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pût pas ne pas satisfaire infiniment pour ceux à qui positivement il ne vouloit pas appliquer sa satisfaction infinie.

La troisième erreur, où l'on veut venir par les deux autres, est que, supposé le péché ou des démons ou des hommes, Dieu soit autant nécessité d'incarner son Fils (48), que de s'aimer lui-même; en sorte que l'œuvre de la plus grande miséricorde et de l'amour le plus gratuit, soit en même temps l'œuvre de la plus grande et de la plus inévitable nécessité.

en leur faveur, et sans qu'il ait eu nulle bonne volonté pour eux.

(48) Mais ce n'est pas là une troisième erreur comprise dans la proposition ce n'est que la proposition même en question. Voici néanmoins quelque chose de différent qu'on y oppose.

C'est, dit l'illustre prélat, qu'à ce compte il faudra que « l'œuvre de la plus grande miséricorde et de l'a» mour le plus gratuit, soit en même temps l'œuvre de » la plus grande et de la plus inévitable, nécessité ».

Mais ce qu'on regarde là comme une contradiction, loin d'être une erreur, est ce qui fait une partie de la grandeur du mystère : en voici le dénouement. Le mystère de l'Incarnation, regardé par rapport à Dieu, est, dans cette supposition, d'une inévitable nécessité; parce que la justice, la loi éternelle, l'ordre inviolable le demande mais il est en même temps l'œuvre de la plus grande miséricorde, et de l'amour le plus gratuit; parce Dieu a bien voulu que les hommes y eussent part, et que Jésus-Christ a bien voulu répandre son sang, pour retirer de la damnation de misérables et d'indignes pécheurs, pouvant justement les y laisser.

que

BOSSUET. XXXVII.

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Je condamne hardiment ces trois propositions (49), comme inouies dans l'Eglise, et comme contraires à la tradition et à la théologie de nos pères.

Quand l'auteur se voudra réduire à soutenir seulement que Dieu, pour l'amour de Jésus-Christ, punit les damnés, et même, si l'on veut, les démons, au-dessous de leurs mérites (50), selon mes lumières présentes je ne m'y opposerai pas. Mais j'espère aussi qu'il voudra bien corriger cette proposition, « que les satisfactions de Jésus-Christ » soient un supplément de celle des damnés » : car ce terme de supplément est dur et odieux, pour deux raisons: l'une, à cause que c'est mal parler de la satisfaction de Jésus-Christ, qui pourroit acquitter la dette entière, de la faire considérer comme un supplément : l'autre est, mon révérend Père, que, quoi que vous puissiez dire, ce qui est regardé comme un supplément ne fait qu'un seul et même paiement total avec la somme, dont il supplée le défaut. Avec ces deux correctifs, j'accorde sur ce sujet tout ce qu'il vous plaira (51). Mais si je devine

(49) On espère que l'illustre prélat voudra bien lever ces censures, lorsqu'il se sera donné la peine de lire nos éclaircissemens.

(50) Je vous ai déjà dit, Monseigneur, que bien loin d'avoir peine à me réduire à cette proposition, je n'en demande pas tant; et que toute ma peine en m'y réduisant, seroit d'en dire peut-être trop, et toujours plus que je ne voudrois.

(51) Nous voilà donc, Monseigneur, parfaitement d'accord sur cette proposition, qui sembloit d'abord m'éloigner de votre Grandeur par de si prodigieux espaces.

bien, vous ne vous soucierez guère en cela de ma complaisance; puisque vous n'y trouverez pas votre incarnation démontrée, qui est le but où vous tendez avec votre ami, et où je puis bien vous assurer que vous ne ferez jamais venir les orthodoxes (52).

Que si vous me demandez maintenant, d'où vient donc que Dieu a pris cette voie de la satisfaction de Jésus-Christ : quand je dirai que je n'en sais rien, et que j'aime mieux demeurer court sur cette demande, que d'y chercher des réponses contraires à l'analogie de la foi (53), il faudra en demeurer

Car assurément le mot de supplément ne me tient nullement au cœur : et quoique, après les explications que je lui ai données, dans la Démonstration et dans la lettre qui l'accompagnoit, il ne doive faire nulle difficulté ; néanmoins je vous l'abandonne, n'étant nullement d'humeur à disputer d'un mot.

(52) Je me suis déjà expliqué là-dessus; et assurément les orthodoxes ne devroient avoir nulle peine à se rendre à un sentiment qui paroît si avantageux à la religion, et d'une si grande force contre les libertins et les Sociniens.

