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les satisfactions de Jésus-Christ suppléent et relèvent même infiniment ce qui manque à la satisfaction des hommes damnés.

REMARQUE.

Après tout ce qu'on a prouvé jusqu'ici, il n'y a rien dans cet argument qui ne doive paroître fort clair, surtout quand on sait que la satisfaction de Jésus-Christ est infinie, et que celle des damnés n'est que finie. Il faut seulement remarquer que tant s'en faut que ce soit une imperfection, à la satisfaction de Jésus-Christ de suppléer ainsi à celle des damnés, qu'au contraire cela marque une perfection infinie; parce qu'elle n'y supplée qu'en la relevant infiniment.

COROLLAIRE TROISIÈME.

Donc la satisfaction que Jésus-Christ fait à Dieu pour les péchés de tous les hommes, est indirectement favorable aux hommes damnés.

DÉMONSTRATION.

Elle leur est indirectement favorable, s'il est vrai qu'il leur en revienne par occasion quelque diminution dans leurs peines; et si Dieu en prend occasion de mêler, pour ainsi dire, la miséricorde dans leurs supplices. Or, c'est justement ce qui arrive, et ce que Dieu fait; puisque, par les septième et huitième propositions, ce n'est que parce que Dieu trouve en Jésus-Christ une satisfaction infinie pour les péchés des hommes, qu'il épargne les hommes damnés, et qu'il ne les punit pas même selon toute

la capacité qu'ils ont de souffrir. Donc la satisfaction de Jésus-Christ est en quelque sorte favorable aux hommes damnés.

Mais remarquez que je ne dis pas que Jésus-Christ ait souffert en faveur des hommes damnés, ni que ses satisfactions soient unies à leurs satisfactions, ni enfin que des unes et des autres il se fasse une seule et même satisfaction; mais seulement qu'ayant satisfait fort différemment, chacun en son ordre, Dieu prend occasion de la satisfaction infinie que Jésus-Christ lui a faite pour les péchés de tous les hommes, de remettre aux hommes damnés quelque chose des justes châtimens qui leur sont dus.

LETTRE CXLIV.

A DOM FRANÇOIS LAMI.

Bossuet lui marque qu'il examinera sa Démonstration sur la satisfaction de Jésus-Christ.

J'ai reçu, mon révérend Père, votre démonstration sur la satisfaction, que j'examinerai après ces fêtes. Je sais que la proposition est du P. Malebranche. Si elle peut être défendue, elle le sera de votre main; et déjà elle est déchargée de beaucoup de mauvais sens qu'elle me parut avoir. Je vous dirai si avec votre secours je serai capable d'y en trouver un bon. Cependant je suis à vous, mon révérend Père, avec le cœur et l'estime que vous

savez.

A Meaux, ce 24 décembre 1687.

LETTRE CXLV.

AU MÊME.

Il envoie au P. Lami son sentiment sur la Démonstration.

Je vous envoie, mon révérend Père, mon sentiment sur votre Démonstration (1). La méthode en est nette; et elle m'a fait souvenir des propositions contre Spinosa (2), que je souhaiterois beaucoup de voir au jour. Songez-y, et avertissez-moi, pendant que je suis ici, de ce que je pourrai faire nonseulement pour cela, mais encore en toute autre chose pour votre service.

A Paris, ce 7 janvier 1688.

LETTRE CXLVI.

DE DOM FRANÇOIS LAMI.

Ce Père témoigne à Bossuet combien il a été sensible à ses censures, et se défend d'avoir les sentimens que le prélat condamne. Il lui parle aussi de la Refutation de Spinosa.

J'ai reçu, avec la réponse que votre Grandeur a bien voulu faire à la Démonstration, des marques

(i) On trouvera ci-après l'écrit où Bossuet expose son sentiment sur la Démonstration du P. Lami.

(2) Le P. Lami publia en effet en 1696 un ouvrage contre Spinosa, sous ce titre : Le nouvel Atheisme renversé, ou Réfutation du systême de Spinosa, qu'il combat, dans la seconde partie, selon la méthode des géomètres.

singulières de ses bontés pour moi. J'ai eu besoin d'être aussi sensible que je le suis à celles-ci, pour trouver quelque adoucissement dans vos censures. J'en ai néanmoins trouvé à penser que vous me preniez pour un autre, et que je n'ai point les sentimens que vous censurez. Et une marque de cela, c'est que laissant à part tout ce qui s'est dit jusqu'ici, je consens le plus agréablement du monde, à m'en tenir à ce que vous me faites l'honneur de m'offrir sur la fin; c'est-à-dire, « à soutenir seulement que » la satisfaction de Jésus-Christ apporte quelque » soulagement aux damnés, et même aux démons; » et que Dieu, pour l'amour de Jésus-Christ, punit » les damnés, et même les démons, au-dessous de » leurs mérites; et qu'ils doivent cet adoucissement » aux mérites infinis de Jésus-Christ, auxquels Dieu » a plus d'égard que ne mérite leur ingratitude En voilà, Monseigneur, plus qu'il ne m'en faut, et plus que je n'en voulois. Avec cela j'abandonne le mot de supplément dans tous les sens que vous désapprouvez, et qui aussi bien ne m'étoient jamais venus dans l'esprit; et je n'en veux jamais ouïr parler, très-persuadé surtout de cette maxime de saint Augustin, que «< dès qu'on est d'accord sur les choses, > il est inutile.de disputer sur les mots »: Ubi de re constat, superflua est de verbo contentio (1),

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A l'égard des offres obligeantes que votre Grandeur veut bien me faire, je vous supplie très-humblement d'être bien persuadé que je les reçois avec tout le respect et le ressentiment que je dois. J'avois

(1) Cont. Academ. lib. 111, cap. x1, n. 25: tom. 1, col. 272.

mis la Réfutation de Spinosa au nombre des vieux registres qu'on ne veut plus regarder. Si néanmoins, Monseigneur, vous la jugez utile à la religion, vous en êtes le maître, comme de tout ce qui est à ma disposition; et vous pouvez mieux que personne lever l'obstacle qui l'a jusqu'ici retenue, c'est-à-dire, ou délivrer M. Pirot d'un fort léger scrupule, ou faire passer la réfutation par un autre canal que le sien. J'abandonne le tout à la disposition de votre Grandeur, étant moi-même avec un parfait dévouement et un égal respect, etc.

LETTRE CXLVII.

A DOM FRANÇOIS LAM I.

Bossuet tâche d'adoucir la censure qu'il avoit faite, dans son écrit, des sentimens de ce Père.

LES censures que vous dites que je vous ai faites, mon révérend Père, n'étoient pas si sérieuses que vous le pensiez par rapport à vous. Pour la doctrine, il n'y aura plus de difficulté après que vous vous êtes réduit à la proposition que je vous accorde sans difficulté. Mais il faut, s'il vous plaît, que vous avouiez de bonne foi que votre démonstration portoit à faux, et que pour réduire votre théologie à des termes tout-à-fait irrépréhensibles, il faut, ce me semble, avec ce mot de supplément ôter celui de satisfaction; parce qu'il peut y avoir un trèsmauvais sens à dire que Jésus-Christ ait satisfait pour les démons. Je verrai, quand je serai à Paris,

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