Images de page
PDF
ePub

théâtre.

dans le comique, étoient exemptes du moins de sur l'ancien cette indécence qu'on voit parmi nous, d'introduire des femmes sur le théâtre. Les païens mêmes croyoient qu'un sexe consacré à la pudeur, ne devoit pas ainsi se livrer au public, et que c'étoit là une espèce de prostitution. Ce fut aussi à Platon une des raisons de condamner le théâtre en général (1); parce que la coutume régulièrement ne permettant pas d'y produire les femmes, leurs personnages étoient représentés par des hommes, qui devoient, par conséquent, nonseulement prendre l'habit et la figure, mais encore exprimer les cris, les emportemens et les foiblesses de ce sexe : ce que ce philosophe trouvoit si indigne, qu'il ne lui eût fallu que cette raison pour condamner la comédie.

XVIII.

Sentimen

Quoique Aristote son disciple aimât à le contredire, et qu'une philosophie plus accommo- d'Aristote. dante lui ait fait attribuer à la tragédie une manière qu'il n'explique pas (2), de purifier les passions en les excitant, (du moins la pitié et la crainte) il ne laisse pas de trouver dans le théâtre quelque chose de si dangereux, qu'il n'y admet point la jeunesse pour y voir ni les comédies ni même les tragédies (3), quoiqu'elles fussent aussi sérieuses qu'on le vient de voir; parce qu'il faut craindre, dit-il, les premières impressions d'un âge tendre que les sujets tragiques auroient trop ému. Ce n'est pas qu'on y jouât alors, comme parmi nous, les passions des jeunes gens : nous

(1) De Rep. lib. 111. — (2) De Poet. cap. VI, VII. — (3) Polit.

lib. vii, cap. XVII.

XIX.

avons vu à quel rang on les reléguoit; mais c'est en général, que des pièces d'un si grand mouvement remuoient trop les passions, et qu'elles représentoient des meurtres, des vengeances, des trahisons et d'autres grands crimes dont ce philosophe ne vouloit pas que la jeunesse entendît seulement parler, bien loin de les voir si vivement représentés et comme réalisés sur le théâtre.

Je ne sais pourquoi il ne vouloit pas étendre plus loin cette précaution. La jeunesse et même l'enfance durent long-temps parmi les hommes: ou plutôt on ne s'en défait jamais entièrement: quel fruit, après tout, peut-on se promettre de la pitié ou de la crainte qu'on inspire pour les malheurs des héros, si ce n'est de rendre à la fin le cœur humain plus sensible aux objets de ces passions? Mais laissons, si l'on veut, à Aristote, cette manière mystérieuse de les purifier, dont ni lui ni ses interprètes n'ont su encore donner de bonnes raisons: il nous apprendra du moins qu'il est dangereux d'exciter les passions qui plaisent; auxquelles on peut étendre ce principe du même philosophe (1), que « l'action suit de »près le discours, et qu'on se laisse aisément >> gagner aux choses dont on aime l'expression » : maxime importante dans la vie, et qui donne l'exclusion aux sentimens agréables qui font maintenant le fond et le sujet favori de nos pièces de théâtre.

Par un principe encore plus universel, Platon Autre prin- trouvoit tous les arts qui n'ont pour objet que

cipe de Pla

(1) Polit. lib. viii, cap. IV.

le plaisir, dangereux à la vie humaine; parce ton sur cette qu'ils vont le recueillant indifféremment des matière. sources bonnes et mauvaises, aux dépens de tout et même de la vertu, si le plaisir le demande (1). C'est encore un nouveau motif à ce philosophe pour bannir de sa république les poètes comiques, tragiques, épiques, sans épargner ce divin Homère, comme ils l'appeloient, dont les sentences paroissoient alors inspirées : cependant Platon les chassoit tous, à cause que ne songeant qu'à plaire, ils étalent également les bonnes et les mauvaises maximes; et que sans se soucier de la vérité, qui est simple et une, ils ne travaillent qu'à flatter le goût et la passion dont la nature est compliquée et variable. C'est pourquoi «< il ya, dit-il (2), une ancienne antipathie entre » les philosophes et les poètes » : les premiers n'étant occupés que de la raison, pendant que les autres ne le sont que du plaisir. Il introduit donc les lois, qui à la vérité renvoient ces derniers avec un honneur apparent, et je ne sais quelle couronne sur la tête, mais cependant avec une inflexible rigueur, en leur disant (3) : Nous ne pouvons endurer ce que vous criez sur vos théâtres, ni dans nos villes écouter personne qui parle plus haut que nous. Que si telle est la sévérité des lois politiques, les lois chrétiennes souffriront-elles qu'on parle plus haut que l'Evangile? qu'on applaudisse de toute sa force, et qu'on attire l'applaudissement de tout le public (2) De Rep.