(53) Est-il possible qu'il faille regarder comme contraire à l'analogie de la foi, de dire qu'il n'y a eu qu'un hommeDieu qui ait pu satisfaire en rigueur à la justice divine, et nous réconcilier avec Dieu ? Et n'est-ce pas ce que saint Paul insinue en tant d'endroits de son Epître aux Hébreux, et ce qu'il marque surtout par ces paroles (*): Talis enim decebat ut nobis esset Pontifex, sanctus, innocens, impollutus, segregatus à peccatoribus, et excelsior cœlis factus, etc.

Le malentendu de tout cela, c'est que dans l'incarna(*) Hebr. VII. 26.

là. Je crois néanmoins pouvoir trouver dans les Ecritures et dans la doctrine des saints, un dénouement plus solide et plus simple de toutes les questions de la satisfaction de Jésus-Christ. Mais ce n'est pas de quoi il s'agit, et je ne veux pas m'engager dans cette matière : tout ce que j'en puis dire en trois mots, c'est que quiconque croira trouver dans les satisfactions de Jésus-Christ les règles d'une justice étroite, demeurera court en deux endroits essentiels : l'un, quand il faudra expliquer comment Jésus-Christ a satisfait à la seconde personne de la Trinité (54), c'est-à-dire, à lui-même; et l'autre,

tion on ne veut songer qu'à l'intérêt de l'homme, et point du tout aux intérêts de Dieu, ni de sa justice. Si cependant on vouloit examiner les saintes Ecritures sous ces deux regards, on trouveroit que quelque soin qu'elles aient eu de nous rendre l'incarnation aimable du côté de notre intérêt, elles n'en ont pas moins eu de nous la rendre vénérable du côté de la gloire de Dieu, et de l'intérêt de sa justice. Gloria in excelsis Deo, et in terrá pax hominibus bonæ voluntatis : voilà les deux fins de l'incarnation nettement marquées par les anges, qui eurent ordre d'en porter la nouvelle aux hommes: premièrement, la réparation de la gloire de Dieu, avant toutes choses, Gloria Deo; et puis, la réconciliation des hommes, Pax hominibus.

(54) On ne voit pas qu'il y ait-là une fort grande difficulté, ni que rien de cela empêche que la satisfaction de Jésus-Christ ne soit parfaitement étroite. Car premièrement, comme le péché est opposé à la sainteté de Dieu et à l'ordre, qui, comme nous l'avons dit dans la Démonstration, consiste dans les rapports qui se trouvent entre les perfections comprises dans l'essence divine, il

comment on sauve la justice étroite, dans une satisfaction où ce n'est point le coupable même qui est puni en sa personne (55).

est visible que le péché regarde Dieu comme Dieu, et non pas comme Trinité : et qu'ainsi il suffit que la satisfaction regarde Dieu selon ce qu'il a d'absolu, et non pas selon ce qu'il a de relatif, sans qu'il soit besoin que la seconde personne se satisfasse à elle-même comme personne. Secondement, on ne peut pas imaginer une plus étroite justice que celle où l'on paie un prix infini, et que celle où c'est un Dieu qui satisfait.

(55) Mais, dit-on, ce n'est pas le coupable même. Non, Dieu a jugé à propos de l'épargner, dans la vue de son grand dessein: mais c'est une personne divine, chargée de toutes les livrées du coupable, c'est-à-dire, revêtue de sa nature, de ses foiblesses, de ses infirmités, et enfin de tout ce qui lui appartient, le péché excepté : peut-il y avoir une plus terrible justice?

On peut encore ajouter que Jésus-Christ a satisfait à la seconde personne de la Trinité, c'est-à-dire, à luimême. Il est vrai qu'on ne conçoit pas qu'une personne qui ne subsiste qu'en une nature et qui ne termine qu'une nature, puisse se satisfaire à soi-même. Mais si elle subsiste en deux natures, et qu'elle termine deux natures, comme la personne du Verbe termine la nature divine et la nature humaine, il est aisé de concevoir que cette adorable personne, en tant que terminant la nature humaine, se satisfasse à soi-même en tant que terminant la nature divine.

Il ne faut pas une plus grande distinction pour une satisfaction étroite, que pour une vraie obéissance. Or, Jésus-Christ, quoique vraiment Dieu, a véritablement obéi à Dieu, et conséquemment à soi-même : il a donc pu aussi se faire satisfaction à soi-même.

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