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vie éternelle. Le sang de Jésus-Christ ayant abondamment coulé sur leurs ames par ces sources fécondes des sacremens, ils peuvent hardiment soutenir l'aspect de leur juge, qui, tout rigoureux qu'il est aux pécheurs, ne trouve rien à condamner où il voit les traces du sang de son fils.

C'est à ceux qui ont perdu de tels morts, que saint Augustin, en suivant l'apôtre, permet véritablement de s'affliger; mais d'une douleur qui puisse être aisément guérie: il leur permet de verser des pleurs, mais qui soient bientôt essuyés par la foi et par l'espérance (1). Et il me semble que c'est à vous que ces paroles sont adressées : car souffrez que je rappelle en votre mémoire de quelle sorte notre illustre mort a participé aux saints sacremens. A-t-il été de ceux à qui il les faut faire recevoir par force, qui s'imaginent hâter leur mort quand ils pensent à leur confession, qui attendent à se reconnoître quand ils perdent la connoissance? Il a été lui-même au-devant; il s'est préparé à la mort avant le commencement de sa maladie. Il n'a pas imité ces lâches Chrétiens qui attendent que les médecins les aient condamnés, pour se faire absoudre par les prêtres; et qui méprisent si fort leur ame, qu'ils ne pensent à la sauver que lorsque le corps est désespéré : bien loin d'attendre la condamnation, il a prévenu même la menace, et sa confession générale a été non-seulement devant le danger, mais encore devant le mal.

Ce n'est pas à moi de vous dire ce que peuvent les (1) Serm. CLXXII, n. 3; tom. v, col. 828.

sacremens reçus de la sorte; toute l'Eglise vous le dit assez et saint Augustin, qui tremble pour les pécheurs qui attendent à se convertir à l'extrémité de la vie, ne craint pas de nous assurer de la réconciliation de ceux qui se préparent à la recevoir pendant la santé (1). Rendons grâces à Dieu, Madame, de ce qu'il a inspiré cette pensée à feu M. le M., de ce que depuis tant d'années il l'avertissoit si souvent par les maladies dont il le frappoit; et que non-seulement il l'avertissoit, mais qu'il lui faisoit sentir dans le cœur ces salutaires avertisse

mens.

Mais pourrions-nous oublier ici la manière dont il l'a ôté de ce monde, et ce jugement si net et si tranquille qu'il lui a laissé jusqu'à la mort, afin qu'il n'y eût pas un moment qu'il ne pût faire profiter pour l'éternité? C'est, Madame, la fin d'un prédestiné. Il voyoit la mort s'avancer à lui; il la sentoit venir pas à pas; il a communié dans cette créance il a repassé ses ans écoulés, comme un homme qui se préparoit à paroître devant son juge pour y rendre compte de ses actions : il a reconnu ses péchés; et quand on lui a demandé s'il n'imploroit pas la miséricorde divine pour en obtenir le pardon, ce oui salutaire qu'il a répondu ne lui a pas été arraché à force de lui crier aux oreilles ; c'est lui-même, de son plein gré, qui, d'un sens rassis et d'un cœur humilié devant Dieu, lui confessant ses iniquités, lui en a demandé pardon par le mérite du sang de son Fils, dont il a adoré la vertu présente dans l'usage de ses sacremens. Tout cela ne (1) Serm. CCCXCI; tom. v, col. 1507.

vous dit-il pas qu'il est de ces morts mille fois heureux qui meurent en notre Seigneur; et qu'étant sorti avec ses livrées, le nom de Jésus-Christ à la bouche; le Père le reconnoissant à ces belles marques pour l'une des brebis de son Fils, l'aura jugé à son tribunal selon ses grandes miséricordes ?

