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LETTRE XIII.

AU MARECHAL DE BELLEFONDS.

Il lui détaille les raisons qui l'ont porté à accepter l'abbaye de Saint-Lucien de Beauvais ; lui marque l'usage qu'il prétend faire de ses revenus; se justifie sur ce qu'on a blâmé dans sa conduite; lui parle de la conversion de M. de Troisville; l'entretient des heureuses dispositions de M. le Dauphin, et des dangers auxquels il est exposé; et lui témoigne combien il espère - d'heureux effets de son livre de l'Exposition.

JE commencerai ma réponse par où vous avez commencé votre lettre du 28 août. Je ne m'attends à aucune conjouissance sur les fortunes du monde, de ceux à qui Dieu a ouvert les yeux pour en découvrir la vanité. L'abbaye que le Roi m'a donnée me tire d'un embarras et d'un soin qui ne peut pas compatir long-temps avec les pensées que je suis obligé d'avoir. N'ayez pas peur que j'augmente mondainement ma dépense : la table ne convient ni à mon état ni à mon humeur. Mes parens ne profiteront point du bien de l'Eglise. Je paierai mes dettes, le plutôt que je pourrai elles sont, pour la plupart, contractées pour des dépenses nécessaires, même dans l'ordre ecclésiastique; ce sont des bulles, des ornemens, et autres choses de cette

nature.

Pour ce qui est des bénéfices, assurément ils sont destinés pour ceux qui servent l'Eglise. Quand je n'aurai que ce qu'il faut pour soutenir mon état, je ne sais si je dois en avoir du scrupule je ne veux

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pas aller au-delà; et Dieu sait que je ne songe point à m'élever. Quand j'aurai achevé mon service ici, je suis prêt à me retirer sans peine, et à travailler aussi, si Dieu m'y appelle. Quant à ce nécessaire pour soutenir son état, il est malaisé de le déterminer ici fort précisément, à cause des dépenses imprévues. Je n'ai, que je sache, aucun attachement aux richesses: et je puis peut-être me passer de beaucoup de commodités: mais je ne me sens pas encore assez habile pour trouver tout le nécessaire, si je n'avois précisément que le nécessaire; et je perdrois plus de la moitié de mon esprit, si j'étois à l'étroit dans mon domestique. L'expérience me fera connoître de quoi je me puis passer alors je prendrai mes résolutions; et je tâcherai de n'aller pas au jugement de Dieu avec une question problématique sur ma conscience.

Je vous serai fort obligé de m'écrire souvent de la manière que vous avez fait. Ce n'étoit pas une chose possible de me tirer d'affaire par les moyens dont vous me parlez. Je tâcherai qu'à la fin tout l'ordre de ma conduite tourne à édification pour l'Eglise. Je sais qu'on y a blâmé certaines choses, sans lesquelles je vois tous les jours que je n'aurois fait aucun bien. J'aime la régularité; mais il y a de certains états où il est fort malaisé de la garder si étroite. Si un certain fonds de bonne intention domine dans les cœurs, tôt ou tard il y paroît dans la vie; on ne peut pas tout faire d'abord. Nous avons souvent parlé de ces choses, M. de Grenoble (1) et moi;

(1) Etienne Le Camus, évêque de Grenoble en 1671, depuis cardinal, mort en 1707.

nous sommes assez convenus des maximes. Je prie Dieu qu'il me fasse la grâce d'imiter sa sainte conduite.

Je me réjouis avec vous, et avec M. de Troisville, de ce que vous serez tous deux ensemble: je vous porte souvent devant Dieu tous les deux. Consolezvous ensemble, avec l'Ecriture, de toutes les misères de ce lieu d'exil. Vous ne pouvez suivre une meilleure conduite que celle de M. de Grenoble : je veux bien venir en second; je veux dire pour les lumières, mais non pour l'affection.