(1) De Rep. lib. 11, 111, x. De Leg. lib. 11, VII. — lib. x, fin. (3) Ibid. lib. 111. De Leg. lib. VIL

XX.

l'Ecriture

en avoit

point parmi

à l'ambition, à la gloire, à la vengeance, au point d'honneur, que Jésus-Christ a proscrit avec le monde? ou qu'on intéresse les hommes dans des passions qu'il veut éteindre? Saint Jean crie à tous les fidèles et à tous les âges (1) : <<< Je vous » écris, pères, et à vous, vieillards; je vous écris, » jeunes gens; je vous écris, enfans; chrétiens, » tant que vous êtes, n'aimez point le monde; » car tout y est ou concupiscence de la chair, ou » concupiscence des yeux, ou orgueil de la vie ». Dans ces paroles, et le monde, et le théâtre qui en est l'image, sont également réprouvés : c'est le monde avec tous ses charmes et toutes ses pompes, qu'on représente dans les comédies. Ainsi, comme dans le monde, tout y est sensualité, curiosité, ostentation, orgueil; et on y fait aimer toutes ces choses, puisqu'on ne songe qu'à y faire trouver du plaisir.

On demande; et cette remarque a trouvé place Silence de dans la Dissertation : si la comédie est si dangesur les spec- reuse, pourquoi Jésus-Christ et les apôtres n'ont tacles: il n'y rien dit d'un si grand mal? Ceux qui voudroient tirer avantage de ce silence, n'auroient encore les Juifs : qu'à autoriser les gladiateurs et toutes les autres comment ils horreurs des anciens spectacles, dont l'Ecriture ne damnés dans parle non plus que des comédies. Les saints Pères, les saintes qui ont essuyé de pareilles difficultés de la bouche passages de des défenseurs des spectacles, nous ont ouvert le saint Jean et chemin pour leur répondre : que les délectables représentations qui intéressent les hommes dans des inclinations vicieuses, sont proscrites avec

sont con

Ecritures:

de saint Paul.

(1) I. Joan. 11. 12.

elles dans l'Ecriture.Les immodesties des tableaux sont condamnées par tous les passages où sont rejetées en général les choses déshonnêtes : il en est de même des représentations du théâtre. Saint Jean n'a rien oublié, lorsqu'il a dit (1) : « N'aimez >> point le monde, ni ce qui est dans le monde : » celui qui aime le monde, l'amour du Père n'est » point en lui; car tout ce qui est dans le » monde, est concupiscence de la chair, ou con>> cupiscence des yeux, ou orgueil de la vie; la>> quelle concupiscence n'est point de Dieu, >> mais du monde ». Si la concupiscence n'est pas de Dieu, la délectable représentation qui en étale tous les attraits n'est non plus de lui, mais du monde, et les chrétiens n'y ont point de part.

[ocr errors]

Saint Paul aussi a tout compris dans ces paroles (2): « Au reste, mes frères, tout ce qui est » véritable: tout ce qui est juste, tout ce qui est » saint, (selon le grec, tout ce qui est chaste, » tout & qui est pur) tout ce qui est aimable, » tout ce qui est édifiant; s'il y a quelque vertu parmi les hommes, et quelque chose digne de louange dans la discipline; c'est ce que vous >> devez penser >> : tout ce qui vous empêche d'y penser, et qui vous inspire des pensées con traires, ne doit point vous plaire, et doit vous être suspect. Dans ce bel amas de pensées que saint Paul propose à un chrétien, qu'on trouve la place de la comédie de nos jours, quelque vantée qu'elle soit par les gens du monde.

[ocr errors]

(1) I. Joan. 11. 15. — (2) Philipp. 1v. 8.

« PrécédentContinuer »