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tour prendront les affaires de ce royaume déchiré, Mais je suis bien fâché que vous ayez un nouvel argument, si important pour confirmer votre doctrine dans la seconde édition de votre Histoire des Variations des Protestans, tel qu'est celui que ces royaumes vous fournissent. Mais si cela peut gagner une seule ame à Dieu, toutes les pertes temporelles qui peuvent arriver à qui que ce soit seront bien employées.

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Je ne doute pas que vous ne voyiez souvent le Roi mon très-cher maître. Il n'y a point d'homme dont l'éloquence et la piété puissent plus efficacement donner quelque consolation à Sa Majesté, qui néanmoins, comme je crois, par son tempérament naturel, en a aussi peu de besoin que personne qui seroit en pareil état. Mais ce qu'il souffre est fort grand. Je vous supplie, pour l'amour de Jésus, d'employer vos sages exhortations à le soutenir dans son affliction, et de lui accorder surtout vos saintes prières, afin que notre Seigneur le rétablisse dans ses royaumes, et ses sujets dans leur bon sens ; car il règne de toutes parts une espèce de folie générale.

Je suis fort étroitement gardé, de sorte que cette lettre est écrite et sera envoyée à la dérobée. Mais comme apparemment je n'aurai jamais l'occasion ni le moyen de vous écrire encore, je vous ai écrit celle-ci pour vous demander votre bénédiction, et vos prières. J'espère que notre Seigneur, qui vous a fait servir d'un si bon instrument pour me rendre de la véritable religion, et qui m'a mis, quoique très-indigne, en état de souffrir pour elle, vous

exaucera, en m'accordant la bénédiction d'une heureuse mort, et d'une éternité de bénédiction et de joie.

Je vous écrivis au commencement de ces troubles, pour vous remercier de votre excellent livre (1). Il est heureusement échappé des mains de la canaille, lorsqu'on pilla ma maison: mais ils brûlèrent un crucifix, le portrait du Roi, le vôtre et le mien, dans un même feu, à la croix du marché d'Edimbourg. Vous voyez qu'ils m'ont mis en trop bonne compagnie.

J'ai une très-humble prière à vous faire, qui est que, si c'est la volonté de Dieu que je meure en ce temps-ci, comme il paroît fort probable, et que ma femme continue dans la résolution qu'elle a de passer en France, vous vouliez bien, par votre autorité et par vos avis, avancer ses pieux desseins, et que vous vouliez bien tenir lieu de père à mon fils, et être ami de mon frère. C'est une trop grande présomption de vous faire des demandes si hardies: mais les circonstances de l'état où je suis feront que vous me pardonnerez volontiers. Ayez aussi la bonté de me donner votre bénédiction, que je vous demande en me prosternant.

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Tous les ecclésiastiques sont maintenant si maltraités, qu'ils n'osent paroître; et ainsi j'ai encore moins d'espérance d'en pouvoir voir aucun sorte que me trouvant privé de tout le secours que je pourrois espérer en ce monde, les prières des personnes comme vous, Monseigneur, me sont

(1) L'Histoire des Variations des Eglises Protestantes.

encore plus nécessaires. J'espère que notre Seigneur, qui sait avec quelle sincérité j'estime les ordres qu'il a établis dans sa sainte Eglise, et les bénédictions qu'elle répand, suppléera à ce qui me manque; puisque ce n'est pas par ma faute, mais par la nécessité, et qu'il me fera une plus grande part de ses consolations immédiates. Je suis, etc. Du château de Sterling, ce 21 janvier 1689.

LETTRE CLVI.

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DE BOSSUET A MILORD PERTH.

Il le félicite du bonheur qu'il a de souffrir pour la foi et pour son prince, lui témoigne le désir qu'il a de travailler, aux dépens de sa vie même, au salut de l'Angleterre, et lui donne les consolations les plus propres à le soutenir dans sa captivité.

