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LETTRE CLI.

A M. DE RANCÉ, ABBÉ DE LA TRAPPE.

Sur des incidens qui retardoient la publication du Commentaire de cet abbé, et sur l'armement du prince d'Orange.

Il est vrai, Monsieur, que nous entendîmes durant quelques heures beaucoup de difficultés assez légères, parmi lesquelles il y en avoit deux ou trois que je jugeai de conséquence, et dont M. du Peirier a dû vous rendre compte. Je n'ai pu rejoindre M. de Rheims, quelque soin que j'en aie pris, et quoique j'aie attendu à partir jusqu'à la veille de mon synode, qui ne me permettoit plus de retarder. Ce n'est pas qu'il y ait aucun changement dans ce prélat, qui comme moi a beaucoup estimé l'ouvrage. Mais ou il a été malade, comme il l'est encore, ou il est arrivé d'autres incidens, autant imprévus qu'inutiles à raconter. Je lui avois proposé de convenir par lettres; il n'y a pas eu moyen : il a trouvé cette voie trop longue; et comme j'eusse pu prendre le parti de faire un tour à Paris pour achever, il a été attaqué très-violemment des hémorrhoïdes, mal qui lui est assez ordinaire : si bien que la chose est remise. Cependant cela fait beaucoup discourir. On a dit que je ne voulois pas approuver; et puis qu'on faisoit beaucoup de cartons. J'ai répondu ce que je devois; mais cependant ces contre-temps me fâchent beaucoup.

On mande de tous côtés que ce grand armement

du

du prince d'Orange tombe enfin sur la France, où les Huguenots remuent de toutes parts; c'est-à-dire, qu'il faut beaucoup prier et s'abandonner à la volonté de Dieu. Il n'y avoit point d'apparence de s'éloigner dans l'état où l'on étoit. A vous, Monsieur, de tout mon cœur.

A Germigny, ce 2 septembre 1688.

LETTRE CLII.

A DOM MABILLON.

Sur une lettre du cardinal Colloredo, et les menacés qu'on faisoit contre l'Eglise catholique et contre la France.

La lettre de M. le cardinal de Colloredo est assurément, mon cher et révérend Père, la plus obligeante qu'on pût jamais recevoir : c'est ce que j'ai impatience de vous témoigner. Il faut prier Dieu qu'on écoute à Rome de tels cardinaux.

Je suis venu célébrer ici la fête de saint Denis dans une paroisse qui lui est dédiée; afin d'exciter les peuples à la prière, dans ces menaces terribles, qu'on fait autant contre l'Eglise catholique que contre l'Etat (r). C'est le cas plus que jamais d'invoquer Dieu, et de demander les prières de l'ancien protecteur de nos rois et de la France. Je suis à vous,

(1) Dès 1686 les ennemis de la France avoient formé une ligue redoutable connue sous le nom de la ligue d'Ausbourg, et menaçoient ce royaume de la guerre la plus terrible qu'il eût encore eu à soutenir. Louis XIV, pour prévenir leurs mauvais desseins, envoya cette année 1688, au-delà du Rhin, une armée qui eut de très-grands succès.

BOSSUET. XXXVII.

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mon révérend Père, de tout mon cœur, et avec toute la sincérité que Vous savez.

A Coulommiers, ce 9 octobre 1688.

LETTRE CLIII.

A M. L'ABBÉ RENAUDOT.

Il lui témoigne le désir qu'il a de le voir admis dans l'académie française (1).

Si nous faisions bien à l'académie, ce seroit, Monsieur, des gens comme vous qu'il y faudroit appeler; mais cela se mène d'une manière qu'il n'est pas possible de vous en rien dire de si loin. Tout ce que je puis vous assurer, c'est que si la chose est en son entier à mon arrivée, qui sera avant la fin de l'année, je serai de tout mon cœur pour vous, et j'attirerai à ce parti ce que je pourrai de mes amis. Je ne fais que gémir sur l'Angleterre. Je suis, Mon sieur, à vous de tout mon cœur,

t

A Meaux, ce 22 décembre 1688.

