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pas d'avoir leur repos, par l'espérance qu'ils ont de rejoindre au ciel ceux dont ils regrettent la perte. Et cette espérance est si bien fondée, quand on a les belles marques que vous avez vues, que l'Ecriture, qui ne ment jamais, ne craint pas de nous assurer qu'elle doit faire cesser nos inquiétudes, et même nous donner de la joie. C'est ce repos, Madame, que je vous conseille de prendre; et cependant nous admirerons qu'après tant de temps écoulé, votre douleur demeure si vive, que vous ayez encore besoin d'être consolée. On voit peu d'exemples pareils; mais aussi ne voit-on pas souvent une amitié si ferme, ni une fidélité si rare que la vôtre.

Mais je passe encore plus loin; et j'avoue que votre douleur naissant des pensées de l'éternité, le temps ne doit pas lui donner d'atteinte. Qu'elle ne cède donc pas au temps; mais qu'elle se laisse guérir par la vérité éternelle, et par la doctrine de son Evangile. Voyant durer vos inquiétudes, j'ai cru que le service que je vous dois m'obligeoit à vous la représenter selon que Dieu me l'a fait connoître. Si j'ai touché un peu rudement l'endroit où vous êtes blessée; c'est-à-dire, si je n'ai pas assez épargné votre douleur, je vous supplie de le pardonner à l'opinion que j'ai de votre constance.

Je suis, etc.

LETTRE

LETTRE IX.

AU MARECHAL DE BELLEFONDS (1).

Sur sa disgrâce, et la manière dont il devoit la recevoir.

Je ne veux point vous représenter, Monsieur, combien je sens vivement la perte que je fais en vous perdant; je ne songe qu'à vous regarder vous-même dans un état de douleur extrême, de vous être trouvé dans des conjonctures, où vous avez cru ne pouvoir vous empêcher de déplaire au Roi. Ce n'est

(1) Bernard Gigault, marquis de Bellefonds, un des meilleurs généraux de son siècle, qui signala, par une multitude de beaux exploits, ses vertus militaires. Quoique revêtu de toutes les dignités qui peuvent illustrer un grand personnage, il fut encore plus distingué par sa religion et sa haute piété, que par les charges et les emplois qu'il remplit. Malgré son mérite, M. de Bellefonds éprouva deux disgrâces, qu'il soutint aussi avec une grande constance. Son zéle pour le service du Roi et les intérêts de la France, lui attira la première. Ce maréchal, qui commandoit sous M. de Créqui, s'aperçut que les ennemis étoient dans la position la plus favorable pour les combattre avantageusement : il en donna avis à son chef, en le pressant d'ordonner l'attaque; mais M. de Créqui ne jugea pas à propos de déférer aux représentations de M. de Bellefonds. Ses instances réitérées n'ayant pas eu un meilleur succès, il crut, vu la circonstance, devoir s'élever au-dessus des règles ordinaires, et en conséquence, pour ne pas perdre une si belle occasion, il attaqua l'ennemi avec le corps qu'il commandoit. L'affaire s'étant ainsi engagée, le reste de l'armée fut obligé de donner; et les troupes du Roi remportèrent une victoire complète. Mais le maréchal de Créqui, piqué de la désobéissance de son inférieur, s'en plaignit en Cour; et M. de Bellefonds fut exilé. Nous aurons lieu de faire connoître, dans la suite des lettres que Bossuet lui a écrites, le sujet de sa seconde disgrâce.

BOSSUET. XXXVII.

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pas une chose surprenante pour vous, d'être éloigné de la Cour et des emplois : votre cœur ne tenoit à rien en ce monde-ci, qu'à la seule personne du Roi. Je vous plains d'autant plus dans le malheur que vous avez eu de vous croire forcé de le fâcher. Que Dieu est profond et terrible dans les voies qu'il tient sur vous! Il semble qu'il ne vous retient ici, lorsque vous voulez quitter, qu'afin de vous en arracher par un coup soudain, lorsqu'il paroît que vous y êtes le mieux. Regardez, Monsieur, avec les yeux de la foi, la conduite de Dieu sur vous; adorez les dispositions de la Providence divine, impénétrables au sens humain : mettez entre ses mains et votre personne et votre famille. Quiconque espère en Dieu ne sera pas confondu à jamais. Je le prie d'être votre consolation et votre conseil, je vous offrirai sans cesse à lui.

