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choses que j'ai toujours rejetées dans ce nouveau systême; en sorte que plus je me souviens d'être chrétien, plus je me sens éloigné des idées qu'il nous présente.

Et afin de ne vous rien cacher, puisque je vous aime trop pour ne vous pas dire tout ce que je pense, je ne remarque en vous autre chose qu'un attachement, tous les jours de plus en plus aveugle, pour votre patriarche : car toutes les propositions que je vous ai vu rejeter cent fois, quand je vous en ai découvert l'absurdité, je vois que par un seul mot de cet infaillible docteur, vous les rétablissez en honneur. Tout vous plaît de cet homme, jusqu'à son explication de la manière dont Dieu est auteur de l'action du libre arbitre comme de tous les autres modes; quoique je ne me souvienne pas d'avoir jamais lu aucun exemple d'un plus parfait galimatias. Pour l'amour de votre maître, vous donnez tout au travers du beau dénouement qu'il a trouvé aux miracles dans la volonté des anges; et vous n'en voulez pas seulement apercevoir le ridicule. Enfin vous recevez à bras ouverts toutes ses nouvelles inventions. C'est assez qu'il se vante d'avoir le premier pensé la manière d'expliquer le déluge de Noé par la suite des causes naturelles; vous l'embrassez aussitôt, sans faire réflexion qu'à la fin elle vous conduiroit à trouver dans les mêmes causes et le passage de la mer Rouge, et la terre entr'ouverte sous les pieds de Coré, et le soleil arrêté par Josué, et toutes les merveilles de cette nature. Car si, par les causes naturelles, on veut entendre cette suite d'effets qui arrive par la force des premières lois du

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mouvement et du choc des corps, je ne vois pas comment le déluge y pourra plutôt cadrer que ces autres prodiges et s'il ne faut que mettre des à la volonté desquels Dieu se détermine à les faire; par cette voie, quand il me plaira, je rendrai tout naturel, jusqu'à la résurrection des morts et à la guérison des aveugles-nés.

anges,

Je vous vois donc, mon cher Monsieur, tout livré à votre maître, tout enivré de ses pensées, tout ébloui de ses belles expressions. Vous citez perpétuellement l'Ecriture; et les simples pieux seront pris par-là sans considérer seulement que de tous les passages que vous produisez, il n'y en a pas un seul qui touche la question. Il en est de même des passages de saint Augustin. Pour entrer en preuve sur cela, il faudroit faire un volume: c'est pourquoi, en deux mots, je vous dirai que si vous voulez travailler utilement à réconcilier mes sentimens avec ceux du père Malebranche, il me paroît nécessaire de procurer quelques entrevues, aussi sincères de sa part qu'elles le seront de la mienne, où nous puissions voir une bonne fois si nous nous entendons les uns les autres. S'il veut du secret dans cet entretien, je le promets s'il y veut des témoins, j'y consens; et je souhaite que vous en soyez un. S'il se défie de ne pouvoir pas satisfaire d'abord à mes doutes, il pourra prendre tout le loisir qu'il voudra : et comme je ne cherche qu'un véritable éclaircissement, qui me persuade qu'il a plus de raison que je n'ai pensé, et qu'il ne s'écarte pas autant que je l'ai cru de la saine théologie, j'aiderai moi-même à ce dessein. Cela est de la dernière conséquence car pour ne vous

rien dissimuler, je vois non-seulement en ce point de la nature et de la grâce, mais encore en beaucoup d'autres articles très-importans de la religion, un grand combat se préparer contre l'Eglise sous le nom de la philosophie cartésienne. Je vois naître de son sein et de ses principes, à mon avis mal entendus, plus d'une hérésie; et je prévois que les conséquences qu'on en tire contre les dogmes que nos pères ont tenus, la vont rendre odieuse, et feront perdre à l'Eglise tout le fruit qu'elle en pouvoit espérer, pour établir dans l'esprit des philosophes la divinité, et l'immortalité de l'ame.

