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émouvoir, disoit au contraire, que l'esprit des lois étoit contraire aux théâtres: nous avons maintenant à leur opposer quelque chose de plus fort, puisqu'il y a tant de décrets publics contre la comédie que d'autres que moi ont rapportés : si la coutume l'emporte, si l'abus prévaut, ce qu'on en pourra conclure, c'est tout au plus que la comédie doit être rangée parmi les maux dont un célèbre historien a dit qu'on les défend toujours, et qu'on les a toujours. Mais après tout, quand les lois civiles autoriseroient la comédie; quand au lieu de flétrir, comme elles ont toujours fait, les comédiens, elles leur auroient été favorables; tout ce que nous sommes de prêtres, nous devrions imiter l'exemple des Chrysostôme et des Augustin: pendant que les lois du siècle, qui ne peuvent pas déraciner tous les maux, permettoient l'usure et le divorce, ces grands hommes disoient hautement que si le monde permettoit ces crimes, ils n'en étoient pas moins réprouvés par la loi de l'Evangile : que l'usure qu'on appeloit légitime, parce qu'elle étoit autorisée par les lois romaines, ne l'étoit pas selon celles de Jésus-Christ, et que les lois de la cité sainte et celles du monde étoient différentes (1).

Je ne veux pas me jeter sur les passages des Pères, ni faire ici une longue dissertation sur un si ample sujet. Je dirai seulement, que c'est les lire trop négligemment, que d'assurer, comme

(1) Chrysost. hom. LVI, al. LV, in Matth. etc. tom. vii, p. 573, etc. Aug. epist. CLIII, al. LIV, ad Maced. etc. tom. 11, col. 524, etc.

BOSSUET. XXXVII.

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XII. De l'autorité des Pères.

fait l'auteur, qu'ils ne blâment dans les spectacles de leur temps, que l'idolâtrie et les scandaleuses et manifestes impudicités. C'est être trop sourd à la vérité de ne sentir pas, que leurs raisons portent plus loin. Ils blâment dans les jeux et dans les théâtres l'inutilité, la prodigieuse dissipation, le trouble, la commotion de l'esprit peu convenable à un chrétien, dont le cœur est le sanctuaire de la paix; ils y blâment les passions excitées, la vanité, la parure, les grands ornemens, qu'ils mettent au rang des pompes que nous avons abjurées par le baptême, le désir de voir et d'être vu, la malheureuse rencontre des yeux qui se cherchent les uns les autres, la trop grande occupation à des choses vaines, les éclats de rire qui font oublier et la présence de Dieu et le compte qu'il lui faut rendre de ses moindres actions et de ses moindres paroles; et enfin tout le sérieux de la vie chrétienne, Dites que les Pères ne blâment pas toutes ces choses, et tout cet amas de périls que les théâtres réunissent: dites qu'ils n'y blâment pas même les choses honnêtes, qui enveloppent le mal et lui servent d'introducteur : dites que saint Augustin n'a pas déploré dans les comédies ce jeu des passions et l'expression contagieuse de nos maladies, et ces larmes que nous arrache l'image de nos passions si vivement réveillées, et toute cette illusion qu'il appelle une misérable folie (1). Parmi ces commotions où consiste tout le plaisir de la comédie, qui peut élever son cœur à Dieu ? qui ose lui dire qu'il est là

(1) Conf. lib. 111, cap. 11; tom. 1, col. 88, 89.

pour l'amour de lui et pour lui plaire? qui ne craint pas, dans ces folles joies et dans ces folles douleurs, d'étouffer en soi l'esprit de prière, et d'interrompre cet exercice, qui, selon la parole de Jésus-Christ (1), doit être perpétuel dans un chrétien, du moins en désir et dans la préparation du cœur? On trouvera dans les Pères toutes ces raisons et beaucoup d'autres. Que si on veut pénétrer les principes de leur morale, quelle sévère condamnation n'y lira-t-on pas de l'esprit qui mène aux spectacles, où, pour ne pas raconter ici tous les autres maux qui les accompagnent, l'on ne cherche qu'à s'étourdir et à s'oublier soi-même, pour calmer la persécution de cet inexorable ennui qui fait le fond de la vie humaine, depuis que l'homme a perdu le goût de Dieu ?