Si vous voyez quelque petit endroit que ce soit par où je puisse vous être tant soit peu utile, ne m'épargnez pas. La mère Agnès (1) me fera tenir vos lettres. J'étois à Paris, contre mon ordinaire, quand la chose arriva, et je n'arrivai ici qu'après votre départ cela me priva de la consolation de vous voir. On attend les réponses de M. le maréchal de Créqui. Je prie Dieu, encore une fois, qu'il conduise toutes choses à votre salut éternel.

J. BÉNIGNE, anc. Ev. de Condom.

A Saint-Germain-en-Laye, ce 25 avril 1672.

(1) Prieure des Carmélites de Saint-Jacques: elle étoit sœur du maréchal de Bellefonds.

LETTRE X.

AU MÊME.

Il le console dans sa disgrâce, et lui donne différens avis pour l'aider à la porter avec courage..

J'AI fait de fréquentes et sérieuses réflexions sur les conduites de Dieu sur vous: elles sont profondes, et bien éloignées des pensées des hommes. J'ai fort considéré par quelles voies il vous avoit préparé de loin, et ensuite de plus près, à ce qui vous est arrivé. Enfin vous voyez sa main bien marquée : que restet-il autre chose que d'abandonner à sa bonté et vous et votre famille? Je loue la résolution où vous êtes d'attendre en patience ce que la patience disposera pour vous dégager avec vos créanciers. Vous avez pris les voies droites, malgré toute la prudence humaine qui s'y opposoit : la chose a tourné autrement; et vous voilà en état de ne pouvoir presque plus rien faire. Vous êtes donc, par nécessité, dans une aveugle dépendance des ordres de Dieu : vous ne pouvez répondre à ses desseins qu'en vous abandonnant à lui seul. Confiez-vous à lui, Monsieur; et voyez que tout est à vous, pourvu que vous marchiez avec foi et avec confiance. Dieu vous fait des grâces infinies, de vous donner les sentimens qu'il vous donne.

Nous parlerons à fond, M. de Troisville (1) et

(1) Henri-Joseph de Peyre, comte de Troisville, qu'on prononce Tréville, mort à Paris le 13 août 1708.

moi, sur votre sujet; et je vous ferai savoir toutes mes pensées. Tout ira bien, Monsieur; car Dieu s'en mêle; et par des coups imprévus, il veut renverser en vous tous les restes de l'esprit du monde, et vous arracher à vous-même. Voilà votre grand ouvrage et la seule chose nécessaire. Lisez l'Evangile, si vous me croyez; et écoutez Dieu en le lisant. Il vous parlera au fond du cœur; et une lumière secrète de son Saint-Esprit vous conduira dans toutes vos voies. Je ne cesserai de vous offrir à la divine bonté; et tout ce qui me viendra dans l'esprit pour vous, je le recueillerai avec soin pour vous. Ne m'oubliez pas devant Dieu; et marchons ensemble en foi et en confiance dans la voie de l'éternité, chacun suivant la route qui lui est ouverte.

J'ai fait vos complimens à M. de Montausier, qui les a reçus comme il devoit, et qui est fort content de savoir que vous ayez reçu sa lettre.

A Saint-Germain, ce 1er juin 1672.

LETTRE XI.

AU MÊME.

Il l'entretient des grâces que Dieu lui a faites, et lui montre la vanité et le péril de la gloire du monde.

Les miséricordes que Dieu vous fait sont inexplicables. Il vous apprend qu'il est le souverain et le fort qui renverse tout, et le sage à qui cèdent tous les conseils mais en même temps sa miséricorde et sa bonté se déclarent par-dessus tous ses autres ou

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