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leurs entretiens, par leurs chants, par leurs récits ils se jettent d'eux-mêmes dans leurs lacets, «< comme un oiseau dans les filets qu'on lui » tend (1)». N'est-ce rien que d'armer des chrétiennes contre les ames foibles, de leur donner de ces flèches qui percent les cœurs (2), de les immoler à l'incontinence publique d'une manière plus dangereuse qu'on ne feroit dans les lieux qu'on n'ose nommer? Quelle mère, je ne dis pas chrétienne, mais tant soit peu honnête, n'aimeroit pas mieux voir sa fille dans le tombeau que sur le théâtre? Quoi, l'a-t-elle élevée si tendrement et avec tant de précaution pour cet opprobre? L'a-t-elle tenue nuit et jour, pour ainsi parler, sous ses ailes, avec tant de soin, pour la livrer au public, et en faire un écueil de la jeunesse? Qui ne regarde pas ces malheureuses chrétiennes, si elles le sont encore, dans une profession si contraire aux voeux de leur baptême; qui, dis-je, ne les regarde pas comme des esclaves exposées, en qui la pudeur est éteinte, quand ce ne seroit que par tant de regards qu'elles attirent; elles que leur sexe avoit consacrées à la modestie, dont l'infirmité naturelle demandoit la sûre retraite d'une maison bien réglée? Et voilà qu'elles s'étalent elles-mêmes en plein théâtre avec tout l'attirail de la vanité, comme ces sirènes, dont parle Isaïe (3), qui font leur demeure dans les temples de la volupté, dont les

(1) Prov. VII. 10, 21, 23, 25. (2) Ibid. 25. - (3) Is. XIII. 22.

regards sont mortels, et qui reçoivent de tous côtés, par les applaudissemens qu'on leur renvoie, le poison qu'elles répandent par leur chant. Mais n'est-ce rien aux spectateurs de payer leur luxe, d'entretenir leur corruption, de leur exposer leur cœur en proie, et d'aller apprendre d'elles tout ce qu'il ne faudroit jamais savoir? S'il n'y a rien là que d'honnête, rien qu'il faille porter à la confession, hélas! quel aveuglement fautil qu'il y ait parmi les chrétiens; et falloit-il prendre le nom de prêtre pour achever d'ôter aux fidèles le peu de componction qui reste encore dans le monde pour tant de désordres? Vous ne trouvez pas, dites-vous, par les confessions, que les riches qui vont à la comédie soient plus sujets aux grands crimes que les pauvres qui n'y vont pas. Vous n'avez encore qu'à dire, que le luxe, que la mollesse, que l'oisiveté, que les excessives délicatesses de la table, et la curieuse recherche du plaisir en toutes choses, ne font aucun mal aux riches, parce que les pauvres, dont l'état est éloigné de tous ces attraits, ne sont pas moins corrompus par l'amour des voluptés. Ne sentez-vous pas qu'il y a des choses, qui, sans avoir des effets marqués, mettent dans les ames de secrètes dispositions très-mauvaises, quoique leur malignité ne se déclare pas tou jours d'abord? Tout ce qui nourrit les passions est de ce genre: on n'y trouveroit que trop de matière à la confession, si on cherchoit en soimême les causes du mal. Qui sauroit connoître

ee que c'est en l'homme qu'un certain fond de joie sensuelle, et je ne sais quelle disposition inquiète et vague au plaisir des sens qui ne tend à rien et qui tend à tout, connoîtroit la source secrète des plus grands péchés. C'est ce que sentoit saint Augustin au commencement de sa jeunesse emportée, lorsqu'il disoit : « Je n'aimois pas >> encore; mais j'aimois à aimer (1) » : il cherchoit, continue-t-il, quelque piége, où il prît et où il fût pris: et il trouvoit ennuyeuse et insupportable une vie où il n'y eût point de ces lacets viam sine muscipulis. Tout en est semé dans le monde : il fut pris, selon son souhait; et c'est alors qu'il fut enivré du plaisir de la comédie, où il trouvoit « l'image de ses misères, l'a» morce et la nourriture de son feu (2) ». Son exemple et sa doctrine nous apprennent à quoi est propre la comédie : combien elle sert à entretenir ces secrètes dispositions du cœur humain, soit qu'il ait déjà enfanté l'amour sensuel, soit que ce mauvais fruit ne soit pas encore éclos.

