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anciens un des instrumens les plus méprisés : à quoi il faut ajouter, qu'il quitta ce vil exercice aussitôt qu'il eut reçu les instructions de saint Paphnuce: et c'est à quoi se réduit cette preuve si décisive, qu'on prétend tirer de saint Thomas à l'avantage de la comédie.

Secondement, lorsqu'il parle dans cet endroit du plaisir que ces histrions donnoient au peuple en paroles et en actions, il ne sort point de l'idée des discours facétieux accompagnés de gestes plaisans ce qui est encore bien éloigné de la comédie. On n'en voit guère en effet, et peutêtre point, dans le temps de ce saint docteur. Dans son livre sur les Sentences, il parle luimême des «< jeux du théâtre comme de jeux qui » furent autrefois : ludi qui in theatris ageban» tur(1) » : et dans cet endroit, non plus que dans tous les autres où il traite des jeux de son temps, les théâtres ne sont pas seulement nommés. Je ne les ai non plus trouvés dans saint Bonaventure son contemporain. Tant de décrets de l'Eglise et le cri universel des saints Pères les avoit décrédités, et peut-être renversés entièrement. Ils se relevèrent quelque temps après sous une autre forme, dont il ne s'agit pas ici mais comme l'on ne voit pas que saint Thomas en ait fait aucune mention, l'on peut croire qu'ils n'étoient pas beaucoup en vigueur de son temps, où l'on ne voit guère que des récits ridicules d'histoires pieuses, ou en tout cas certains jongleurs, joculatores, qui divertissoient le peuple, (1) In 4. dist. XVI, q. IV, art. 2. c.

:

XXIV.

réflexion sur

mas: passage

tre les bouffonneries.

et qu'on prétend à la fin que saint Louis abolit, par la peine qu'il y a toujours à contenir de telles gens dans les règles de l'honnêteté.

Quoi qu'il en soit, en troisième lieu, il ne faut Troisième pas croire que saint Thomas ait été capable d'apla doctrine prouver les bouffonneries dans la bouche des de saint Tho chrétiens, puisque, parmi les conditions sous de ce saint lesquelles il permet les réjouissances, il exige docteur con- entre autres choses, « que la gravité n'y soit pas » entièrement relâchée; ne gravitas animæ tota» liter resolvatur (1) ». Il faudroit donc, pour tirer de saint Thomas quelque avantage, faire voir par ce saint docteur, que cette condition convienne aux bouffonneries poussées à l'extrémité dans nos théâtres, où l'on en est comme enivré; et prouver que quelque reste de gravité s'y conserve encore parmi ces excès. Mais saint Thomas est bien éloigné d'une doctrine si absurde, puisqu'au contraire dans son commentaire sur ces paroles de saint Paul : Qu'on » n'entende point parmi vous de saleté, turpi» tudo; de paroles folles, stultiloquium; de bouf» fonneries, scurrilitas (2) » ; il explique ainsi ces trois mots : « L'apôtre, dit-il (3), exclut trois »vices, tria vitia excludit: la saleté, turpitudi>> nem: qui se trouve, in tactibus turpibus et am» plexibus et osculis libidinosis », car c'est ainsi qu'il l'explique : «<les folles paroles, stultilo» quium: c'est-à-dire, continue-t-il, celles qui >> provoquent au mal, verba provocantia ad

(1) 2. 2. q. CLXVIII, a. 2. c. --- (2) Eph. v. 4.
Ep. ad Eph. cap. v,
lect. 2.

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(3) Comm. in

>>

» malum et enfin les bouffonneries, scurrilita» tem: c'est-à-dire, poursuit saint Thomas, les paroles de plaisanterie', par lesquelles on veut >> plaire aux autres » et contre lesquelles il allègue ces paroles de Jésus-Christ en saint Matthieu (1): « On rendra compte à Dieu de toute parole oiseuse : id est verbum joculatorium » per quod volunt inde placere aliis: De omni » verbo otioso, etc. »

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Il compte donc manifestement ces trois choses parmi les vices, tria vitia, et reconnoît un vice ou une malice particulière dans les paroles, par lesquelles on veut plaire aux autres et les faire rire, distincte de celle des paroles qui portent au mal; ce qui bannit manifestement la bouffonnerie, ou, pour parler plus précisément, la plaisanterie, du milieu des chrétiens, comme une action légère, indécente, en tout cas oisive, selon saint Thomas, et indigne de la gravité des mœurs chrétiennes.

