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Tout cela est encore bien général, je le confesse; mais aussi ne veux-je pas entrer dans le détail. Je réserve ce détail à la conversation que je demande. Elle ne sera pas longue, si on veut : quatre ou cinq réponses précises à quatre ou cinq questions que j'ai à faire, me feront connoître si c'est avec fondement que je crains ce grand scandale dont je vous ai parlé, ou si mes terreurs sont vaines. Si on a aussi bonne intention que je le veux croire, on verra bientôt ce qu'il faudra dire pour donner des bornes aux vaines curiosités, et aux nouveautés dangereuses. C'est à quoi je tends. Que si, sans jamais entrer dans le fond des inconvéniens de votre systême, on se contente de nous dire toujours, comme on a fait jusqu'ici, On ne nous entend pas; sachez, Monsieur, qu'il n'en faudra pas davantage pour me confirmer dans mes craintes. Car ces hérétiques dont j'appréhende tant qu'à la fin on n'imite l'orgueil, comme déjà on en imite la nouveauté, prétendoient aussi toujours qu'on ne les entendoit pas : et c'étoit une

des preuves de leur erreur, de ce que les théologiens

ecclésiastiques ne pouvoient en effet jamais les entendre.

Ne croyez pas qu'en vous comparant aux hérétiques, je vous veuille accuser d'en avoir l'indocilité, ni ce qui les a enfin portés à la révolte contre l'Eglise; à Dieu ne plaise : mais je sais qu'on y arrive par degrés. On commence par la nouveauté; on poursuit par l'entêtement. Il est à craindre que la révolte ouverte n'arrive dans la suite, lorsque la matière développée attirera les anathêmes de l'Eglise, et après peut-être qu'elle se sera tue long

temps, pour ne pas donner de la réputation à l'erreur.

Voilà, Monsieur, vous parler comme on fait à un ami et afin de m'ouvrir à vous un peu plus en particulier, je vous dirai que pour le peu d'expérience que vous avez dans la matière théologique, vous me paroissez déjà de beaucoup trop décisif. Croyez-moi, Monsieur, pour savoir de la physique et de l'algèbre, et pour avoir même entendu quelques vérités générales de la métaphysique, il ne s'en suit pas pour cela qu'on soit fort capable de prendre parti en matière de théologie: et afin de vous faire voir combien vous vous prévenez, je vous prie seulement de considérer ce que vous croyez qui vous favorise dans mon Discours sur l'Histoire universelle. Il m'est aisé de vous montrer que les principes sur lesquels je raisonne, sont directement opposés à ceux de votre systême. Si de secondes réflexions vous le font ainsi apercevoir, vous m'aurez épargné le travail d'un long discours sinon, je veux bien, pour l'amour de vous, prendre la peine de vous désabuser sur ce sujet ; afin que vous ayez du moins cet exemple de ce que peut la prévention sur votre esprit. Je ne vous en écrirai ici que ce mot: qu'il y a bien de la différence à dire, comme je fais, que Dieu conduit chaque chose à la fin qu'il s'est proposée, par des voies suivies, et de dire qu'il se contente de donner des lois générales, dont il résulte beaucoup de choses qui n'entrent qu'indirectement dans ses desseins. Et puisque, très-attaché que je suis à trouver tout lié dans l'œuvre de Dieu, vous voyez au contraire que je m'éloigne de vos idées des lois

générales, de la manière dont vous les prenez; comprenez, du moins une fois, le peu de rapport qu'il y a entre ces deux choses. Sauvez-moi, par une profonde et sérieuse réflexion, la peine de m'expliquer ici davantage; et surtout ne croyez pas que je ne mette pas en Dieu des lois générales et un ouvrage suivi, sous prétexte que je ne puis me contenter de vos lois, plutôt vagues que générales, et plutôt incertaines et hasardeuses que véritablement fécondes (1).