Je ne vous parle ici, Madame, que de ce qu'il a fait en mourant : mais si je voulois vous représenter les bonnes actions de sa vie, desquelles j'ai été le témoin, quand aurois-je achevé cette lettre? Trouvez bon seulement que je vous fasse ressouvenir de sa tendresse paternelle pour les pauvres peuples; c'est le plus bel endroit de sa vie, et que les vrais chrétiens estimeront plus que la gloire de tant de victoires qu'il a remportées. Nous lisons dans la sainte Ecriture une chose remarquable de Néhémias. Ce grand homme étant envoyé pour régir le peuple de Dieu en Jérusalem, il nous a raconté lui-même, dans l'histoire qu'il a composée de son gouvernement, qu'il n'avoit point foulé le peuple comme les autres gouverneurs, (ce sont les propres mots dont il se sert,) qu'il s'étoit même relâché de ce qui lui étoit dû légitimement; qu'il n'avoit jamais épargné ses soins; et qu'il avoit employé son autorité à faire vivre le peuple en repos, à faire fleurir la religion, à faire régner la justice (1); après quoi il ajoute ces paroles : « Seigneur, souvenez-vous de » moi en bien, selon le bien que j'ai fait à ce peu»ple (2) ». C'est qu'il savoit, Madame, que, de toutes les bonnes œuvres qui montent devant la face de Dieu, il n'y en a point qui lui plaisent plus (1) II. Esdr. v. 15.- (2) Ibid. 19.

que celles qui soulagent les misérables, et qui soutiennent l'opprimé qui est sans appui. Il savoit que ce Dieu, dont la nature est si bienfaisante, se souvient, en son bon plaisir, de ceux qui se rendent semblables à lui, en imitant ses miséricordes. Puisque M. le M. a gouverné les peuples dans le sentiment et dans l'esprit de Néhémias, nous avons juste sujet de croire qu'il aura eu part à sa récompense; et que Dieu, se souvenant de lui en bien, aura oublié ses péchés.

Consolez-vous, Madame, dans cette pensée; et ne songez pas tellement à la sévérité de ses jugemens, que vous n'ayez dans l'esprit ses grandes et infinies miséricordes. S'il nous vouloit juger en rigueur, nulle créature vivante ne pourroit paroître devant sa face; c'est pourquoi ce bon Père, sachant notre foiblesse, nous a lui-même donné les moyens de nous mettre à couvert de ses jugemens. Il a dit, comme vous remarquez, qu'il jugeroit les justices (1); mais il a dit aussi qu'il feroit miséricorde aux miséricordieux (2): et quoique nos péchés les plus secrets ne puissent échapper les regards de cet œil qui sonde le fond des cœurs; néanmoins la charité les lui couvre : elle couvre non-seulement quelques péchés, mais encore la multitude des péchés (3).

M. le M. a été bienfaisant dans cette pensée; et quoique sa générosité naturelle, dont le fonds étoit inépuisable, le portât assez à faire du bien, il ne l'en a pas crue toute seule; il a voulu la relever par des sentimens chrétiens : il a pensé à se faire des amis qui le pussent recevoir un jour dans les tabernacles · (2) Matt. v. 7. — (3) 1, Petr. 1v. 8.

(1) Ps. LXXIV. 3.

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éternels; et je ne puis me ressouvenir des belles choses qu'il m'a dites sur ce sujet-là, sans en avoir le cœur attendri. C'est, Madame, ce qui me persuade, et ce qui me persuade fortement, que Dieu l'aura jugé selon ses bontés : c'est pourquoi il l'a frappé, parce qu'il ne vouloit pas le frapper je veux dire, qu'il ne l'a pas épargné en cette vie, parce qu'il vouloit l'épargner en l'autre. Vous savez les peines d'esprit et de corps qui l'ont suivi jusqu'au tombeau, sans lui donner aucun relâche. Dieu a voulu, Madame, que vous et ses fidèles serviteurs eussent la consolation de voir, qu'il n'étoit pas du nombre de ceux qui ont reçu leur récompense en ce monde. Il a crié à Dieu dans l'affliction et dans la douleur; lorsque sa main s'est appesantie sur lui, il lui a fait un sacrifice des souffrances qu'il lui envoyoit. Je ne puis assez vous dire, Madame, combien ces prières lui sont agréables, et la force qu'elles ont pour expier tout ce qui se mêle en nous de foiblesse humaine parmi les douleurs violentes. Il est donc avec Jésus-Christ, il est avec les esprits célestes; ou, si quelque reste de péché le sépare pour un temps de leur compagnie, il a du moins ceci de commun avec eux, qu'il jouit de cette bienheureuse assurance qui fait la principale partie de leur félicité, parce qu'elle établit solidement leur repos.

Que s'il est en repos, Madame, il est juste aussi que vous y soyez. Je sais bien que vous n'avez pas une certitude infaillible; ce repos est réservé pour la vie future, où la vérité découverte ne laissera plus aucun nuage qui puisse obscurcir nos connoissances: mais les fidèles qui sont en terre ne laissent

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