LETTRE CLIV.

DE M. L'ABBÉ RENAUDOT.

Sur la lettre suivante de milord Perth.

Je vous envoie, Monseigneur, une lettre de milord chancelier d'Ecosse, que je reçus il y a quatre jours,

(1) L'abbé Renaudot fut reçu à l'académie française l'année suivante, à la place de M. Doujat.

et que j'ai mise en français. Il est de la dernière conséquence que ni l'original ni la copie ne sortent pas de vos mains: car une semblable lettre suffiroit, dans des temps difficiles, pour lui faire son procès. Je ne vous l'ai pas envoyée à Meaux, sachant que vous deviez arriver bientôt. Je remets le reste de ma commission à la première visite que j'aurai l'honneur de vous rendre. Je vous supplie, Monseigneur, d'être toujours persuadé de mon très-profond respect.

LETTRE CLV.

DE MILORD PERTH.

Ses généreuses et saintes dispositions au milieu des souffrances que sa fidélité pour son Roi lui attiroit. A quel excès de fureur les séditieux s'étoient portés dans leur révolte. Pieux désirs de cet illustre captif.

J'AI mandé à M. l'abbé Renaudot que quoique peut-être ce point d'honneur, et cette fidélité inviolable et non interrompue de ma maison m'ont mis ici (1), à cause que je demeure fidèle au Roi

(1) Lors de la grande révolution arrivée en Angleterre au mois de novembre 1688, causée par l'invasion du prince d'Orange, qui souleva les trois royaumes contre Jacques II, son beau-père; le Roi, la Reine, avec le jeune prince de Galles leur fils, furent obligés de se réfugier en France. Milord Perth, chancelier d'Ecosse, se vit aussi contraint de sortir d'Edimbourg. Ses eunemis pillèrent indignement sa maison; et l'ayant arrêté, ils l'enfermèrent dans le château de Sterling, où il fut gardé très-étroitement pendant deux ans et sept mois. Après ce terme on lui accorda quelque adoucissement, à cause de ses infirmités; mais on le remit ensuite en pri

mon maître si cruellement outragé; je vous ai cependant cette obligation, que par la grâce, la miséricorde et la bonté de Dieu envers moi, vous avez été l'instrument par lequel ce que je souffre est en quelque manière sanctifié; et non-seulement m'est devenu supportable, mais doux et agréable. Ce n'est pas seulement pour le Roi mon maître, mais pour mon Dieu, que je suis présentement dans la souffrance: et comme il y a de la noblesse et de la grandeur à souhaiter de souffrir seulement pour l'amour de son souverain, que ne doit-on pas être prêt à souffrir, lorsque avec cela on souffre pour la religion catholique et par principe de conscience? Pour moi je suis un des plus foibles hommes qu'il y ait, et je n'ai rien de bon, capable de me soutenir. Cependant je rends grâces à Dieu pour la miséricorde qu'il me fait; car elle est plus qu'abondante de sorte que j'ai eu même quelques scrupules d'avoir été si peu sensible à ce qui m'est arrivé. Vous en saurez le détail, s'il vaut la peine de fatiguer votre patience, par mon frère et par le *principal du collége Ecossais.

On ne peut que fort incertainement juger quel

son, d'où il ne fut élargi qu'au bout de neuf mois : enfin on lui permit de sortir du royaume. Il se retira d'abord à Rome, où sa vertu et son zèle pour la religion catholique le firent beaucoup estimer. Etant passé en France, il fut premier gentilhomme du roi Jacques II, gouverneur du prince de Galles Jacques III, connu sous le nom du chevalier de Saint-Georges, et grand chambellan de la Reine sa mère. Il mourut à Saint-Germain-eu-Laye le 10 mai 1716, en sa soixante-huitième année : son corps fat apporté à Paris, et enterré dans le collége des Ecossais. Ses plus grands ennemis n'ont jamais pu lui objecter d'autre crime que sa catholicité.

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