaïde.

s'étoit répandue sans la participation de M. l'abbé : et le récit, que m'ont fait des personnes très-sincères, de tout ce qui s'est passé, m'a convaincu que l'impression étoit inévitable.

Une chose qui s'est faite sans dessein, et par un accident qui ne pouvoit être ni prévu ni empêché, n'a pas dû offenser un homme aussi équitable que vous, et aussi solidement chrétien.

Et en effet, votre écrit, plein de sentimens charitables, ne montre en vous, Monsieur, aucune aigreur; mais il me semble seulement que vous croyez trop que M. l'abbé a tort.

Ce que je viens de dire en toute sincérité, et avec une certaine connoissance, vous doit persuader qu'il 'n'en a aucun. Et pour moi, je crois, Monsieur, que Dieu a permis la publication de cet écrit; afin que l'Eglise fût édifiée par un discours où toute la sainteté, toute la vigueur et toute la sévérité de l'ancienne discipline monastique est ramassée.

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J'ai lu et relu cette sainte lettre; et toutes les fois que je l'ai lue, il m'a semblé, Monsieur, que je voyois revivre en nos jours l'esprit de ces anciens moines, dont le monde n'étoit pas digne; et cette prudence céleste des anciens abbés, ennemie de la prudence de la chair, qui traite par des principes, et avec une méthode si sûre, les maux de la nature humaine.

Laissez donc courir cette lettre, puisque Dieu a permis qu'elle vît le jour. Il arrivera, sans doute, qu'elle donnera occasion de blâmer et vous et M. l'abbé de la Trappe; vous, qu'on verra accusé par un si saint homme; et lui, pour avoir accusé si sévè,

rement un ami, dont le nom est grand parmi les gens de piété et de savoir.

Mais si vous demeurez tous deux en repos, et que vous, Monsieur, en particulier, qui êtes ici l'attaqué, méprisiez les discours des hommes, en l'honneur de celui qui, étant la sagesse même, n'a pas dédaigné d'être l'objet de leur moquerie, ces blâmes se tourneront en louanges et en édification, et même bientôt.

Ainsi, loin d'être d'avis que la Dissertation soit imprimée, je ne puis assez louer la résolution où vous êtes de communiquer vos réflexions à très-peu de personnes; et je me sens fort obligé de ce que vous avez voulu que je fusse de ce nombre.

Les réflexions, Monsieur, toutes modestes qu'elles sont, sont tournées d'une manière à vouloir qu'on donne un grand tort à M. l'abbé de la Trappe, et un tort certainement qu'il n'a pas ; puisqu'il n'a aucune part aux copies qui ont couru de sa lettre en manuscrit, ni à l'impression qui s'en est faite.

Pour ce qui est de la Dissertation, de quelque part qu'elle fût imprimée, soit de la sienne, soit de la vôtre, elle ne peut plus servir qu'à montrer un esprit de contestation, parmi des personnes qui ont la paix et la charité dans le fond du cœur.

Pardonnez-moi, Monsieur, la liberté que je prends de vous dire mes pensées : je vous assure que je le fais sans aucune partialité, et dans le dessein de servir également les uns et les autres. Quand vous ne direz mot, votre humilité et votre silence parleront pour vous, et devant Dieu et devant les hommes.

Permettez-moi encore un mot sur ce que vous dites des prosternemens pour fautes légères. J'avoue

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