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force? Cela est très-vrai; puisque l'Eglise n'a que armes spirituelles. Entendez-vous que les princes, qui sont enfans de l'Eglise, ne se doivent jamais servir du glaive que Dieu leur a mis en main pour abattre ses ennemis? L'oseriez-vous dire contre le sentiment de vos docteurs mêmes, qui ont soutenu par tant d'écrits que la république de Genève avoit pu et dû condamner Servet au feu, pour avoir nié la divinité du Fils de Dieu ? Et sans me servir des exemples et de l'autorité de vos docteurs, dites-moi en quel endroit de l'Ecriture les hérétiques et les schismatiques sont exceptés du nombre de ces malfaiteurs, contre lesquels saint Paul a dit que Dieu même a armé les princes (1)? Et quand vous ne voudriez pas permettre aux princes chrétiens de venger de si grands crimes, en tant qu'ils sont injurieux à Dieu; ne pourroient-ils pas les venger, en tant qu'ils causent du trouble et des séditions dans les Etats? Ne voyez-vous pas clairement que vous vous fondez sur un faux principe? Et s'il étoit véritable, c'étoit donc les Ariens, les Nestoriens, les Pélagiens qui avoient raison contre l'Eglise ; puisque c'étoit eux qui étoient les persécutés et les bannis, et que les princes catholiques étoient alors ceux qui persécutoient et qui bannissoient et à présent encore les Catholiques qu'on punit de mort en Suède, et en tant d'autres royaumes, auroient raison contre ceux qui se disent Evangéliques. Chacun à son tour auroit raison et tort; raison en un endroit, et tort en un autre ; et la religion dépendroit de ces incertitudes. Mais c'en est trop sur (1) Rom. x111. 4.

⚫ cette matière, pour convaincre un aussi bon espritque le vôtre. Connoissez seulement que lorsqu'il plaît à Dieu de nous abandonner à nos propres pensées, les meilleurs esprits sont touchés par les moindres apparences.

La crainte que vous avez qu'on ne vous fasse adorer du pain, a dans votre prévention plus de vraisemblance. Considérez cependant, sans entrer dans cette controverse, qui passe les bornes d'une lettre; considérez, dis-je, que c'est une crainte pareille qui faisoit dire aux Ariens et aux disciples de Paul de Samosate, qu'ils ne vouloient pas rendre les honneurs divins à un homme, à un enfant, à une créature, pour parfaite et privilégiée qu'elle fût. C'étoit la raison humaine, c'étoit les sens, c'étoit la prévention qui leur inspiroit ces vaines terreurs. Prenez garde que votre religion n'ait, à leur exemple trop appelé les raisonnemens et les sens humains à son secours, et que votre peine ne vienne de l'habitude à les suivre.

Quoi qu'il en soit, vous voyez que vos réformateurs n'ont fait autre chose que renouveler des querelles terminées, il y a déjà six cents ans, quand Bérenger les émut: et si vous révoquez en doute le jugement qui a été rendu contre lui, les autres douteront avec autant de raison de tous les conciles précédens; et nous voilà à examiner de nouveau tout ce qui a été décidé, comme si nous commencions à être chrétiens, et que tout ce que nos Pères ont résolu ne servît de rien. Cela veut dire, en un mot, que si les chrétiens, quand ils ne seront pas d'accord sur le sens de l'Ecriture, ne reconnoissent

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une autorité vivante et parlante à laquelle ils se soumettent; l'Eglise chrétienne est assurément la plus foible de toutes les sociétés qui soient au monde, la plus exposée à d'irrémédiables divisions, la plus abandonnée aux novateurs et aux factieux. C'est à quoi vos ministres, avec toutes leurs subtilités, n'ont jamais pu trouver aucune réponse; et ils se contentent de nous apporter des exemples, où ils prétendent que les conciles n'ont pas toujours bien décidé, tous exemples faux ou mal allégués. En un quart-d'heure de temps, vous qui avez de l'esprit, vous en seriez convaincu; et vous recevez ces choses avec trop de crédulité, sans les avoir jamais pu

examiner.

