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XIV. Réponse à l'objection qu'il faut

trouver du relâchement

Je n'ai pas besoin, après cela, de réfuter les conséquences qu'on tire en faveur du peuple, des défenses particulières qu'on fait aux clercs, de certaines choses. C'est une illusion semblable à celle de certains docteurs qui rapportent les canons par où l'usure est défendue aux ecclésiastiques, comme s'ils portoient une permission au reste des chrétiens de l'exercer. Pour réfuter 'cette erreur il n'y a qu'à considérer où portent les preuves dont on s'appuie dans les défenses particulières que l'on fait aux clercs. On trouvera, par exemple dans les canons de Nicée (1), dans la décrétale de saint Léon (2), dans les autres décrets de l'Eglise, que les passages de l'Ecriture sur laquelle on fonde la prohibition de l'usure pour les ecclésiastiques, regardent également tous les chrétiens il faudra donc conclure dès-là, que l'on a voulu faire une obligation spéciale aux clercs de ce qui étoit d'ailleurs établi par les règles communes de l'Evangile : vous ne vous tromperez pas en tirant dans le même cas une conséquence semblable des canons où les spectacles sont défendus à tout l'ordre ecclésiastique; et le canon du concile de Tours, que nous avons rapporté, vous en sera un grand exemple.

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On dit qu'il faut bien trouver un relâchement à l'esprit humain, et peut-être un amusement aux Cours et au peuple. Saint Chrysostôme répond (3), que sans courir au théâtre, nous trou

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sentation des

verons la nature si riche en spectacles divertis- à l'esprit husans, et que d'ailleurs la religion et même notre main: que celui qu'on lui domestique sont capables de nous fournir tant veut donner d'occupations où l'esprit se peut relâcher, qu'il par la repréne faut pas se tourmenter pour en chercher da- passions est vantage enfin que le chrétien n'a pas tant be- réprouvé mêsoin de plaisir, qu'il lui en faille procurer de si me par les philosophes: fréquens et avec un si grand appareil. Mais si beaux prinnotre goût corrompu ne peut plus s'accommoder cipes de Plades choses simples, et qu'il faille réveiller les ton. hommes gâtés, par quelques objets d'un mouvement plus extraordinaire; en laissant à d'autres la discussion du particulier, qui n'est point de ce sujet, je ne craindrai point de prononcer qu'en tout cas, il faudroit trouver des relâchemens plus modestes, des divertissemens moins emportés. Pour ceux-ci, sans parler des Pères, il ne faut, pour les bien connoître, consulter que les philosophes. « Nous ne recevons, dit Platon (1), ni la

tragédie ni la comédie dans notre ville ». L'art même qui formoit un comédien à faire tant de différens personnages lui paroissoit introduire dans la vie humaine un caractère de légèreté indigne d'un homme, et directement opposé à la simplicité des mœurs. Quand il venoit à considérer que ces personnages qu'on représentoit sur les théâtres, étoient la plupart ou bas ou même vicieux, il y trouvoit encore plus de mal et plus de péril pour les comédiens, et il craignoit que << l'imitation ne les amenât insensiblement à la >> chose même (2) ». C'étoit sapper le théâtre par (1) De Repub. lib. 11, 111, — - (2) Ibid.

XV.

La tragédie

nôtre, con

le fondement, et lui ôter jusqu'aux acteurs, loin de lui laisser des spectateurs oisifs. La raison de ce philosophe étoit qu'en contrefaisant ou en imitant quelque chose, on en prenoit l'esprit et le naturel on devenoit esclave avec un esclave; vicieux avec un homme vicieux; et surtout, en représentant les passions, il falloit former au dedans celles dont on vouloit porter au dehors l'expression et le caractère. Le spectateur entroit aussi dans le même esprit : il louoit et admiroit un comédien qui lui causoit ces émotions; ce qui, continue-t-il, n'est autre chose que « d'arroser de >> mauvaises herbes qu'il falloit laisser entière>>ment dessécher ». Ainsi tout l'appareil du théâ tre ne tend qu'à faire des hommes passionnés, et à fortifier «< cette partie brute et déraisonnable »>, qui est la source de toutes nos foiblesses. Il concluoit donc à rejeter tout ce genre « de poésie » voluptueuse, qui, disoit-il, est capable seule » de corrompre les plus gens de bien ».

