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faire. On me manda que M. Bayle avoit dessein de faire soutenir quelques thèses sur la nature du corps, où il vouloit considérer mon opinion; mais cela n'a point été exécuté. Enfin à la semonce d'un ami de Leipsick, je fis insérer dans les Actes de cette année le petit discours ci-joint de la nature de la substance, et de l'usage qu'on y peut faire de la notion de la force. Ainsi n'ayant point encore eu le loisir de ranger mes pensées, je me suis contenté d'en donner quelques petits échantillons, et de répondre aux amis ou autres qui m'avoient proposé des doutes là-dessus; et c'est le moyen d'avancer insensiblement selon les rencontres.

Je travaille maintenant à mettre par écrit la manière que je crc is unique, pour expliquer intelligiblement l'union de l'ame avec le corps, sans avoir besoin de recourir à un concours spécial de Dieu, ni d'employer exprès l'entremise de la première cause pour ce qui se passe ordinairement dans les secondes : c'est afin de pouvoir soumettre mon opinion au jugement du public. Je l'ai eue, il y a déjà plusieurs années; et ce n'est qu'un corollaire de la notion que je me suis formée de la substance en général. Si vous le trouvez à propos, Monseigneur, on pourra faire mettre les deux pièces ci-jointes dans le Journal des Savans, pour donner quelque goût de mon dessein. La bonté que vous avez de vous informer de mes pensées, me donne la hardiesse de vous les adresser. Au moins, je crois avoir fait quelques pas à l'égard de la notion qu'on doit avoir de la substance en général, et de la substance corporelle en particulier : et comme je ne trouve

rien de si intelligible que la force, je crois que c'est encore à elle qu'on doit recourir pour soutenir la présence réelle, que j'avoue ne pouvoir bien concilier avec l'opinion qui met l'essence du corps dans une étendue toute nue. Car ce que Descartes avoit dit sur le sacrement, ne regardoit que la conservation des accidens: et quoique le révérend père Malebranche nous ait fait espérer une conciliation de la multiprésence avec la notion de l'étendue pure et simple, je ne me souviens pas de l'avoir encore vue. Je suis avec zèle, etc.

LETTRE CLXXX.

A M. DE RANCE, ABBÉ DE LA TRAPPE. Voeux qu'il forme pour l'abbaye de la Trappe.

JE reçois, Monsieur, avec une reconnoissance sincère, l'assurance de la continuation de vos bontés. Je prie notre Seigneur qu'il vous comble de ses grâces avec le troupeau qu'il vous a commis, et que vous soyez tous, comme je l'espère, de ceux dont il a dit: «< Sanctifiez-les en vérité; je me sanctifie pour » eux (1) ».

(1) Joan. XVII. 17, 19.

A Paris, ce 17 janvier 1694.

LETTRE CLXXXI.

AU PÈRE CAFFARO, THEATIN.

Bossuet lui fait ses plaintes d'une lettre qui avoit été publiée sous son nom, en forme de Dissertation, sur la comédie: il lui montre tous les vices, et les dangers des représentations du théâtre.

C'EST à vous-même, mon révérend Père, que j'adresserai d'abord en secret entre vous et moi, selon le précepte de l'Evangile (1), mes plaintes contre une lettre en forme de Dissertation, sur la comédie (2), que tout le monde vous attribue constamment, et que depuis peu on m'a assuré que vous aviez avouée. Quoi qu'il en soit, si ce n'est pas vous

(1) Matt. XVIII. 15.