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Saint Jacques nous a expliqué ces deux états de notre cœur par ces paroles (3): « Chacun de >> nous est tenté par sa concupiscence qui l'em» porte et qui l'attire: ensuite, quand la concu» piscence a conçu, elle enfante le péché ; et quand le péché est consommé, il produit la » mort ». Cet apôtre distingue ici la conception d'avec l'enfantement du péché; il distingue la

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(1) Conf. lib. 111, cap. 1; tom. 1, col. 87. — (2) Ibid. c. 11; (3) Jac. 1. 14, 15.

col. 88.

disposition au péché d'avec le péché entièrement formé par un plein consentement de la volonté : c'est dans ce dernier état qu'il engendre la mort, selon saint Jacques, et qu'il devient tout-à-fait mortel. Mais de là il ne s'ensuit pas que les commencemens soient innocens pour peu qu'on adhère à ces premières complaisances des sens émus, on commence à ouvrir son cœur à la créature pour peu qu'on les flatte par d'agréables représentations, on aide le mal à éclore; et un sage confesseur, qui sauroit alors faire sentir à un chrétien la première plaie de son cœur et les suites d'un péril qu'il aime, préviendroit de grands malheurs.

Selon la doctrine de saint Augustin (1), cette malignité de la concupiscence se répand dans l'homme tout entier. Elle court, pour ainsi parler, dans toutes les veines, et pénètre jusqu'à la moelle des os. C'est une racine envenimée qui étend ses branches par tous les sens : l'ouïe, les yeux, et tout ce qui est capable de plaisir en ressent l'effet : les sens se prêtent la main mutuellement : le plaisir de l'un attire et fomente celui de l'autre; et il se fait de leur union un enchaînement qui nous entraîne dans l'abîme du mal. Il faut, dit saint Augustin, distinguer dans l'opération de nos sens la nécessité, l'utilité, la vivacité du sentiment, et enfin l'attachement au plaisir sensible: libido sentiendi. De ces quatre

(1) Cont. Jul. lib. iv, cap. xiv, n. 65 et seq. tom. x, col. 615, etc. Confess. lib. x, cap. xxx1 et seq. tom. 1, col. 185, etc.

qualités des sens, les trois premières sont l'ouvrage du Créateur : la nécessité du sentiment se fait remarquer dans les objets qui frappent nos sens à chaque moment: on en éprouve l'utilité, dit saint Augustin, particulièrement dans le goût, qui facilite le choix des alimens et en prépare la digestion : la vivacité des sens est la même chose que la promptitude de leur action et la subtilité de leurs organes. Ces trois qualités ont Dieu pour auteur: mais c'est au milieu de cet ouvrage de Dieu, que l'attache forcée au plaisir sensible et son attrait indomptable, c'est-à-dire la concupiscence introduite par le péché, établit son siége. C'est celle-là, dit saint Augustin, qui est l'ennemie de la sagesse, la source de la corruption, la mort des vertus : les cinq sens sont cinq ouvertures par où elle prend son cours sur ses objets et par où elle en reçoit les impressions: mais ce Père a démontré qu'elle est la même partout, parce que c'est partout le même attrait du plaisir, la même indocilité des sens, la même captivité et la même attache du cœur aux objets sensibles. Par quelque endroit que vous la frappiez, tout s'en ressent. Le spectacle saisit les yeux; les tendres discours, les chants passionnés, pénètrent le cœur par les oreilles. Quelquefois la corruption vient à grands flots quelquefois elle s'insinue comme goutte à goutte: à la fin, on n'en est pas moins submergé. On a le mal dans le sang et dans les entrailles avant qu'il éclate par la fièvre. En s'affoiblissant peu à peu,

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