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votre fils, et je n'oublierai jamais l'obligation que je vous ai, de ce que vous avez fait tomber de dessus mes yeux les écailles de l'ignorance, des préjugés et de la prévention. Je reconnois qu'après Dieu je vous dois ma conversion; et je comprends tous les jours de plus en plus le prix de cette bénédiction. Je prie Dieu que ma vie puisse être une continuelle expression de gratitude envers sa divine Majesté. J'espère aussi que je ne manquerai jamais d'avoir tous les sentimens de reconnoissance à votre égard, et j'en ai le cœur tellement rempli, que je ne trouve point de paroles pour les exprimer.

Cependant, Monseigneur, je m'aperçois qu'en vous faisant des excuses de mon silence, je tombe dans une autre extrémité, et que je dois vous demander pardon de ce que je dérobe au public autant de votre temps précieux, que vous en perdrez à lire une si longue lettre. Je vous déclare sincèrement que si j'étois maître de moi, et que si la place dans laquelle la divine Providence m'a attaché ne m'engageoit pas à une résidence nécessaire, j'achete→ rois avec joie trois heures de conversation avec vous, en allant nu-pieds jusqu'à Meaux, et demandant mon pain durant tout le chemin. Car de toutes les instructions que j'ai pu avoir, aucune ne représente les choses si clairement, ne les établit et ne les persuade si fortement, et ne dissipe plus parfaitement les ténèbres de l'ignorance, que vos admirables écrits. Chaque lettre que je reçois de vous est un joyau pour moi : j'en reçois du profit et du plaisir, et elle m'échauffe dans mes bonnes résolutions: de sorte que non-seulement je me vois très-bien in

formé pour ce qui regarde l'entendement; mais je sens ma volonté déterminée de plus en plus au service de Dieu, et à avancer les intérêts de la sainteEglise.

Il faut aussi que je vous dise que, quoique j'aie toujours eu, même durant mon ignorance et dans l'hérésie, un profond respect pour le ministère apostolique des évêques; vous l'avez tellement augmenté par la manière admirable dont vous vous acquittez de tous les devoirs de l'épiscopat, que je crois remonter jusqu'à saint Cyprien, saint Augustin et saint Ambroise, ou au moins aux trois évêques des derniers siècles, pour qui j'ai la plus grande vénération, qui sont saint Charles Borromée, saint François de Sales, et dom Barthelemi des martyrs: quoiqu'à la vérité, à l'égard de ces derniers, il y ait de la différence à faire en ce qui regarde la science et la force de l'expression, qui est plus grande dans les premiers.

Si je pouvois vous informer de quelque chose de ce pays-ci, qui fût digne de vous être mandé, et dont vous ne fussiez pas informé par de meilleures mains, je le ferois très-volontiers: mais ce seroit une chose inutile de vous en fatiguer; parce qu'on est assez bien informé par les avis publics. J'ajou terai seulement que ce que le Roi a fait en mettant en commission l'office de vicaire-général, et en chargeant de cette commission l'archevêque de Cantorbéry, les évêques de Durham et de Rochester, le chancelier, le trésorier, le président du conseil, et le chef de justice, alarme extrêmement les évêques et les ministres protestans. Ce que Sa

Majesté a aussi fait en mettant dans son conseil d'Etat le comte de Powis, milord Arundel, Bellasis et Douer, est encore une démarche qui ouvrira la porte à un nouvel avantage pour les Catholiques. Avant ce temps-là, mon frère milord Melford et moi avions pris séance dans le conseil; mais nous y étions entrés étant encore Protestans: au lieu que ceci est clair, et que c'est un exercice du pouvoir de dispenser des lois, dont on parle tant de sorte que, selon mon avis, les Protestans seront convaincus par-là que le Roi est résolu d'achever son ouvrage. Enfin, Monseigneur, je n'ajouterai plus rien à cette longue lettre que de très-humbles prières, pour vous supplier de me continuer vos bonnes grâces et votre charité, comme à celui qui est, etc. De Windsor, ce 25 juillet.

LETTRE CXXXII.

A M. DE RANCÉ, ABBÉ DE LA TRAPPE. Sur la promotion de M. le Camus, évêque de Grenoble, au cardinalat, et sur quelques autres sujets.

