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meilleure que le monde ne la croit, et pas si bonne qu'elle se croit elle-même : car elle prend encore un peu la volonté d'être vertueuse pour la vertu même, qui est une illusion dangereuse de ceux qui commencent. Nous ne lui parlons jamais de vos lettres; nous craignons trop les échos fréquens.

Priez pour moi, je vous en conjure. Au reste, une fois pour toutes, ne me parlez jamais de mon innocence, et ne traitez pas de cette sorte le plus indigne de tous les pécheurs : je vous parle ainsi de bonne foi, par la seule crainte que j'ai d'ajouter l'hypocrisie à mes autres maux.

A Versailles, ce 8 février 1674.

LETTRE XXII.

AU MÊME.

Sur la conduite de Dieu à l'égard de madame de la Vallière, et sur l'horreur que nous devons avoir de nous-mêmes, lorsque nous nous considérons à la lumière de la vérité.

Je vous ai gardé long-temps une réponse de moi, avec deux lettres de madame la duchesse de la Vallière, que je prétendois donner à M. Desvaux, et que j'ai à la fin données à la mère Agnès. Il ne m'a pas été malaisé de faire agréer à madame de la Vallière les lettres que vous lui écrivez; elle les reçoit avec une grande joie, et en est touchée. Il me semble que sans qu'elle fasse aucun mouvement, ses affaires s'avancent. Dieu ne la quitte point, et sans violence il rompt ses liens. Elle ne parle pour

tant point pour finir ses affaires : mais j'espère qu'elles se feront, et que sa grande affaire s'achevera; du moins la vois-je toujours très-bien disposée.

Que Dieu est grand et saint! et qu'on doit trembler quand on n'est pas fidèle à sa grâce! Qu'il aime la simplicité d'un cœur qui se fie en lui, et qui a horreur de soi-même! car il faut aller jusqu'à l'horreur, quand on se connoît. Nous ne pouvons souffrir le faux ni le travers de tant d'esprits : considérons le nôtre; nous nous trouverons gâtés dans le principe. Nous ne cherchons ni la raison ni le vrai en rien mais après que nous avons choisi quelque chose par notre humeur, ou plutôt que nous nous y sommes laissés entraîner, nous trouvons des raisons pour appuyer notre choix. Nous voulons nous persuader que nous faisons par modération, ce que nous faisons par paresse. Nous appelons souvent retenue, ce qui en effet est timidité; ou courage, ce qui est orgueil et présomption; ou prudence et circonspection, ce qui n'est qu'une basse complaisance, Enfin nous ne songeons point à avoir véritablement une vertu; mais ou à faire paroître aux autres que nous l'avons, ou à nous le persuader à nous-mêmes. Lequel est le pis des deux? Je ne sais; car les autres sont encore plus difficiles à contenter que nous-mêmes, et nous n'allons guère avant quand il n'y a que nous à tromper. Nous en avons trop bon marché; et l'hypocrisie qui veut contenter les autres, se trouve obligée de prendre beaucoup plus sur soi. Cependant c'est là notre but ; et pourvu que, par quelques pratiques superficielles de vertu,

nous puissions nous amuser nous-mêmes, en nous disant, Je fais bien; nous voilà contens. Nous ne songeons pás que si nous faisions quelque chose par vertu, ce même motif nous feroit tout faire; au lieu que, ne prenant dans la vertu que ce qui nous plaît, et laissant le reste qui ne s'accommode pas si bien à notre humeur, nous montrons que c'est notre hu meur, et non la vertu, que nous suivons. Comment donc soutiendrons-nous les yeux de Dieu? et le faux qui paroît en tout dans notre conduite, comment subsistera-t-il dans le règne de la vérité?