Si je me suis toujours senti très-honoré, et si mon cœur s'est attendri toutes les fois que j'ai reçu les aimables et pieuses lettres d'un comte de Perth, et l'un grand chancelier d'Ecosse converti à la foi ; jugez combien j'ai été touché en recevant celle d'un prisonnier de Jésus-Christ. C'est le plus glorieux caractère que puisse porter un chrétien : c'est un caractère qui le met au rang des apôtres; puisqu'un saint Paul a pris si souvent cette qualité, et qu'il n'y a rien au-dessus, que la gloire si désirable de mourir pour son Sauveur. Je loue Dieu, Milord, de tout mon cœur, de vous voir dans cet esprit : j'en ressens l'épanchement et la plénitude dans toutes les paroles de votre lettre. Tout y respire l'amour

de Jésus-Christ, mais de Jésus-Christ dans son Eglise et dans le lien de l'unité. Qu'on est heureux de souffrir pour cette cause! Car, pour ceux qui souffrent dans le schisme, ils n'auront jamais qu'un zèle amer; et toutes vos lettres, principalement la dernière, ne sont que charité, douceur et paix.

Je ne suis guère moins touché de votre inviolable attachement pour le Roi votre cher maître. L'hérésie se montre pour ce qu'elle est, en soufflant de tous côtés la rebellion et la perfidie. Pour vous, mon cher frère; car je veux, en oubliant toutes ces qualités qui vous rendent illustre dans le siècle, ne vous plus parler que comme à un chrétien; conservez ce tendre amour et cette inaltérable fidélité pour votre prince: ne cessez d'en donner l'exemple au milieu d'une nation infidèle; et qu'enfin, à la vie et à la mort, le nom du Roi votre maître soit dans votre bouche avec celui de Jésus-Christ et de I'Eglise catholique, comme choses inséparables. Dieu est en ces trois noms; et je sais que votre Roi vous seroit cher, quand vous ne regarderiez autre chose en sa personne sacrée que l'ordre de Dieu qui l'a établi, et l'image de sa puissance sur la terre; et quand il ne seroit pas, comme il l'est, un vrai défenseur de la foi (1), à meilleur titre que ses derniers prédécesseurs.

(1) Henri VIII, roi d'Angleterre, ayant composé un livre portant pour titre, Des sept Sacremens, contre l'insolent ouvrage de Luther, intitulé, De la Captivité de Babylone, Léon X, aprés en avoir délibéré avec les cardinaux, adressa une Bulle à ce prince, par laquelle il lui conféroit, et à tous les rois d'Angleterre qui viendroient après lui, le titre de Défenseur de la foi. Les succes

Qui suis-je pour consoler un si grand Roi, comme vous le souhaitez? J'ai eu l'honneur de lui rendre souvent mes très-humbles respects pendant qu'il a été ici, et d'être très-bien reçu de Sa Majesté. Mais j'ai bientôt reconnu que ce prince n'avoit pas besoin de mes foibles consolations. Il a au dedans un consolateur invisible qui l'élève au-dessus du monde. Trois royaumes qu'il a perdus ne sont estimés de lui que comme l'illustre matière du sacrifice qu'il offre à Dieu, et s'il songe, comme il le doit, à se rétablir dans le trône de ses ancêtres, c'est moins pour sa propre gloire, que pour retirer ses malheureux peuples de l'oppression où ils se jettent à l'aveugle. Au reste, s'il a été si honteusement abandonné et trahi par ses infidèles sujets, il a trouvé tous les Français prêts à répandre leur sang pour ses intérêts, et pour ceux de son héritier, et le Roi notre maître, qui lui-même nous inspire à tous ces sentimens. Dieu fera un coup de sa main quand il lui plaira : il sait élever et abaisser, pousser jusqu'au tombeau et en retirer, et dissiper en un moment la gloire et le vain triomphe de l'impie. Mais quoi qu'il ait résolu du Roi votre maître, nous respecterons toujours plus en sa personne la gloire d'un Roi confesseur, que la puissance d'un Roi triomphant.

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Je ne sais comment j'oublie, en vous écrivant, que vous êtes dans la captivité et dans la souffrance. Dieu sait combien j'ai été sensible au récit que l'on

seurs de Henri VIII, quoique séparés de l'Eglise Romaine, n'ont pas laissé que de conserver ce glorieux titre, dont cependant le schisme et l'hérésie les avoient justement dépouillés.

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