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ce qu'on pourra faire de l'ouvrage contre Spinosa, que je crois en effet être utilę.

A Versailles, ce 26 janvier 1688.

LETTRE CXLVIII.

DE DOM FRANÇOIS LAMI.

Il s'engage à envoyer à Bossuet de nouveaux éclaircissemens sur la Démonstration, par rapport aux difficultés que le prélat y avoit

trouvées.

Voici de nouveaux éclaircissemens (1) à la Démonstration, par rapport aux nuages que vous y avez trouvés. Comme je ne me suis d'abord embarqué à les faire que pour ma justification, et, si je l'ose dire, pour ma propre satisfaction, et que je n'ai songé que tard à les envoyer à votre Grandeur, vous trouverez rarement que je m'y donne l'honneur de vous adresser la parole; et je crains même que mes manières ne vous y paroissent un peu trop libres. Cela auroit peut-être dû m'obliger à les recommencer pour leur donner un autre tour: mais j'ai pensé que vous m'avez ordonné tout fraîchement d'éviter les tours et les insinuations dans ces sortes d'écrits, et d'en user avec une liberté philosophique, Je vous les envoie done tels qu'ils m'ont d'abord échappés; persuadé qu'au travers de cette liberté, vous vous souviendrez toujours de la profonde vénération que j'ai pour votre Grandeur.

(1) Ces éclaircissemens sont à la suite de cette lettre, avec l'écrit de Bossuet.

:

Vous verrez au reste, Monseigneur, dans ces éclaircissemens, que je suis fort éloigné d'être attaché au mot de supplément, et plus éloigné encore de dire que Jésus-Christ ait satisfait en faveur des démons de mes jours cela ne m'est tombé dans l'esprit. Plus je pense à cette petite contestation, plus il me paroît qu'on a besoin de s'entr'éclaircir dans les disputes. Il y arrive presque toujours que tous les deux partis ont raison et tort à divers égards. Ils ont raison, à ne regarder le sujet de la dispute que du côté qu'ils l'envisagent: mais ils ont tort de se condamner mutuellement; parce qu'ils approuveroient à leur tour ce qu'ils condamnent dans leur adversaire, s'ils voyoient ce qu'il voit, et s'ils envisageoient la chose par le côté qu'il la regarde.

Le malentendu vient donc, la plupart du temps, de ce qu'on s'imagine ne voir tous deux que le même côté : car dans cette supposition, il faudroit bien que l'un des deux se trompât; puisque l'un nie ce que l'autre affirme. Ainsi celui qui voit étant fort sûr de ce qu'il voit, et ne pouvant pas même se tromper, à ne juger que de ce qu'il voit, condamne hardiment son adversaire, persuadé que cet adversaire ne regarde la chose que du côté qu'il la voit lui-même. Mais on devroit se faire mutuellement la justice de croire qu'on regarde la chose différemment, puisqu'on en juge diversement; et tout l'usage des disputes ne devroit tendre qu'à s'étudier l'un l'autre, qu'à se tâter, pour ainsi dire, et qu'à observer par quel endroit celui à qui on a affaire, envisage le sujet de la contestation. C'est une

réflexion, Monseigneur, que m'a fait faire le progrès de notre contestation, ce que vous m'accordez et ce que vous me disputez: car enfin ce dernier n'est presque plus réduit qu'à des termes et à des expressions. Mais comme je vous en ai déjà fait un sacrifice, j'espère que rien ne me séparera jamais de votre Grandeur, et surtout du profond respect avec lequel je suis, etc.

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SENTIMENT

DE M. L'ÉVÊQUE DE MEAUX

Sur la Démonstration de dom François Lami, au sujet de la satisfaction de Jésus-Christ.

Pour décider sur la démonstration de l'auteur il n'y a qu'à lire la lettre qui l'accompagnoit. Par cette lettre il paroît qu'on veut exclure les démons (1) du nombre des damnés, pour lesquels on s'efforce de prouver, par la démonstration, que Jésus-Christ a satisfait (2). Mais si la démonstration est concluante, elle doit valoir pour les démons (3) comme pour les autres damnés. Ce n'est donc pas une bonne et valable démonstration.

REMARQUES DE D. LAMI,

AUTEUR DE LA DÉMONSTRATION.

(1) On a seulement dit que dans la proposition de la question, on n'entendoit parler que des hommes damnés.

(2) Loin de s'efforcer de prouver que Jésus-Christ a satisfait pour les démons, on l'a formellement nié dans les propositions préambulaires à la démonstration; et l'on s'est seulement efforcé, dans celle-ci, de prouver « que » Dieu se dédommage sur les satisfactions que Jésus-Christ » fait à sa justice, de l'insuffisance de la satisfaction des » damnés ».

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(3) On fera voir tantôt que cela n'est pas mais quand cela seroit, la démonstration n'en seroit que plus forte. Voyez la remarque 32.

>>

Pour en trouver le défaut, il n'y a qu'à considérer le second axiôme : « La grandeur et l'énormité du péché se mesurent par la dignité de la personne >> offensée ». Si l'auteur entend qu'elle se tire de là en partie, j'en conviens: s'il entend qu'elle s'en tire toute entière, je le nie; car il s'ensuivroit que tous les péchés seroient égaux (4).

Je conviens des trois premières propositions, conformément aux définitions que l'auteur a données de l'ordre essentiel, de la loi éternelle et de la justice. La quatrième proposition a deux parties. Sur la première, qui porte « qu'il est de l'ordre de punir » le péché », je distingue : si l'auteur entend seulement que cela est conforme à l'ordre, c'est-à-dire, que Dieu peut avec justice punir le péché, j'en conviens s'il entend que cela est essentiel (5), en

:

(4) On verra tantôt que cela ne s'ensuivroit point, et que cette distinction nuira plus à l'illustre prélat, qu'elle ne lui servira. Voyez les remarques 28 et 31.

(5) L'auteur s'est nettement expliqué : il paroît par ses définitions et par la suite des propositions qu'il parle de l'ordre essentiel, immuable, inviolable à Dieu même; de l'ordre que Dieu ne peut pas se dispenser de suivre, et de satisfaire à ce qu'il demande ; il ne le peut pas, dis-je, de cette heureuse impuissance qui naît de la plénitude, de l'abondance, et de la nécessité de l'amour dont il s'aime lui-même. Or, cet ordre ne demande rien plus absolument, plus instamment, plus essentiellement que sa conservation, ni par conséquent rien plus indispensablement que la punition de ce qui le blesse, et que la réparation de ce qui l'offense et l'outrage. Toute idée de clémence qui va à renverser cela, est une idée de clémence toute humaine : mais il y a moyen, sans blesser

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