XIII.

Si l'on peut laïques qui

excuser les

comédie, sous le prétexte des ca

nons qui la

Il est souvent défendu aux clercs d'assister aux spectacles, aux pompes, aux chants, aux réjouissances publiques et il seroit inutile d'en ramasser les réglemens, qui sont infinis, Mais assistent à la pour voir si le mal qu'on y remarque est seulement pour les ecclésiastiques, ou en général pour tout le peuple, il faut peser les raisons qu'on y emploie. Par exemple, nous lisons ce beau canon dans le 111. concile de Tours, d'où il a été trans- ment aux ecclésiastiques. féré dans les Capitulaires de nos rois (2) : Ab om- Canon ménibus quæcumque ad aurium et oculorum perti- morable du neat illecebras, unde vigor animi emolliri posse credatur, quod de aliquibus generibus musico

(1) Luc. XVIII. 1. —

tom. 1, add. 3, c. 71.

(2) Conc. Tur. 111, can. 7. Capitul. Bal.

défendent

spéciale

Conc. I de
Tours.

rum aliisque nonnullis rebus sentiri potest, Dei sacerdotes abstinere debent : quia per aurium oculorumque illecebras turba vitiorum ad animum ingredi solet. C'est-à-dire, « Toutes les >> choses où se trouvent les attraits des yeux et » des oreilles, par où l'on croit que la vigueur » de l'ame puisse être amollie, comme on le peut >> ressentir dans certaines sortes de musique et » autres choses semblables, doivent être évitées » par les ministres de Dieu; parce que par tous » ces attraits des oreilles et des yeux, une mul»titude de vices, turba vitiorum, a coutume » d'entrer dans l'ame ». Ce canon ne suppose pas dans les spectacles qu'il blâme, des discours ou des actions licencieuses, ni aucune incontinence marquée : il s'attache seulement à ce qui accompagne naturellement ces attraits, ces plaisirs des yeux et des oreilles oculorum et aurium illecebras; qui est une mollesse dans les chants, et je ne sais quoi pour les yeux, qui affoiblit insensiblement la vigueur de l'ame. Il ne pouvoit mieux exprimer l'effet de ces réjouissances, qu'en disant qu'elles donnent entrée à une troupe de vices: ce n'est rien, pour ainsi dire, en particulier; et s'il y falloit remarquer précisément ce qui est mauvais, souvent on auroit peine à le faire : c'est le tout qui est dangereux; c'est qu'on y trouve d'imperceptibles insinuations, des sentimens foibles et vicieux; qu'on y donne un secret appât à cette intime disposition qui ramollit l'ame et ouvre le cœur à tout le sensible: on ne sait pas bien ce qu'on veut, mais enfin on veut vivre de

:

la vie des sens; et dans un spectacle où l'on n'est assemblé que pour le plaisir, on est disposé du côté des acteurs à employer tout ce qui en donne, et du côté des spectateurs à le recevoir. Que dirat-on donc des spectacles, où de propos délibéré tout est mêlé de vers et de chants passionnés, et enfin de tout ce qui peut amollir un cœur? Cette disposition est mauvaise dans tous les hommes; l'attention qu'on doit avoir à s'en préserver ne regarde pas seulement les ecclésiastiques; et l'Eglise instruit tous les chrétiens en leurs per

sonnes.

On dira que c'est pousser les choses trop avant, et que selon ces principes il faudroit trop supprimer de ces plaisirs et publics et particuliers qu'on nomme innocens. N'entrons point dans ces discussions, qui dépendent des circonstances particulières. Il suffit d'avoir observé ce qu'il y a de malignité spéciale dans les assemblées, où comme on veut contenter la multitude, dont la plus grande partie est livrée aux sens, on se propose toujours d'en flatter les inclinations par quelques endroits tout le théâtre applaudit quand on les trouve; on se fait comme un point d'honneur de sentir ce qui doit toucher, et on croiroit troubler la fête, si on n'étoit enchanté avec toute la compagnie. Ainsi, outre les autres inconvéniens des assemblées de plaisir, on s'excite et on s'autorise, pour ainsi dire, les uns les autres par le concours des acclamations et des applaudissemens, et l'air même qu'on y respire est plus malin.

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