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nécessaire de toutes; parce que le fondement le plus clair et le plus essentiel contre la nouvelle morale, c'est qu'elle est nouvelle, n'y ayant rien de plus contraire à la doctrine chrétienne que ce qui est nouveau et inouï. On auroit pourtant expliqué que les modernes doivent être ouïs, lorsqu'il s'agit d'expliquer de nouvelles lois qu'auroit faites l'Eglise. Mais cependant on poseroit comme un fondement certain, que lorsqu'il s'agit d'expliquer les principes de la morale chrétienne et ses dogmes essentiels, tout ce qui ne paroît point dans la tradition de tous les siècles, et principalement dans l'antiquité, est dès-là non-seulement suspect; mais mauvais et condamnable; et c'est le principal fondement sur lequel tous les saints Pères, et les papes plus que les autres, ont condamné les fausses doctrines, n'y ayant jamais eu rien de plus odieux à l'Eglise romaine que les nouveautés. S'il falloit toujours trouver dans l'Ecriture et dans les Pères des passages contraires aux doctrines qu'on voudroit condamner, ce seroit donner trop d'avantage à ceux qui inventent des choses dont on ne s'est jamais avisé, et qu'on n'a garde par conséquent de trouver combattues dans les anciens de sorte qu'il n'y a rien de plus nécessaire que de les rejeter, précisément comme nouvelles et inouïes; la vérité ne pouvant jamais l'être dans l'Eglise. C'est pourquoi les propositions cxiv et les suivantes jusqu'à la cxix, ne peuvent être oubliées sans prévariquer. La cxix attaque directement la source du mal, qui vient uniquement de ce qu'on a cru qu'il étoit permis de consulter la seule raison dans les matières de morale; comme si nous étions

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encore dans l'école des philosophes, et non pas dans celle de Jésus-Christ.

Voilà, Monsieur, les raisons que nous avons eues de mettre tant de propositions (1); et le concile de Trente, qui en a tant condamné, nous a montré l'exemple d'attaquer l'erreur en elle-même, dans ses principes et dans ses conséquences, c'est-à-dire, en un mot, dans toute son étendue ; de peur qu'elle ne revive par aucun endroit.

Je donnerai ordre en arrivant qu'on remette entre les mains de M. de la Bruière les soixante pistoles que M. l'abbé de la Fageolle a déboursées pour moi, dont je lui rends grâces de tout mon cœur.

Je vous remercie aussi, Monsieur, avec la même affection, du soin que vous prenez de me représenter si bien l'état de Rome. Il est bon d'en être instruit: je profiterai, autant que je le pourrai, de ce que vous m'en dites.

Je prendrai la liberté d'envoyer à Son Eminence deux petits traités (2), que j'ai depuis peu mis au jour contre nos hérétiques; afin de joindre l'instruction aux édits par lesquels le Roi les rend attentifs : on les donnera à M. de la Bruière pour prochain.

l'ordinaire

Je ne vous recommande point la discrétion : quoique je vous écrive sans précaution, vous saurez

(1) Les propositions dont Bossuet parle dans cettre lettre, sont, pour la plupart, les mêmes qui furent condamnées dans l'assemblée de 1700.

(2) La Conférence avec le ministre Claude, et la Réponse à un Ecrit de ce ministre, avec le Traité de la Communion sous les deux es pèces, qui parurent en 1682.

bien me ménager. Je suis à vous de tout mon

cœur.

A Versailles, ce 28 octobre 1682.

P. S. J'oubliois l'un des articles principaux, qui est celui de l'indépendance de la temporalité des rois. Il ne faut plus que condamner cet article pour achever de tout perdre. Quelle espérance peut-on avoir de ramener jamais les princes du Nord, et de convertir les rois infidèles, s'ils ne peuvent se faire catholiques sans se donner un maître, qui puisse les déposséder quand il lui plaira? Cependant je vois par votre lettre, et par toutes les précédentes, que c'est sur quoi Rome s'émeut le plus. Au reste, je voudrois bien que vous me disiez comment vous conciliez cet article avec ce qui a été fait contre les empereurs, par les papes et dans les conciles; afin de voir si les moyens dont je me sers pour cela sont les mêmes que vous employez, et pouvoir profiter de vos lumières.