Le livre qu'on a écrit contre moi servira considérablement à notre cause. Je répondrai quelque chose, non pour faire des contredits; mais pour aider nos frères à ouvrir les yeux. Hélas, que les hommes les ont fermés! J'ai peur que l'habitude de voir des aveugles et des endurcis, ne fasse qu'on perde quelque chose de l'horreur et de la crainte d'un si grand mal. Quelles glaces et quelles ténèbres! On n'a ni oreilles, ni yeux, ni cœur, ni esprit, ni raison pour Dieu. Sauvez-nous, sauveznous, Seigneur; car les eaux ont passé par-dessus nos têtes, et pénètrent jusqu'à nos entrailles. Je laisse aller ma main où elle veut; et mon cœur cependant s'épanche en admirant les miséricordes que Dieu vous a faites, en des manières si différentes, à vous et à M. de Troisville.

J'interromps, pour vous prier de lui dire que j'ai fait ses remercîmens au Roi, qui les a bien reçus. Il me demanda s'il étoit bien affermi : je lui dis que je le voyois fort désireux de son salut, et y travailler avec soin ; que les grâces que Dieu lui faisoit étoient

grandes. Il s'enquit qui l'avoit converti : je répliquai: Une profonde considération sur les misères du monde, et sur ses vanités souvent repassées dans l'esprit. J'ajoutai que m'ayant communiqué son dessein, j'avois tâché de l'affermir dans de si bonnes pensées.

Il faut que je vous dise un mot de M. le Dauphin. Je vois, ce me semble, en lui des commencemens de grandes grâces, une simplicité, une droiture et un principe de bonté : parmi ses rapidités, une attention aux mystères; je ne sais quoi qui se jette au milieu des distractions, pour le rappeler à Dieu. Vous seriez ravi si je vous disois les questions qu'il me fait, et le désir qu'il me fait paroître de bien servir Dieu. Mais le monde, le monde, le monde, les plaisirs, les mauvais conseils, les mauvais exemples! Sauveznous, Seigneur, sauvez-nous; j'espère en votre bonté et en votre grâce : vous avez bien préservé les enfans de la fournaise; mais vous envoyâtes votre ange: et moi, hélas ! qui suis-je ! Humilité, tremble. ment, enfoncement dans son néant propre, confiance, persévérance, travail assidu, patience. Abandonnons-nous à Dieu sans réserve, et tâchons de vivre selon l'Evangile. Ecoutons sans cesse cette parole: «< Or, il n'y a qu'une chose qui soit nécessaire >> : Porro unum est necessarium (1).

Je ne demande pas mieux que d'entretenir à fond Madame de Schomberg. Tôt ou tard mon petit ouvrage. (2) servira aux Huguenots : la contradiction de deça, et l'approbation incroyable qu'il reçoit à

(1) Luc. x. 42.

(2) L'Exposition de la Foi catholique.

Rome, me font comme voir, d'un côté, le diable qui le traverse; et de l'autre, Dieu qui le soutient.

Je ne finirois pas si je ne me retenois. Je ne parle point ici; il faut donc bien que j'écrive, et que j'écrive, et que j'écrive. Hé! ne voilà-t-il pas un beau style pour un si grand prédicateur? Riez de ma simplicité et de mon enfance, qui cherche encore des jeux. J'embrasse M. de Troisville. On me reproche tous les jours que je le laisse à l'abandon à ces Messieurs : je soutiens toujours qu'il est de mon parti, et sérieusement. Quand sa théologie sera parvenue jusqu'à examiner les questions de la grâce, je lui demande une heure ou deux d'audience; et, en attendant, une grande suspension de jugement et de pensées. Priez pour mon enfant et pour moi.

A Versailles, ce 9 septembre 1672.

LETTRE XIV.

A M. DIROIS, DOCTEUR DE SORBONNE.

Sur la traduction du livre de l'Exposition, qu'on méditoit de faire à Rome.

Il y a déjà fort long-temps que je me suis donné l'honneur de vous écrire une grande lettre, au sujet d'une des vôtres que M. le curé de Saint-Jacques-duHaut - Pas me fit voir. Vous y parliez d'un dessein qu'on avoit à Rome, de faire traduire mon Exposition, et ensuite de l'y imprimer. Je reçus en même temps une lettre de M. de Blancey, qui me mandoit ce que monseigneur le cardinal Sigismond Chigi lui

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