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sorte que Dieu ne puisse pas ne le pas punir, c'est détruire l'idée du pardon, de la miséricorde et de la clémence.

Je dis donc qu'il est de l'idée de l'Etre parfait de pouvoir pardonner gratuitement (6), et d'exercer sa bonté quand il lui plaît, même sur des sujets indignes, pourvu qu'ils reconnoissent et détestent leur indignité (7): car une bonté infinie n'a besoin d'autre raison que d'elle-même pour faire du bien à sa créature (8); parce qu'elle doit trouver en elle-même tout le motif de son action.

Je m'arrête encore sur cette parole, punir le péché : car tous les théologiens sont d'accord que Jésus-Christ pouvoit mériter le pardon de tous les hommes, seulement en le demandant, tant à cause de sa dignité, qu'à cause de l'éternelle et inviolable conformité de sa volonté avec celle de son père : or, en demander le pardon (9), ce n'est pas en porter

les droits de l'ordre, de faire voir en Dieu une extrême clémence.

(6) Toujours sauf les droits de l'ordre.

(7) Ils ne le peuvent comme il faut sans médiateur.

(8) D'accord, s'il ne s'agit que de lui faire simplement du bien mais s'il s'agit de lui faire miséricorde, on ne voit pas qu'il le puisse qu'en Jésus-Christ, et que satisfait par ses satisfactions.

(9) En matière de satisfaction, c'est souvent la plus grande de toutes les peines, que de demander pardon, surtout si la personne qui le doit demander est d'une dignité fort éminente; à plus forte raison si elle est d'une dignité infinie, comme est Jésus-Christ : et ainsi la conséquence est nulle.

la peine. Dieu donc pouvoit pardonner le péché, sans en imposer la peine à Jésus-Christ.

Quant à la preuve qu'on apporte de la proposition que je viens d'examiner : « Qu'il est de l'ordre de » s'opposer à tout ce qui le blesse, et de punir tout >> ce qui l'offense »; en entendant comme l'on fait qu'on ne peut pas ne le pas punir, cela n'est pas universellement vrai; parce qu'il n'est pas de l'ordre de punir un violement de l'ordre, dont le coupable se repent (10). Or, le coupable se peut repentir d'avoir blessé l'ordre (11) : il n'est donc pas toujours de l'ordre de le punir.

Il est vrai que celui qui transgresse l'ordre ne s'en peut repentir que par la grâce de Dieu : mais il est aussi vrai qu'il n'y a nulle répugnance que Dieu lui accorde cette grâce (12), et que pour la lui accorder il n'a besoin que de sa bonté toute seule : d'où je forme ce raisonnement. Celui qui peut accorder un vrai repentir du péché n'est pas obligé de le punir or Dieu peut accorder par sa bonté un vrai

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(10) Le repentir, s'il est véritable et proportionné à l'offense, est la meilleure de toutes les punitions un homme pénétré d'une vive et amère contrition ne sent ni les roues, ni les chevalets, ni les flammes.

(11) Il ne le peut sans la grâce: et l'on ne peut pas violer plus visiblement l'ordre, que de lui donner cette grâce avant son repentir; puisque c'est récompenser ou favoriser ce qui devroit être puni.

(12) On vient de faire voir cette répugnance; et l'on peut ajouter que pour accorder cette grâce, il seroit besoin d'un médiateur pour réconcilier le pécheur avec

repentir du péché il n'est donc pas obligé de le punir, et il n'est pas même possible qu'il le punisse en toute rigueur autrement il puniroit en toute rigueur un péché dont on se repent, et un pécheur qui implore sa miséricorde, et qui met sa confiance en elle seule; ce qui est contraire à sa bonté (13).

Il ne sert de rien de dire que ce pécheur, qui implore sa miséricorde, demeure toujours pécheur; car il ne le demeure qu'en présupposant que Dieu ne lui pardonne pas: or, il est convenable que Dieu lui pardonne, et il ne peut pas ne lui point pardonner (14).

Je viens à la seconde partie de la proposition : « L'ordre demande que le péché soit puni à propor» tion de sa grandeur ». La vérité de cette seconde partie dépend de la première : or la première partie n'est pas véritable (15); et je soutiens au contraire que Dieu peut trouver sa gloire à faire surabonder sa grâce où l'iniquité a abondé (16), selon la parole

(13) Tout ce raisonnement tombe de lui-même, après les trois dernières remarques qu'on vient de faire.