Vous aurez dû présentement recevoir l'oraison funèbre (2) par la voie de Pralard. Je vous prie de m'en accuser la réception, afin que si on a manqué à mes ordres, j'y supplée. Les Variations s'avancent, et vous en aurez des premiers. Mais si vous aimez l'Eglise, venez procurer la conversation que je vous demande; et donnez-y de si bons ordres par vos amis, qu'elle se fasse. Il y aura de mon côté non-seulement toute l'honnêteté, mais encore toute la sincérité et toute la sûreté qu'on y pourra désirer. Assurez-vous du moins que je parlerai nettement : en sorte qu'on pourra bien n'être pas

(1) Bossuet voulant d'abord entrer un peu plus avant dans la matière, avoit ajouté à son manuscrit, dans sa copie, les paroles suivantes, qu'il a ensuite barrées; parce qu'il a cru devoir, pour le moment, se borner à ce qu'il venoit de dire. « Dieu est un, et » dans ses ouvrages n'a qu'une seule pensée. Cette pensée, si » simple et si unique, ne se peut développer au dehors que par >> une prodigieuse multiplicité d'effets; et tous ces effets, qui ex>> priment cette unique pensée, dès-là sont toujours unis entre

>>eux ».

(2) De Louis de Bourbon, prince de Condé, prononcée le 10 mars 1687.

dans mon avis, mais qu'on ne dira point qu'on ne

m'entend pas.

A Versailles, ce 21 mai 1687.

LETTRE CXL.

DE MILORD PERTH (1).

Il lui exprime sa douleur sur l'opposition qu'avoit rencontrée, de la part de certains religieux, l'exécution du projet que Bossuet lui avoit proposé, d'établir un évêque en Ecosse.

:

J'AVOUE que j'ai été trop long-temps à répondre à votre très-divine lettre mais je ne différois à y répondre, que parce que j'avois toujours quelque espérance de vous pouvoir rendre un bon compte des effets qu'elle avoit produits. Cependant il faut que je me plaigne de ma mauvaise fortune, en ce qu'un si excellent moyen ne produira pas apparemment l'effet qu'il devoit produire : car si votre lettre eût été adressée à tout autre qu'à moi, il seroit extraordinaire qu'elle n'eût pas porté nos supérieurs, de la volonté desquels nous dépendons, à nous procurer la salutaire bénédiction d'un bon évêque. Mais cette affaire, après que j'y ai employé de ma part les plus pressantes instances, étant présentement assoupie, voici tout ce que j'en puis dire: c'est que le meilleur des évêques, dont la plume inspirée d'en haut, car il faut que je le dise, dont la plume charmante a défendu si noblement et avec triomphe

(1) La lettre de Bossuet, à laquelle Milord répond dans celle-ci, nous manque, comme plusieurs autres que le prélat lui avoit écrites.

l'honneur de la doctrine apostolique contre les calomnies, dont la malice des hérétiques tâchoit de la noircir; celui qui par sa dextérité à mettre la vérité dans son véritable jour, l'a fait embrasser à un si grand nombre de personnes qu'il a retirées de l'erreur; celui dont l'exemple est un sermon continuel, auquel il est plus difficile de résister qu'à toute la force et l'énergie de cette éloquence avec laquelle il captive ses auditeurs; celui-là, dis-je, a trouvé parmi nous moins de docilité que parmi les hérétiques de France, malgré les mauvaises humeurs qui avoient régné si long-temps dans leurs esprits. Car au moins, à ce qu'il paroît, nous ne pouvons être convaincus qu'un évêque soit le plus propre remède de nos divisions: mais nous sommes contens de demeurer dans un état incommode, gémissant sous le poids de notre maladie, plutôt que de nous soumettre à une cure que quelques personnes trouveroient trop rude pour la pouvoir supporter aisé

ment.

Je laisse l'explication de tout ceci à *** (1), qui en sera si pleinement instruit par un de mes amis, qu'il pourra vous satisfaire sur toutes les circonstances de cette affaire. J'espère que notre Seigneur aura quelque jour pitié de nous, et qu'il nous délivrera du malheur d'être à charge les uns aux autres, tandis que nous faisons tous profession d'être soumis à un même esprit, d'avoir en vue la même fin, et d'espérer d'être unis à notre Seigneur, et en lui les uns avec les autres par les liens d'une éternelle charité.

(1) Probablement l'abbé Renaudot, auquel milord Perth adressoit les lettres qu'il écrivoit à Bossuet, et qui les traduisoit.

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