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est antérieure à la multitude. On peut même dire que la force est le constitutif des substances, comme l'action, qui est l'exercice de la force, en est le caractère : car les actions ne conviennent qu'aux substances, et conviennent toujours à toutes les sub

stances.

II. Lorsqu'il s'agit de l'idée de la force, je ne saurois faire autre chose que d'en donner la définition, comme j'ai fait : les propriétés qu'on en tirera la feront d'autant mieux connoître. Son idée n'est point du nombre de celles qu'on peut atteindre par l'imagination; et on ne doit rien chercher ici qui la puisse frapper. Ayant mis à part l'étendue et ses modifications ou changemens, on ne trouvera rien dans la nature qui soit plus intelligible que la force.

III. Mon axiome n'est pas seulement: Quòd effectus integer respondeat causæ plenæ ; mais, Quòd effectus integer sit æqualis causæ plenæ. Et je ne l'emploie pas pour rendre raison de la force primitive, qui n'en a point besoin; mais pour expliquer les phénomènes de la force secondaire car il me fournit des équations dans la mécanique, comme l'axiome vulgaire, que le tout est égal à ses parties prises ensemble, nous en fournit dans la géométrie. La force primitive dans les corps est indéfinie d'ellemême mais il en résulte la force secondaire, qui est comme une détermination de la primitive, provenant des combinaisons et rencontres des corps.

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IV. Je n'ai garde de dire, que la controverse de la présence réelle est terminée par ce que j'ai proposé mais il me semble au moins que cette pré

sence

sence est incompatible avec l'opinion de ceux qui font consister l'essence du corps dans l'étendue. L'impénétrabilité naturelle des corps ne vient que de leur résistance, qui doit obéir à la volonté de Dieu et cette résistance des corps n'est autre chose que la puissance passive de la matière.

V. Ce que j'ai répondu à la première difficulté servira encore ici : et puisque tout ce qu'on conçoit dans les substances, se réduit à leurs actions et passions, et aux dispositions qu'elles ont pour cet effet, je ne vois pas qu'on y puisse trouver quelque chose de plus primitif, que le principe de tout cela, c'està-dire, que la force. Il est bien manifeste aussi que la force d'agir des corps est quelque chose de distinct, et d'indépendant de tout ce qu'on y conçoit d'ailleurs tout le reste y étant comme mort sans elle, et incapable de produire quelque changement. La faculté, qui faisoit du bruit dans les écoles, n'est rien qu'une possibilité prochaine pour agir : mais la force d'agir est une entéléchie ou bien ún acte positif; et c'est ce qu'on demande. La seule possibilité ne produit rien, si on ne la met en acte; mais la force produit tout. Elle est portée de soimême à l'action; et on n'a point besoin de l'aider; il suffit qu'on ne l'empêche point.

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On peut ajouter ce qu'il y a sur cette matière dans le Journal des Savans, 18 juin 1691, 16 juillet 1691, et 5 janvier 1693.

BOSSUET. XXXVII.

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LETTRE CLXXVII.

A LEIBNIZ.

Bossuet lui fait connoître le jugement qu'il porte de ses écritssur l'essence du corps.

TOUTES les fois que M. de Leibniz entreprendrą de prouver que l'essence du corps n'est pas dans l'étendue actuelle, non plus que celle de l'ame dans la pensée actuelle, je me déclare hautement pour lui. J'ai même travaillé sur ce sujet; et je prétends pouvoir démontrer par M. Descartes, qu'il n'a point sur cela un autre sentiment que celui de l'Ecole. En cela donc, comme en beaucoup d'autres choses, ses disciples ont fort embrouillé ses idées : les siennes, même n'ont pas été fort nettes, lorsqu'il a conclu l'infinité de l'étendue par l'infinité de ce vide qu'on imagine hors du monde; en quoi il s'est fort trompé et je crois que de son erreur on pourroit induire par conséquences légitimes, l'impossibilité de la création et de la destruction des substances; quoique rien au monde ne soit plus contraire à l'idée de l'Etre parfait, que ce philosophe prend pour principal moyen de l'existence.

de Dieu.

Quant au surplus de la dynamique, je m'en instruirai avec plaisir : car autant que je suis ennemi des nouveautés qui ont rapport avec la foi, autant suis-je favorable, s'il est permis de l'avouer, à celles qui sont de pure philosophie; parce qu'en cela on

doit et on peut profiter tous les jours, tant par le raisonnement que par l'expérience.

Août 1693.

LETTRE CLXXVIII.

DE LEIBNIZ.

SUR LA RÉPONSE DE BOSSUET.

ik

Le petit discours de l'essence du corps ne sauroit partir que d'une main excellente; et comme il y est marqué qu'elle a travaillé sur cette matière, j'en attends des lumières considérables. Le parallèle de la pensée actuelle de l'ame avec l'étendue actuelle du corps est fort juste. Je suis effectivement d'opinion, qu'il est aussi naturel à l'ame de penser, qu'au corps d'être étendu; quoique cet effet naturel puisse être suspendu par la cause suprême. Cependant il n'est pas assez, pour éclaircir la nature du corps, qu'on lui attribue une simple possibilité, qui ne dit que ce qu'il pourroit avoir : il faut lui attribuer quelque chose d'effectif; savoir la puissance, qui est un état dont l'effet suit, pourvu que rien ne l'empêche. Cette puissance, quand elle est primitive, est proprement la nature du corps; c'est-àdire selon la définition d'Aristote, le principe du mouvement et du repos, ou plutôt de la résistance au mouvement. Car je crois que naturellement le corps n'est jamais dans un parfait repos, non plus que l'ame sans pensée; et je suis persuadé que l'action convient toujours naturellement à toutes les

substances. En quoi l'on voit que nos nouveaux philosophes, qui ne sont pas instruits de cette vérité, n'ont pas eu la véritable idée du corps car l'étendue ne leur donne qu'une idée incomplète, qui n'est point celle de la substance. Cela n'empêche pas que tout se fasse dans le corps selon les lois de la mécanique : mais l'origine de ces lois vient d'une cause supérieure, comme mes dynamiques le feront voir; et j'ai déjà montré, dans le Journal des Savans, qu'elles ne sauroient venir de la seule notion de l'étendue.

Je crois que l'Ecole a raison; mais qu'elle a été méprisée de nos temps, parce qu'elle ne s'étoit pas expliquée par quelque chose d'assez intelligible. La notion de la force y est merveilleusement propre. Je distingue entre la force primitive du corps, qui est de son essence, et qui est en quelque façon infinie, et entre la force accidentaire, qui est une modification de la force primitive, née des circonstances des corps ambians : c'est ce qu'on appelle la force mouvante, qui a lieu dans les machines.

La découverte que je fis de la véritable loi de la nature sur le mouvement, me fit penser à l'importance de la notion de la force, et au projet d'une science nouvelle, que j'appelle la dynamique. J'avois donné, comme les autres, dans l'opinion vulgaire; mais il y a déjà plusieurs années que je suis désabusé. Le vulgaire établit une compensation en-< tre la vitesse et la grandeur, comme si le produit de la vitesse et de la grandeur, qui s'appelle la quantité du mouvement, faisoit la force. C'est pourquoi M. Descartes, suivant en cela le préjugé commun,

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