TOUTE la compagnie, Monsieur, arriva mercredi à Versailles, en bonne santé. La première chose que j'y appris fut la promotion; et vous pouvez juger de la joie que j'ai de celle de notre ami M. de Grenoble. Je trouvai ses frères qui venoient faire de sa part au Roi un compliment de soumission, qui fut bien reçu ; et ils lui ont dépêché un courrier, pour lui dire que Sa Majesté agréoit qu'il acceptât le

bonnet.

bonnet. J'ai appris que certaines gens n'ont pu toutà-fait dissimuler leur mécontentement. Quelquesuns croient que le nouveau cardinal viendra ici : pour moi je le souhaite par rapport à ma satisfaction: du reste, hors qu'on ne le mande, à quoi je vois peu de disposition, ou qu'il n'y ait quelque raison que je ne sais pas, je crois qu'il doit demeurer, et qu'il le fera ainsi; attendant que les occasions de servir l'Eglise lui viennent naturellement.

Je vous prie de vouloir bien dire à M. de SaintLouis que je n'ai pas manqué de dire à M. de Louvois l'état où je l'ai trouvé à la Trappe, et combien il étoit touché de ses bontés. Cela a été bien reçu : je n'ai pas cru devoir en dire davantage pour cette fois. Dans le peu de temps que j'ai été à Versailles, je n'ai pas eu occasion de parler de vous au Roi, et je n'ai pas rencontré MM. de Saint-Pouange. Mais je me charge de bon cœur de la sollicitation de la pension dans le temps, dont je le prie de m'avertir.

J'espère aller demain coucher à Meaux, où j'apprendrai toujours avec joie des nouvelles de votre santé. Mais surtout quand il y aura la moindre chose à faire pour votre service, vous ne sauriez me faire' un plus sensible plaisir que de m'en donner la commission. Je suis à vous, Monsieur, comme vous savez, et je prie Dieu qu'il vous continue ses bénédic tions. M. Pelisson a été fort touché de vos bontés; et M. le contrôleur-général très-ravi d'apprendre la continuation de votre amitié et de vos prières.

A Paris, ce 14 septembre 1686.

BOSSUET. xxxvи.

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LETTRE CXXXIII.

A M. L'ABBÉ NICAISE,

CHANOINE DE LA SAINTE CHAPELLE DE DIJON.

Il lui parle de quelques auteurs et de différens ouvrages.

Vous m'avez fait grand plaisir, Monsieur, de m'envoyer les louanges de Monseigneur le cardinal le Camus, et je les ai trouvées dignes de lui. Il y a beaucoup de bonne latinité, et un style fort coulant dans ces poésies, avec de beaux sentimens.

Je ne savois pas que l'auteur des Idylles fût M. de Longepierre (1) de notre pays. Je prends beaucoup de part à la gloire qu'il peut attirer à la patrie, et je souhaite seulement que son cœur ne se ramollisse pas en écrivant des choses si tendres.

Je n'ai rien vu encore de la Bibliothèque historique (2), et je n'en verrai rien que je n'aie appris

(1) Hilaire-Bernard de Requeleyne, seigneur de Longepierre, secrétaire des commandemens de M. le duc de Berri, et depuis gentilhomme ordinaire de M. le duc d'Orléans. Il donna en 1684, 1686 et 1688, des remarques sur Anacréon et sur Sapho, Bion, Moschus, et sur les Idylles de Théocrite, avec une traduction en vers de tous ces poètes. En 1690, il publia encore un recueil d'Idylles, qui forme un volume in-12. Il est auteur de plusieurs aumais l'on assure que tres ouvrages du même genre: les sages réflexions qu'il fit dans la suite, le portèrent à désirer de pouvoir anéantir toutes ses traductions, dont Bossuet fait assez sentir ici le danger. M. de Longepierre mourut le 30 mars 1721.

(2) Jean Le Clerc, Protestant, commença ce journal en 1686, et le finit en 1693. Il a été imprimé à Amsterdam, et forme vingtcinq volumes, sans la table qui fait le vingt-sixième : Le Clerc a repris dans la suite ce journal sous d'autres titres.

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