Je tremble, dans la vérité, jusque dans la moelle des os, quand je considère le peu de fond que je trouve en moi cet examen me fait peur; et cependant, sorti de là, si quelqu'un va trouver que je n'ai point raison en quelque chose, me voilà plein aussitôt de raisonnemens et de justifications. Cette horreur que j'avois de moi-même s'est évanouie, je ressens l'amour-propre, ou plutôt je montre que je ne m'en étois pas défait un seul moment. O quand sera-ce que je songerai à être en effet, sans mè mettre en peine de paroître ni à moi ni aux autres ? Quand serai-je content de n'être rien, ni à mes yeux, ni aux yeux d'autrui? Quand est-ce que Dieu me suffira? O que je suis malheureux d'avoir autre chose que lui en vue! Quand est-ce que sa volonté sera ma seule règle, et que je pourrai dire avec saint Paul (1): « Nous n'avons pas reçu l'esprit de ce » monde; mais un esprit qui vient de Dieu »? Esprit du monde, esprit d'illusion et de vanité, esprit d'amusement et de plaisir, esprit de raillerie et de (1) I. Cor. 11. 12.

dissipation,

dissipation, esprit d'intérêt et de gloire. Esprit de Dieu, esprit de pénitence et d'humilité, esprit de charité et de confiance, esprit de simplicité et de douceur, esprit de mortification et de componction, esprit qui hait le monde, et que le monde a en aversion, mais qui surmonte le monde : Dieu veuille nous le donner.

On dit que nous serons du voyage de la Reine : si cela est, nous serons peut-être plus proches de vous, et plus en état d'avoir de vos nouvelles; ce me sera beaucoup de consolation. Je vous écris les choses comme elles me viennent. « Veillez et priez, de » peur que vous n'entriez en tentation : l'esprit est >> prompt; mais la chair est foible (1) ».

A Versailles, ce 3 mars 1674.

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LETTRE XXIII.

AU MÊME.

Il lui annonce le prochain départ de madame de la Vallière pour les Carmélites, lui marque quelle est son ardeur pour la pénitence et les austérités du cloître, et en prend occasion de lui témoigner de grands sentimens d'humilité.

Je vous envoie une lettre de madame la duchesse de la Vallière, qui vous fera voir que, par la grâce de Dieu, elle va exécuter le dessein que le SaintEsprit lui avoit mis dans le cœur. Toute la Cour est édifiée et étonnée de sa tranquillité et de sa joie, qui s'augmente à mesure que le temps approche. En vérité, ses sentimens ont quelque chose de si

(1) Matt. XXVI. 41.

BOSSUET. XXXVII.

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divin, que je ne puis y penser sans être en de continuelles actions de grâces: et la marque du doigt de Dieu, c'est la force et l'humilité qui accompagnent toutes ses pensées; c'est l'ouvrage du SaintEsprit. Ses affaires se sont disposées avec une facilité merveilleuse : elle ne respire plus que la pénitence; et sans être effrayée de l'austérité de la vie qu'elle est prête d'embrasser, elle en regarde la fin avec une consolation qui ne lui permet pas d'en craindre la peine. Cela me ravit et me confond : je parle, et elle fait; j'ai les discours, elle a les œuvres. Quand je considère ces choses, j'entre dans le désir de me taire et de me cacher; et je ne prononce pas un seul mot, où je ne croie prononcer ma condamnation.

Je suis bien aise que mes lettres vous aient édifié. Dieu m'a donné cela pour vous; et vous en profiterez mieux que moi, pauvre canal où les eaux du ciel passent, et qui à peine en retient quelques gouttes. Priez Dieu pour moi sans relâche, et demandez-lui qu'il me parle au cœur.

A Versailles, ce 6 avril 1674.

LETTRE XXIV.

AU MÊME.

Il lui demande des instructions sur la cause de sa nouvelle disgrâce; et le porte à prendre les moyens convenables pour l'empêcher, s'il est encore temps (1).

QUELS que soient les ordres et les desseins de la divine Providence sur vous, je les adore, et je crois

(1) Cette seconde disgrâce du maréchal de Bellefonds fut occa

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