On m'a dit que l'Inquisition avoit condamné le sens favorable à cette indépendance, que quelques docteurs de la Faculté de théologie de Paris avoient donné au serment d'Angleterre (1). On perdra tout

(1) C'est le nouveau serment que Jacques I.er exigea des Catholiques, après la conjuration des Poudres. La formule en fut dressée par Bancroft, archevêque de Cantorberi, qui se fit aider dans ce travail par un Jésuite apostat, nommé Perkins. Elle renfermoit non-seulement une protestation d'obéissance et de fidélité au Roi, mais encore une déclaration positive contre le pouvoir attribué aux papes, de déposer les rois, et de délier leurs sujets de la fidélité qu'ils leur doivent. On y déclaroit aussi qu'on détestoit comme impie et hérétique la doctrine qui enseigne, que les princes excommuniés ou déposés par le Pape peuvent être déposés ou tués par

par

par ces hauteurs: Dieu veuille donner des bornes à ces excès. Ce n'est pas par ces moyens qu'on rétablira l'autorité du saint Siége. Personne ne souhaite plus que moi de la voir grande et élevée : elle ne le fut jamais tant au fond que sous saint Léon, saint Grégoire et les autres, qui ne songeoient pas à une telle domination. La force, la fermeté, la vigueur, se trouvent dans ces grands papes: tout le monde étoit à genoux quand ils parloient: ils pouvoient tout dans l'Eglise, parce qu'ils mettoient la règle pour eux. Mais, selon que vous m'écrivez, je vois bien qu'il ne faut guère espérer cela. Accommodonsnous au temps: mais sans blesser la vérité, et sans jeter encore de nouvelles entraves aux siècles futurs.

La vérité est pour nous: Dieu est puissant, et il faut croire, contra spem in spem, qu'il ne la laissera pas éteindre dans son Eglise.

leurs sujets. Il n'étoit question, en aucune sorte, dans cette formule, ni de la suprématie que les rois d'Angleterre se sont attribuée, ni de la juridiction spirituelle. Jacques I.er ne voulut pas qu'on en fit mention, et il déclara que son intention étoit uniquement d'obliger les Catholiques à une obéissance civile, sans toucher à la religion. Cependant, ce serment fut parmi eux une occasion de longues disputes. Le pape Paul V donna en 1606 et 1607 deux brefs qui défendoient aux Catholiques de faire le serment exigé; et il en vint jusqu'à déposer l'archiprêtre Blackwell, parce qu'après avoir prêté le serment de fidélité, il persévéroit à en soutenir la légitimité.

BOSSUET. XXXVII.

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LETTRE XCIX.

A M. DE RANCÉ, ABBÉ DE LA TRAPPE.

Sur l'ouvrage de cet abbé, les deux oraisons funèbres du prélat, et les fàcheuses dispositions du Pape.

JE pars pour Meaux à l'instant. J'ai écrit à M. de Grenoble : j'ai laissé le livre (1) bien empaqueté en main sûre, avec bon ordre de l'envoyer à Grenoble aussitôt que nous aurons l'adresse de ce prélat. Quand nous saurons son sentiment, nous procéderons à l'impression sans retardement, et je mettrai l'affaire en train. Je vous enverrai de Meaux toutes mes remarques. On ne peut avoir un plus grand désir que celui que j'ai de voir publier tant de saintes et adorables vérités, capables de renouveler l'ordre monastique, d'enflammer l'ordre ecclésiastique, et d'exciter les laïques à la pénitence et à la perfection chrétienne, si nous n'endurcissions volontairement nos cœurs. J'ai laissé ordre pour vous envoyer la Conference (2), et en même temps pour envoyerà M. Maine deux oraisons funèbres (3), qui, parce qu'elles font voir le néant du monde, peuvent avoir place parmi les livres d'un solitaire, et qu'en tous cas il peut regarder comme deux têtes de mort assez touchantes.

(1) Il s'agit de l'ouvrage intitulé, De la Sainteté et des Devoirs de la Vie monastique, qui fut publié l'année suivante.

(2) Avec le ministre Claude.

(3) De Henriette de France, reine de la Grande-Bretagne, et de Henriette d'Angleterre, duchesse d'Orléans.

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