Images de page
PDF
ePub

et cela à proportion de la grandeur de l'offense, ou du moins à proportion de la capacité du coupable: car, par la première définition, l'ordre, la loi éternelle, la justice, ne demandent rien tant que la conservation de l'ordre, et que le traitement de chaque chose selon son rang et son mérite. Or, par la deuxième définition, le péché blesse l'ordre; il le viole, il le renverse autant qu'il est en lui : en ún mot, le péché est un véritable désordre. Donc il est de l'ordre de le punir à proportion de sa grandeur, etc.

CINQUIÈME PROPOSITION.

La grandeur du péché est infinie.

DEMONSTRATION.

La grandeur et l'énormité du péché se mesurent par l'excellence et la dignité de la personne offensée, comme il est prouvé par le deuxième axiome. Or il est visible que Dieu, c'est-à-dire, l'Etre infiniment parfait, offensé par le péché, est d'une excellence et d'une dignité infinie. Donc la grandeur du péché est infinie.

ÉCLAIRCISSEMENT.

Il se trouve des gens qui croient pouvoir éluder la force de cette démonstration, en disant qu'il n'y a rien que de fini dans la créature, qu'ainsi tous ses actes sont finis, et que par conséquent la grandeur du péché n'est que finie. Mais on devroit prendre garde que le péché, ou, pour parler plus exactement, que le formel, l'essentiel du péché

n'est point un acte. Le péché n'est qu'un déréglement, un désordre, un éloignement de Dieu, une pure privation: il n'a ni forme, ni essence, ni nature, ni réalité : en un mot, c'est un pur néant. Or qui conçoit bien cela, comprend aisément que quoiqu'il n'y ait rien que de fini dans la créature, son péché ne laisse pas d'être d'une grandeur infinie; parce que du néant à l'être, mais surtout à l'Etre infiniment parfait, il y a une distance infinie; en un mot, il n'y a nulle proportion finie.

SIXIÈME PROPOSITION.

Dieu ne peut pas se dispenser de punir le péché d'une peine infinie, ou du moins selon la capacité de souffrir qui se trouve dans le coupable.

DÉMONSTRATION.

Par la troisième proposition, Dieu ne peut pas se dispenser d'agir dans l'ordre, de suivre l'ordre, et de satisfaire pleinement, ou du moins, autant qu'il est possible, à ce que l'ordre demande. Or, par la quatrième proposition, l'ordre demande que le péché soit puni à proportion de sa grandeur, ou du moins selon la capacité du coupable; et, par la cinquième, la grandeur du péché est infinie. Dieu ne peut donc pas se dispenser de le punir d'une peine infinie, ou du moins, etc.

SEPTIÈME PROPOSITION.

Le péché n'est puni dans les hommes damnés, ni infiniment, ni selon toute la capacité qu'ils ont de souffrir. Quoique cette proposition ait deux parties, ce sera avoir suffisamment prouvé la première que

d'avoir démontré la seconde : en voici donc la

preuve.

DÉMONSTRATION.

Qui pourroit souffrir plus qu'il ne fait n'est pas puni selon toute sa capacité: or les hommes damnés pourroient souffrir plus qu'ils ne font; ils ne sont donc pas punis selon toute leur capacité. La majeure de cet argument est évidente: voici la preuve de la mineure.

Où il y a inégalité dans les peines de plusieurs ames de même capacité, il est visible que du moins celles qui en souffrent de moindres, pourroient en souffrir de plus grandes. Or, par le quatrième axiome, il y a inégalité dans les peines des damnés; et je suppose ces ames de même capacité donc les hommes damnés pourroient souffrir plus qu'ils ne font.

COROLLAIRE PREMIER.

Donc Dieu ne satisfait pas pleinement, ni autant qu'il le pourroit, dans les damnés, à ce que l'ordre demande indispensablement.

DÉMONSTRATION.

Par les quatrième, cinquième et sixième propositions, l'ordre demande indispensablement que le péché soit puni d'une peine infinie, ou du moins selon toute la capacité du coupable. Or, par la septième proposition, le péché n'est puni dans les damnés ni d'une peine infinie, ni selon toute la capacité qu'ils ont de souffrir: Dieu ne satisfait donc pas pleinement dans les damnés à ce que l'ordre demande indispensablement.

COROLLAIRE

COROLLAIRE SECOND.

Donc Dieu retrouve ailleurs ce qui manque à la satisfaction qu'il tire des damnés.

DEMONSTRATION.

Celui qui étant indispensablement obligé de faire faire satisfaction ou réparation à l'ordre, ne le fait pas autant qu'il le pourroit par rapport au coupable, doit ou retrouver ailleurs ce qui manque à cette satisfaction, ou manquer lui-même d'amour pour l'ordre. Or on ne peut pas dire que Dieu manque d'amour pour l'ordre; puisque, par la première proposition, il l'aime invinciblement. Il faut donc que Dieu retrouve ailleurs ce qui manque à la satisfaction qu'il tire des damnés.

HUITIEME PROPOSITION.

Dieu ne peut retrouver ailleurs qu'en Jésus-Christ et dans ses satisfactions, ce qui manque à la satisfaction des damnés.

DÉMONSTRATION.

Ce qui manque à la satisfaction des damnés ést infini, par la cinquième et la sixième proposition. Or Dieu ne peut trouver rien d'infini en matière de satisfaction qu'en Jésus-Christ, dont la personne divine donne un prix infini à ses souffrances. Donc Dieu ne peut trouver ailleurs qu'en Jésus-Christ ce qui manque à la satisfaction des damnés.

COROLLAIRE PREMIER.

C'est donc sur les satisfactions de Jésus-Christ que
BOSSUET. XXXVII.

26

Dieu se dédommage de ce qui manque à celle des damnés. Cette proposition n'est qu'une suite des deux dernières : car il ne serviroit de rien, pour satisfaire à l'ordre, de retrouver en Jésus-Christ ce qui manque à la satisfaction des damnés, si Dieu ne s'en servoit à cette fin; je veux dire, si Dieu ne se dédommageoit sur les satisfactions de Jésus-Christ, de ce qui manque à la satisfaction des damnés.

COROLLAIRE SECOND.

Donc les satisfactions de Jésus-Christ suppléent et relèvent même infiniment ce qui manque à la satisfaction des damnés. Quelque évidente que soit la liaison de cette proposition avec celles qui l'ont précédée, en voici néanmoins encore la preuve.

DÉMONSTRATION.

Lorsque d'une même injure l'on tire deux satisfactions très-différentes, l'une finie, l'autre infinie; et que de l'une et de l'autre il résulte que l'offensé est infiniment satisfait, au lieu qu'il ne le seroit nullement de la satisfaction finie, si l'infinie manquoit, on peut justement dire que celle-ci paie, supplée, et relève infiniment celle-là. Or Dieu tire des injures que les hommes damnés lui ont faites deux satisfactions bien différentes; savoir celle des souffrances libres de Jésus-Christ, qui est infinie, et celle des supplices forcés des hommes damnés, qui n'est que finie: et de ces deux satisfactions il résulte que Dieu est infiniment satisfait; au lieu qu'il ne le seroit nullement de la satisfaction des damnés, si celle de Jésus-Christ manquoit. Donc

« PrécédentContinuer »