Par ce moyen, il poussoit la démonstration ancienne, jusqu'au premier principe, et ôtoit à la comédie quoique plus tout ce qui en fait le plaisir, c'est-à-dire, le jeu grave que la des passions. On rejette en partie sur les libertés damnée par et les indécences de l'ancien théâtre les invectives les principes des Pères contre les représentations et les jeux de ce philosophe. scéniques. On se trompe si on veut parler de la tragédie: car ce qui nous reste des anciens païens en ce genre-là, (j'en rougis pour les chrétiens) est si fort au-dessus de nous en gravité et en sagesse, que notre théâtre n'en a pu souffrir la simplicité. J'apprends même que les Anglais se sont élevés

contre quelques-uns de nos poètes, qui, à propos et hors de propos, ont voulu faire les héros galans, et leur font pousser à toute outrance les sentimens tendres. Les anciens du moins étoient bien éloignés de cette erreur, et ils renvoyoient à la comédie une passion qui ne pouvoit soutenir la sublimité et la grandeur du tragique : et toutefois ce tragique si sérieux parmi eux, étoit rejeté par leurs philosophes. Platon ne pouvoit souffrir les lamentations des théâtres qui «< exci» toient, dit-il (1), et flattoient en nous cette » partie foible et plaintive, qui s'épanche en gé» missemens et en pleurs ». Et la raison qu'il en rend, c'est qu'il n'y a rien sur la terre ni dans les choses humaines, dont la perte mérite d'être déplorée avec tant de larmes. Il ne trouve pas moins mauvais qu'on flatte cette autre partie plus emportée de notre ame, où règnent l'indignation et la colère : car on la fait trop émue pour de légers sujets. La tragédie a donc tort, et donne au genre humain de mauvais exemples lorsqu'elle introduit les hommes et même les héros ou affligés ou en colère, pour des biens ou des maux aussi vains que sont ceux de cette vie; n'y ayant rien, poursuit-il, qui doive véritablement toucher les ames dont la nature est immortelle, que ce qui les regarde dans tous leurs états, c'est-à-dire, dans tous les siècles qu'elles ont à parcourir. Voilà ce que dit celui qui n'avoit pas ouï les saintes promesses de la vie future, et ne connoissoit les biens éternels que par des soupçons ou par des idées con(1) De Rep. lib. III, X.

XVI.

Les pièces

principes du

ton.

fuses et néanmoins il ne souffre pas que la tra

:

gédie fasse paroître les hommes ou heureux ou malheureux par des biens ou des maux sensibles : << tout cela, dit-il (1), n'est que corruption » : et les chrétiens ne comprendront pas combien ces émotions sont contraires à la vertu!

La comédie n'est pas mieux traitée par Platon comiques et que la tragédie. Si ce philosophe trouve si foible risibles reje- cet esprit de lamentation et de plainte que la tées par les tragédie vient émouvoir, il n'approuve pas damême Pla- vantage « cette pente aveugle et impétueuse à se » laisser emporter par l'envie de rire (2) », que la comédie remue. Ainsi la comédie et la tragédie, le plaisant de l'un et le sérieux de l'autre, sont également proscrits de sa république, comme capables d'entretenir et d'augmenter ce qu'il y a en nous de déraisonnable. D'ailleurs les pièces comiques étant occupées des folies et des passions de la jeunesse, il y avoit une raison particulière de les rejeter; « de peur, disoit-il (5), >> qu'on ne tombât dans l'amour vulgaire » : c'està-dire, comme il l'expliquoit, dans celui des corps, qu'il oppose perpétuellement à l'amour de la vérité et de la vertu. Enfin aucune représentation ne plaisoit à ce philosophe, parce qu'il n'y en avoit point « qui n'excitât ou la colère, ou >> l'amour, ou quelque autre passion »>.

XVII. Que les fem

mes ne mou

toient pas

་་

Au reste, les pièces dramatiques des anciens, qu'on veut faire plus licencieuses que les nôtres, et qui l'étoient en effet jusqu'aux derniers excès

(1) De Rep. lib. x. — - (2) Ibid. De Legib. lib. v11. (3) De Rep.

lib. x.

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