(2) Cette lettre, publiée sous le nom du père Caffaro, dans laquelle l'auteur s'efforçoit de prouver qu'on pouvoit très-innocemment composer, lire, voir représenter des comédies, fut imprimée à la tête des pièces de théâtre de Boursault. Dès qu'elle parut, tous ceux qui avoient du zèle pour la morale évangélique, en furent sensiblement affligés, et de toute part grand nombre de théologiens s'empressèrent de la réfuter. M. l'archevêque de Paris la condamna, retira ses pouvoirs au père Caffaro, et exigea de lui une rétractation publique, qui pût réparer le scandale que sa lettre avoit causé. Bossuet désirant prémunir les foibles contre les faux principes qu'on cherchoit à insinuer dans leur esprit, publia la même année un petit écrit très-lumineux, sous ce titre : Maximes ct Réflexions sur la Comédie, que nous donnons immédiatement après les lettres relatives au P. Caffaro. Nous ne pouvions pas donner à cet ouvrage une place plus convenable. Le lecteur aura, pour ainsi dire, sous le même point de vue, tout ce qui concerne la même matière, et tout ce qui peut lui faire connoître le sentiment de Bossuet sur les spectacles. (Edit. de Vers.)

qui en soyez l'auteur, ce que je souhaite, un désaveu ne vous fera aucune peine; et dès-là ce n'est plus à vous que je parle. Que si c'est vous, je vous en fais mes plaintes à vous-même, comme un chrétien à un chrétien, et comme un frère à un frère.

Je ne perdrai point le temps à répondre aux autorités de saint Thomas, et des autres saints qui en général semblent approuver ou tolérer les comédies. Puisque vous demeurez d'accord, et qu'en effet on ne peut nier que celles qu'ils ont permises ne doivent exclure toutes celles qui sont opposées à l'honnêteté des mœurs; c'est à ce point qu'il faut s'attacher, et c'est par-là que j'attaque votre lettre, si elle est de vous.

La première chose que j'y reprends, c'est que vous ayez pu dire et répéter que la comédie, telle qu'elle est aujourd'hui, n'a rien de contraire aux bonnes mœurs, et qu'elle est même si épurée, à l'heure qu'il est, sur le théâtre français, qu'il n'y a rien que l'oreille la plus chaste ne pût entendre. Il faudra donc que nous passions pour honnêtes les impiétés et les infamies dont sont pleines les comédies de Molière, ou que vous ne rangiez pas parmi les pièces d'aujourd'hui celles d'un auteur qui vient à peine d'expirer, et qui remplit encore à présent tous les théâtres des équivoques les plus grossières, dont on ait jamais infecté les oreilles des chrétiens.

Ne m'obligez pas à les répéter: songez seulement si vous oserez soutenir à la face du ciel, des pièces où la vertu et la piété sont toujours ridicules, la corruption toujours défendue et toujours plaisante, et la pudeur toujours offensée ou toujours en crainte

d'être violée par les derniers attentats; je veux dire, par les expressions les plus impudentes, à qui l'on ne donne que les enveloppes les plus minces.

Songez encore, si vous jugez digne de votre habit et du nom de chrétien et de prêtre, de trouver honnêtes toutes les fausses tendresses, toutes les maximes d'amour, et toutes ces douces invitations à jouir du beau temps de la jeunesse, qui retentissent partout dans les opéra de Quinault, à qui j'ai vu cent fois déplorer ces égaremens. Mais aujourd'hui, vous autorisez ce qui a fait la matière de sa pénitence et de ses justes regrets, quand il a songé sérieusement à son salut; et vous êtes contraint, selon vos maximes, d'approuver que ces sentimens, dont la nature corrompue est si dangereusement flattée, soient encore animés d'un chant qui ne respire que la mollesse.

Si Lulli a excellé dans son art, il a dû proportionner, comme il a fait, les accens de ses chanteurs et de ses chanteuses à leurs récits et à leurs vers: et ses airs, tant répétés dans le monde, ne servent qu'à insinuer les passions les plus décevantes, en les rendant les plus agréables et les plus vives qu'on peut.

Il ne sert de rien de répondre qu'on n'est occupé que du chant et du spectacle, sans songer au sens des paroles, ni aux sentimens qu'elles expriment : car c'est là précisément le danger, que pendant qu'on est enchanté par la douceur de la mélodie, ou étourdi par le merveilleux du spectacle, ces sentimens s'insinuent sans qu'on y pense, et gagnent le cœur sans être aperçus. Et sans donner

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