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on se met en un danger évident de tomber avant qu'on tombe; et ce grand affoiblissement est déjà un commencement de chute.

Si l'on ne connoît de maux aux hommes que ceux qu'ils sentent et qu'ils confessent, on est trop mauvais médecin de leurs maladies. Dans les ames, comme dans les corps, il y en a qu'on ne sent pas encore, parce qu'elles ne sont pas déclarées, et d'autres qu'on ne sent plus, parce qu'elles ont tourné en habitude, ou bien qu'elles sont extrêmes, et tiennent déjà quelque chose de la mort, où l'on ne sent rien. Lorsqu'on blâme les comédies comme dangereuses, les gens du monde disent tous les jours, avec l'auteur de la Dissertation, qu'ils ne sentent point ce danger. Poussez-les un peu plus avant, ils vous en diront autant des nudités, et non-seulement de celles des tableaux, mais encore de celles des personnes. Ils insultent aux prédicateurs qui en reprennent les femmes, jusqu'à dire que les dévots se confessent eux-mêmes par-là et trop foibles et trop sensibles pour disent-ils, ils ne sentent rien, et je les en crois sur leur parole. Ils n'ont garde, tout gâtés qu'ils sont, d'apercevoir qu'ils se gâtent, ni de sentir le poids de l'eau quand ils en ont pardessus la tête et pour parler aussi à ceux qui commencent, on ne sent le cours d'une rivière que lorsqu'on s'y oppose : si on s'y laisse entraîner on ne sent rien, si ce n'est peut-être un mouvement assez doux d'abord, où vous êtes porté sans peine ; et vous ne sentez bien le mal

eux,

qu'il vous fait, que tôt après quand vous vous noyez. N'en croyons donc pas les hommes sur leurs maux ni sur leurs dangers, que leur corruption, que l'erreur de leur imagination blessée, que leur amour-propre leur cachent.

IX.

Qu'il faut

Pour ce qui est de ces gens de poids et de probité, qui, selon l'auteur de la Dissertation, fré- craindre en quentent les comédies sans scrupule; que je crains assistant aux que leur probité ne soit de celles des sages du

comédies, non-seule

qu'on y fait,

mais encore

le scandale

ne.

monde, qui ne savent s'ils sont chrétiens ou non, ment le mal et qui s'imaginent avoir rempli tous les devoirs de la vertu lorsqu'ils vivent en gens d'honneur, sans tromper personne, pendant qu'ils se trompent qu'on y doneux-mêmes en donnant tout à leurs passions et à leurs plaisirs. Ce sont de tels sages et de tels prudens à qui Jésus-Christ déclare (1) que « les » secrets de son royaume sont cachés, et qu'ils » sont seulement révélés aux humbles et aux » petits », qui tremblent aux moindres discours qui viennent flatter leurs cupidités. Mais ce sont gens, dit l'auteur, d'une éminente vertu, et il les compte par milliers. Qu'il est heureux d'en trouver tant sous sa main et que la voie étroite soit si fréquentée ! << Mille gens, dit-il, d'une » éminente vertu et d'une conscience fort déli>>cate, pour ne pas dire scrupuleuse, approuvent » la comédie et la fréquentent sans peine ». Ce sont des ames invulnérables, qui peuvent passer des jours entiers à entendre des chants et des vers passionnés et tendres, sans en être émus : et des gens d'une si éminente vertu n'écoutent pas ce

(1) Matth. XI. 25.

X.

ceux qu'on

ter.

que dit saint Paul (1): « Que celui qui croit être >> ferme, craigne de tomber » : ils ignorent que quand ils seroient si forts, et tellement à toute épreuve qu'ils n'auroient rien à craindre pour eux-mêmes, ils auroient encore à craindre le scandale qu'ils donnent aux autres, selon ce que dit ce même apôtre (2): « Pourquoi scandalisez» vous votre frère infirme? Ne perdez point par » votre exemple celui pour qui Jésus-Christ est » mort ». Ils ne savent même pas ce que prononce le même saint Paul (3): « Que ceux qui » consentent à un mal, y participent ». Des ames si délicates et si scrupuleuses ne sont point touchées de ces règles de la conscience. Que je crains, encore une fois, qu'ils ne soient de ces scrupuleux << qui coulent le moucheron, et qui avalent » le chameau (4) » ; ou que l'auteur ne nous fasse des vertueux à sa mode, qui croient pouvoir être ensemble au monde et à Jésus-Christ.