(14) Et ainsi tout ce raisonnement se réduit à dire que Dieu ne peut pas punir un péché pardonné, ou un pécheur réconcilié. Il n'y a pas là grand mystère; et assurément il se trouvera peu de gens d'humeur à contester cela mais on soutiendra toujours que, pour obtenir le pardon de son péché, la créature a besoin d'un médiateur infiniment élevé au-dessus d'elle, et qu'enfin ce n'est qu'en Jésus-Christ que Dieu lui pardonne.

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(15) Il est évident, par les remarques précédentes, que la première partie est véritable: la seconde l'est donc aussi, puisqu'on avoue ici qu'elle dépend de la première.

(16) Il faut toujours ajouter : Sans préjudice de l'ordre,

de saint Paul (*). Il ne sert de rien de répondre que saint Paul parle en ce lieu en présupposant la satisfaction de Jésus-Christ (17) : car je maintiens que c'est une chose digne de Dieu par elle-même, de donner sans avoir rien qui le provoque à donner (18); au contraire, ayant quelque chose qui le provoque à ne donner pas; parce que c'est en cela que paroît l'infinité de sa clémence. Et la preuve en est bien constante; en ce que, gratuitement, et sans être provoqué par aucun bien dans l'homme pécheur, il lui a donné Jésus-Christ (19). Or ce n'est (*) Rom. v. 20.

sauf les droits de la justice, sans violer ce qu'il doit à l'ordre de la justice, à la loi éternelle.

(17) Cela sert infiniment: car c'est ce qui fait voir que ce n'est qu'en Jésus-Christ et par Jésus-Christ que Dieu fait miséricorde, et qu'il sait allier la plus étroite justice avec l'extrême clémence.

(18) On conviendra de cela en général : mais de donner et de récompenser ce qui mérite punition, de laisser le crime et le désordre impuni, de laisser blesser, violer, renverser l'ordre de la justice, sans lui faire faire nulle satisfaction, lorsqu'on le peut; c'est une clémence malentendue, c'est une bonté de femmelette, c'est ce qui est absolument indigne de Dieu; c'est enfin ce qui lui est même absolument impossible, étant essentiellement juste comme il est, et aimant comme il fait invinciblement l'ordre Impunitum non potest esse peccatum, impunitum esse non decet, non oportet, non est justum, dit saint Augustin en plusieurs endroits (*).

(19) Dieu n'a donné Jésus-Christ aux hommes, qu'en se le donnant préalablement à lui-même et à sa justice : (*) In Ps. XLIV, n. 18; in Ps. LVIII, n. 13; tom. IV, col. 3go, 565. Serm. xix, n. 2; Serm. xx, n. 2; tom. V, col. 101, 107.

pas

pas à cause de Jésus-Christ satisfaisant qu'il lui a donné Jésus-Christ satisfaisant Dieu donc peut faire du bien, et le plus grand de tous les biens, au pécheur, sans y être invité par d'autres motifs que par celui de sa bonté (20).

De là je tire encore une autre preuve : c'est que le même ordre, qui demande que le pécheur soit puni, demande aussi qu'il le soit en la personne du coupable (21): car c'est là ce qui s'appelle faire justice; c'est là ce qui s'appelle réparer le désordre du péché, que de le punir où il est, et dans celui qui l'a commis. Or Dieu se peut relâcher de la punition du pécheur en sa personne (22): donc l'ordre qui demande que le péché soit puni, n'est pas un ordre essentiel et indispensable.

Ce qu'on peut encore tourner d'une autre manière. Dieu peut se relâcher par sa bonté du droit qu'il a d'exiger la peine du péché du pécheur même, en acceptant volontairement pour lui la satisfaction d'un autre, comme il a fait celle de Jésus-Christ pour nous; et il pourroit à la rigueur n'accepter pas cette satisfaction étrangère, et exercer tout son

content de la satisfaction que son Fils lui fait, il le donne aux hommes pour leur être favorable, et comme une hostie de propitiation.

(20) Voyez la quatorzième remarque.

(21) Ou de quelqu'un qui satisfasse pour lui.

(22) Pourvu qu'une victime plus digne de la grandeur et de la justice de Dieu, reçoive cette punition : et comme c'est ce que Jésus-Christ a fait, la conséquence est absolument nulle.

BOSSUET. XXXVII.

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