Quatrième,

sage expres

En quatrième lieu, quand il seroit vrai, ce XXV. qui n'est pas, que saint Thomas, à l'endroit que cinquième et l'on produit de sa Somme (2), ait voulu parler de sixième réla comédie; soit qu'elle ait été ou n'ait pas été flexion: pașen vogue de son temps, il est constant que le de saint Thodivertissement qu'il approuve doit être revêtu mas, et conde trois qualités, dont « la première et la prin- ses senticipale est qu'on ne recherche point cette dé- mens.

>>

» lectation dans des actions ou des paroles mal>> honnêtes ou nuisibles : la seconde, que la » gravité n'y soit pas entièrement relâchée : la

(1) Matth. x11. 36. — (2) 2. 2. q. CLXVIII, art. 2. c.

ciliation de

» troisième, qu'elle convienne à la personne, >> au temps et au lieu ». Pour donc prouver quelque chose, et pour satisfaire à la première condition, d'abord il faudroit montrer, ou qu'il ne soit pas nuisible d'exciter les passions les plus dangereuses, ce qui est absurde; ou qu'elles ne soient pas excitées par les délectables représentations qu'on en fait dans les comédies, ce qui répugne à l'expérience et à la fin même de ces représentations, comme on a vu : ou enfin que saint Thomas ait été assez peu habile pour ne sentir pas qu'il n'y a rien de plus contagieux pour exciter les passions, particulièrement celle de l'amour, que les discours passionnés : ce qui seroit la dernière des absurdités, et la plus aisée à convaincre par les paroles de ce saint, si la chose pouvoit recevoir le moindre doute. Voilà pour ce qui regarde la première condition. Nous avons parlé de la seconde, qui regarde les bouffonneries, et la troisième paroîtra quand nous traiterons des circonstances du temps par rapport aux fêtes et au carême.

>>

Cela posé, nous ferons encore une cinquième réflexion sur ces paroles de saint Thomas dans la troisième objectión de l'article troisième. « Si les >> histrions poussoient le jeu et le divertissement jusqu'à l'excès, ils seroient tous en état de péché : >> tous ceux qui se serviroient de leur ministère ou >> leur donneroient quelque chose, seroient dans » le péché ». Saint Thomas laisse passer ces propositions qui en effet sont incontestables, et il n'excuse ces histrions quels qu'ils soient, qu'en suppo

sant que leur action, de soi, n'a rien de mauvais ni d'excessif, secundùm se. Si donc il se trouve dans le fait, quel que soit cet exercice en soimême, que parmi nous il est revêtu de circons tances nuisibles, il faudra demeurer d'accord, selon la règle de saint Thomas, que ceux qui y assistent, quoiqu'ils se vantent de n'en être point émus, et que peut-être ils ne le soient point sensiblement, ne laissent pas de participer au mal qui s'y fait, puisque bien certainement ils y contribuent.

Enfin en sixième lieu, encore que saint Thomas spéculativement et en général ait mis ici l'art des baladins ou des comédiens, ou en quelque sorte qu'on veuille traduire ce mot histrio, au rang des arts innocens, ailleurs, où il en regarde l'usage ordinaire, il le compte parmi les arts infâmes, et le gain qui en revient, parmi les gains illicites et honteux; «< tels que sont, » dit-il (1), le gain qui provient de la prostitu» tion et du métier d'histrion: quædam dicuntur » malè acquisita, quia acquiruntur ex turpi » causá, sicut de meretricio et histrionatu, et » aliis hujusmodi ». Il n'apporte ni limitation ni tempérament à ses expressions, ni à l'horreur qu'il attire à cet infâme exercice. On voit à quoi il compare ce métier qu'il excuse ailleurs. Comment concilier ces deux passages, si ce n'est en disant, que lorsqu'il l'excuse, ou si l'on veut, qu'il l'approuve, il le regarde selon une idée générale abstraite et métaphysique; mais que lorsqu'il le considère naturellement de la ma

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