Il compare les dangers où l'on se met dans les Différence des périls comédies, à ceux qu'on ne peut éviter « qu'en qu'on cher- » fuyant, dit-il, dans les déserts. On ne peut, che et de » continue-t-il, faire un pas, lire un livre, entrer ne peut évi- » dans une église, enfin vivre dans le monde, sans >> rencontrer mille choses capables d'exciter les » passions ». Sans doute, la conséquence est fort bonne : tout est plein d'inévitables dangers; donc il en faut augmenter le nombre. Toutes les créatures sont un piége et une tentation à l'homme (5); donc il est permis d'inventer de nouvelles tenta

(1) I.. Cor. x. 12. (2) Rom. XIV, 15. (4) Matt. xxIII. 24. -(5) Sap. XIV. 11.

(3) Ibid. 1. 32.

tions et de nouveaux piéges pour prendre les
ames. Il y a de mauvaises conversations, qu'on
ne peut, comme dit saint Paul (1), éviter sans
sortir du monde : il n'y a donc point de péché de
chercher volontairement de mauvaises conversa-
tions, et cet apôtre se sera trompé en nous
faisant craindre que les mauvais entretiens ne
corrompent les bonnes mœurs (2)? Voilà votre
conséquence. Tous les objets qui se présentent à
nos yeux peuvent exciter nos passions: donc on
peut se préparer des objets exquis et recherchés
avec soin, pour les exciter et les rendre plus
agréables en les déguisant : on peut conseiller de
tels périls; et les comédies, qui en sont d'autant
plus remplies qu'elles sont mieux composées et
mieux jouées, ne doivent pas être mises parmi
ces mauvais entretiens, par lesquels les bonnes
mœurs sont corrompues. Dites plutôt, qui que
vous soyez : il
y a tant dans le monde d'inévita-
bles périls; donc il ne les faut pas multiplier.
Dieu nous aide dans les tentations qui nous ar-
rivent par nécessité; mais il abàndonne aisément
ceux qui les recherchent par choix : et celui qui
aime le péril, il né dit pas, Celui qui y est par
nécessité, mais Celui qui l'aime et qui le cherche,
J périra (3).

L'auteur, pour ne rien omettre, appelle enfin les lois à son secours; et, dit-il, si la comédie étoit si mauvaise, on ne la toléreroit pas, on ne la fréquenteroit pas : sans songer que saint Thomas, dont il abuse, a décidé que les lois

(1) I. Cor. v. 10. - (2) Ibid. xv. 33 - (3) Eccli. 111. 27.

XI.

Si on a rai

son d'allé

guer les lois en faveur de

la comédie.

humaines ne sont pas tenues à réprimer tous les maux, mais seulement ceux qui attaquent directement la société (1). L'Eglise même, dit saint Augustin (2), « n'exerce la sévérité de ses cen»sures que sur les pécheurs dont le nombre » n'est pas grand : severitas exercenda est in » peccata paucorum »; c'est pourquoi elle condamne les comédiens, et croit par-là défendre assez la comédie : la décision en est précise dans les Rituels (3), la pratique en est constante: on prive des sacremens, et à la vie et à la mort, ceux qui jouent la comédie, s'ils ne renoncent à leur art; on les passe à la sainte table comme des pécheurs publics; on les exclut des ordres sacrés comme des personnes infâmes : : par une suite infaillible, la sépulture ecclésiastique leur est déniée. Quant à ceux qui fréquentent les comédies, comme il y en a de plus innocens les uns que les autres, et peut-être quelques-uns qu'il faut plutôt instruire que blâmer, ils ne sont pas répréhensibles en même degré, et il ne faut pas fulminer également contre tous. Mais de là il ne s'ensuit pas qu'il faille autoriser les périls publics : si les hommes ne les aperçoivent pas, c'est aux prêtres à les instruire, et non pas à les flatter: dès le temps de saint Chrysostôme, les défenseurs des spectacles «< crioient que les renverser c'étoit » détruire les lois (4) » : mais ce Père, sans s'en

(1) 1. 2. q. XXXIX, 3, ad 3 : q. xcvI, 2. c. (2) Epist. ad Aur. XXII, n. 5, ol. LXIV; tom. 11, col. 28. (3) Rit. Paris. de Euchar. et de Vial. (4) Hom. xxxvii, al. xxxviii in Matt. n. 6;

tom. VII, p. 423.

-

émouvoir,

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