De ces mêmes principes mal entendus, un autre inconvénient terrible gagne sensiblement les esprits: car sous prétexte qu'il ne faut admettre que ce qu'on entend clairement; ce qui, réduit à certaines bornes, est très-véritable; chacun se donne la liberté de dire, J'entends ceci, et je n'entends pas cela; et sur ce seul fondement, on approuve et on rejette tout ce qu'on veut sans songer qu'outre nos idées claires et distinctes, il y en a de confuses et de générales qui ne laissent pas d'enfermer des vérités si essentielles, qu'on renverseroit tout en les niant. Il s'introduit, sous ce prétexte, une liberté de juger, qui fait que sans égard à la tradition on avance témérairement tout ce qu'on pense; et jamais cet excès n'a paru, à mon avis, davantage que dans le nouveau systême car j'y trouve à la fois les inconvéniens de toutes les sectes, et en particulier ceux du pelagianisme. Vous détruisez également Molina et les Thomistes; à certains égards, je l'avoue : mais comme vous ne dites rien qu'on puisse mettre à la

place, vous ne faites que payer le monde de belles paroles. Vous poussez si loin ce que vous avez pris de Molina, que lui-même n'auroit jamais osé aller si avant; et que ses disciples vous rejetteront autant que les autres, si en se donnant un jour le loisir de pénétrer le fond de votre doctrine, ils viennent à s'apercevoir que vous les avez vainement flattés. Enfin je ne trouve rien dans votre systême qui ne me rebute tout m'y paroît dangereux, même jusqu'à ces belles maximes que vous y étalez d'abord; parce que vous les proposez d'une manière si vague, que non-seulement on n'y peut trouver aucun sens précis, mais encore qu'on en peut tirer le mal plutôt que le bien.

Je ne demande pas que vous m'en croyiez sur ma parole: mais si vous aimez la paix de l'Eglise, procurez l'explication de vive voix que je vous propose, et menez-la à sa fin. Tant que le père Malebranche n'écoutera que des flatteurs, ou des gens qui, faute d'avoir pénétré le fond de la théologie, n'auront que des adorations pour ses belles expressions, il n'y aura point de remède au mal que je prévois, et je ne serai point en repos contre l'hérésie que je vois naître par votre systême. Ces mots vous étonneront; mais je ne les dis pas en l'air. Je parle sous les yeux de Dieu, et dans la vue de son jugement redoutable, comme un évêque qui doit veiller à la conservation de la foi. Le mal gagne : à la vérité je ne m'aperçois pas que les théologiens se déclarent en votre faveur; au contraire, ils s'élèvent tous contre vous. Mais vous apprenez aux laïques à les mépriser, un grand nombre de jeunes gens se laissent

flatter à vos nouveautés. En un mot, ou je me trompe bien fort, ou je vois un grand parti se former contre l'Eglise; et il éclatera en son temps, si de bonne heure on ne cherche à s'entendre, 'avant qu'on s'engage tout-à-fait.

Le succès dont vous paroissez si satisfait dans votre discours, me fait peur : car lorsqu'on a du succès en matière de théologie par l'exposition de la commune doctrine de l'Eglise, on a sujet de louer Dieu de la bénédiction qu'il donne aux travaux qu'il nous inspire. Mais lorsqu'on s'éloigne des sentimens de l'Eglise, et de la théologie qu'on y a trouvé universellement reçue, le succès ne peut venir que de l'appât de la nouveauté; et toute ame chrétienne en doit trembler c'est le succès qu'ont eu les hérétiques. Comme vous, ils se sont donnés un air de piété, en nommant beaucoup Jésus-Christ, et en se parant de son Écriture. Comme vous, ils se sont souvent vantés de proposer des moyens de ramener les errans à la foi de l'Eglise. Mais il faut songer à cette parole: Tous ceux qui m'appellent Seigneur, Seigneur, n'entreront pas pour cela dans le royaume de Dieu (1). Citer souvent l'Ecriture, et n'en alléguer que ce qui ne sert de rien à la matière, c'est encore un des artifices dont l'erreur se sert pour attirer les pieux et si vous ne convertissez les libertins et les hérétiques qu'en les jetant dans d'autres sortes d'erreurs, on ne vous sera non plus obligé qu'aux Monothélites, lorsqu'ils se sont servis de leur erreur pour faciliter le retour des Eutychiens.

(1) Matth. vII. 21.

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