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confirmer ce que nous ferons, et changer en bulles les décrets de l'Inquisition, dont l'autorité, comme vous savez, ne fait pas loi ici de sorte que notre intention est de préparer la voie à une décision qui nous donne ici la paix, et y affermisse éternellement la règle des mœurs. Je suis tout à vous.

A Paris, ce 6 mars 1682.

LETTRE XCVI.

A M. DE RANCE, ABBÉ DE LA TRAPPE.

Il parle d'un ouvrage de cet abbé, déplore la corruption du siècle, et témoigne de grands sentimens de religion.

On a mis, il y a déjà assez long-temps, entre mes mains, l'ouvrage (1) dont vous me parlez, Monsieur. L'assemblée m'avoit chargé de l'examen de la morale; et une occupation si importante, et d'ailleurs si vaste, remplissoit tout mon temps. Depuis la séparation de l'assemblée, j'ai commencé cette lecture; et j'avoue qu'en sortant des relâchemens honteux et des ordures des Casuistes, il me falloit consoler par ces idées célestes de la vie des solitaires et des cénobites. J'espère achever dans peu cette lecture je la fais avec une sensible consolation.

Je ressens avec vous notre siècle très-éloigné, et

(1) Le livre de la Sainteté et des Devoirs de la Vie monastique, que M. de Rancé publia l'année suivante.

peut-être très-peu capable de ces instructions célestes, si naturelles au christianisme, si éloignées de l'esprit des chrétiens d'aujourd'hui. Qui sait si ce n'est point, dans un siècle si corrompu, jeter les perles devant les pourceaux, que de montrer au siècle, et même aux religieux d'aujourd'hui, ces maximes évangéliques, que vous avez recueillies pour l'instruction de vos frères? Qui sait aussi si ce n'est point le conseil de Dieu, que ce levain renouvelle la masse corrompue? Je vous en dirai mon sentiment en toute sincérité, quand j'aurai tout lu; et comme je reprends, après la séparation de l'assemblée, le .dessein que vous aviez agréé de vous aller voir, nous pourrons traiter tout cela ensemble.

Priez Dieu qu'allant tout de bon commencer mes fonctions dans mon diocèse, je commence une vie chrétienne et épiscopale, et que je ne scandalise pas du moins le troupeau dont je devrois être la forme et le modèle. Je suis, en la charité de notre Seigneur, Monsieur.

A Paris, ce 8 juillet 1682.

LETTRE XCVII.

A M. DIROIS, DOCTEUR DE SORBONNE.

Sur le projet de Censure et le Corps de Doctrine, qu'il avoit été chargé de dresser par l'Assemblée, et sur la manière dont on devoit procéder à l'égard des différentes propositions qui méritoient d'être censurées.

COMME je sais, Monsieur, que M. l'archevêque de Rheims a envoyé à monseigneur le cardinal d'Estrées les propositions que nous devions censurer, je ne doute point que vous ne les ayez déjà vues, et je suis bien aise de vous dire quel étoit notre projet.

On m'avoit chargé, dans la commission, de faire un projet de Censure, et un de Doctrine pour l'opposer aux Propositions censurées. Nous prétendions par-là donner une pleine instruction à nos prêtres contre ces damnables doctrines, dont presque tous les livres de morale sont infectés depuis près de cent ans. Notre intention étoit d'envoyer le tout au Pape, principalement la Censure, pour en demander la confirmation à sa Sainteté, et la supplier de nous la donner, ou en tout cas de censurer les propositions par une bulle en forme, que nous eussions reçue avec toutes les marques de respect qu'on peut jamais rendre au saint Siége. Nous avions réduit en chapitres les propositions pour une plus grande commodité. Les qualifications projetées étoient fortes, mais modérées, et sans rien outrer, soutenues presque toutes par des passages précis de l'Ecriture, et par une doctrine qui eût éclairé l'esprit; c'étoit

du moins le dessein : le Corps de Doctrine eût achevé ce que la Censure seule n'auroit pas pu faire.

Parmi les propositions condamnées, nous avions mis toutes celles qu'Innocent XI a proscrites; et de celles comprises dans la censure d'Alexandre VII, nous n'en avions omis que quelques-unes, ou qui n'étoient point de nos mœurs, ou que nous ne jugions pas à propos d'étaler ici aux hérétiques, qui en auroient fait des sujets de raillerie : mais nous eussions expressément déclaré que nous ne les improuvions pas moins que les autres. Ainsi on eût censuré sans hésiter toutes les propositions déjà censurées par les Papes; et les mots Propositiones examinandæ, n'alloient pas à révoquer en doute la condamnation de ces propositions, mais seulement à examiner les qualifications de chacune d'elles. Celles de la probabilité sont construites de manière qu'on en renversoit premièrement les fondemens; ensuite on l'attaquoit en elle-même; puis on en réprouvoit les conséquences. Les qualifications eussent expliqué le sens précis dans lequel on les condamnoit, et eussent découvert la malignité de chaque proposition.

Par exemple, sur la règle In dubiis tutius, on eût déclaré qu'on ne condamnoit pas le mépris du tutius, en tant qu'il enchérit simplement sur le tutum; mais en tant qu'il lui est opposé; ainsi on mettoit à couvert la doctrine de saint Antonin dont on abuse, et on établissoit le vrai sens de la règle, selon la doctrine des papes et des docteurs approuvés; et même celle de saint Antonin, dont les auteurs de la probabilité ont non-seulement détourné le sens, mais encore

falsifié et tronqué le texte. On n'eût pas pu s'empêcher de marquer qu'on désiroit sur ces matières un décret dans une autre forme que celle du décret qui a paru; car vous savez qu'on ne peut jamais reconnoître ici le tribunal de l'Inquisition; mais on l'eût fait avec tout le respect convenable, et seulement pour ne point donner un titre contre nous. Par égard pour un décret d'Alexandre VII (1), on se seroit abstenu de qualifier la proposition qui rejette de la pénitence le commencement d'amour : mais on auroit déclaré qu'on embrasse le sentiment contraire, et on auroit supplié Sa Sainteté de censurer la doctrine qui nie la nécessité de cet amour.

Voilà le projet qui apparemment eût été suivi; puisqu'on en étoit déjà convenu avec M. de Paris (2), et avec les meilleures têtes de l'assemblée. C'est dé quoi j'ai cru devoir vous instruire; afin que vous puissiez en rendre compte à Son Eminence, et vous servir de ce dessein, autant que vous le pourrez, pour exciter les prélats de la Cour de Rome à achever l'ouvrage d'Alexandre VII et d'Innocent XI. Car encore que ce qu'ont fait ces deux papes soit grand, ce n'est rien faire que de laisser soupirer encore la probabilité, déjà entamée, à la vérité, mais toujours venimeuse, quoique traînante, et qui bientôt se rétablira si on ne l'achève. Ce n'est rien aussi de censurer par des décrets conçus dans l'Inquisition:

(1) Ce décret est du 5 mai 1667; et le Pape y défendoit de condamner la doctrine qui rejette la nécessité d'un commencement d'amour de Dieu, pour être réconcilié avec lui dans le sacrement de Pénitence.

(2) De Harlay.

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