Mais sans vous jeter dans ces discussions, consi dérez seulement s'il est vraisemblable que Dieu, qui a permis qu'il y eût tant de profondeurs dans l'Ecriture, et que de là il soit arrivé tant de schismes entre ceux qui font profession de la recevoir, n'ait laissé aucun moyen à son Eglise de les pacifier; de sorte qu'il n'y ait plus de remède aux divisions, que de laisser croire chacun à sa fantaisie, et conduire parlà insensiblement les esprits à l'indifférence des religions, qui est le plus grand de tous les maux. Songez, Monsieur, songez à cela; écoutez votre bon sens, et non pas les subtilités des ministres, qui, à quelque prix que ce soit, veulent défendre leurs préjugés, et ne passer pas pour des docteurs de mensonge. C'en est assez; pesez ces choses.

Excusez les endroits où mon écriture vous paroîtra un peu brouillée : il vaut mieux que vous voyiez la simplicité d'un frère qui cherche à gagner son BOSSUET. XXXVII.

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frère, que la politesse d'un discours étudié. Venez, et assurez-vous que je ferai tout pour votre personne, que j'estime et qui m'est chère, et que je suis cordialement, etc.

A Meaux, ce 3 avril 1686.

LETTRE CXXVIII.

A M. HERMANT,

DOCTEUR DE SORBONNE, ET CHANOINE DE BEAUVAIS.

J'ai reçu, Monsieur, votre lettre du 20, et je vous en suis très-obligé. Je lirai Grotius, les notes du père Quesnel sur saint Léon, et Forbesius (1). J'ai lu Cassander et les mémoires concernant le concile de Trente. Je verrai Martel, si vous croyez que cela soit fort utile. Mais comme je n'ai pas dessein de m'engager dans de longs discours, mais de mettre en main des bien intentionnés quelque chose de serré et de précis, je ne me chargerai que de ce qui sera absolument nécessaire et décisif. Je tâcherai de profiter de vos lumières. J'attends ce que vous prenez la peine de recueillir; et après vous avoir demandé

(1) Plusieurs Protestans de ce nom ont écrit sur la controverse. Guillaume Forbes ou Forbesius, premier évêque d'Edimbourg, mort en 1634, a composé, dans la vue de concilier les différends de religion, l'ouvrage intitulé: Considerationes modestæ et pacificæ controversiarum, de justificatione, Purgatorio, invocatione Sanctorum, Christo mediatore, et Eucharistia. Ce livre fut imprimé après la mort de l'auteur, dont le fils s'est fait catholique. Jean Forbes a donné des Institutiones historico-theologica, réimprimées avec ses autres ouvrages, à Amsterdam, en 1703, 2 vol. in-fol.

pardon de tant de peines que je vous donne, je vous dirai néanmoins que vous ne devez pas trouver surprenant, si, persuadé comme je suis de votre capacité, de votre zèle et de l'amitié dont vous m'honorez depuis si long-temps, je vous donne de semblables fatigues. Je suis, avec toute l'estime possible, etc.

A Versailles, 22 mai 1686.

LETTRE CXXIX.

A DOM THIERRI RUINART, RELIGIEUX BÉNÉDICTIN.

Il le prie de faire des recherches pour lui sur une leçon de la vie de saint Ambroise.

Je vous suis très-obligé des remarques que vous m'avez envoyées. Je vous prie de faire encore pour moi une recherche dans la Vie de saint Ambroise à l'endroit où il est parlé de la communion que saint Honorat de Verceil lui donna à l'heure de sa mort, au rapport de Paulin. Je trouve dans cette Vie, comme elle est dans Surius et dans quelques éditions de saint Ambroise, le mot deglutivit, qui semble marquer la seule espèce solide : mais je n'ai pas trouvé ce mot dans toutes les éditions de cette Vie; et j'en ai vu une, je ne me souviens pas bien laquelle c'est, où ce mot n'est point, mais seulement recepit. Vous me ferez plaisir d'assurer la vraie leçon par les manuscrits; et même, si vous n'avez pas la chose présente, d'en communiquer avec vos pères qui travaillent sur saint Ambroise. Je me suis si bien

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