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peut prendre pour la lever. Ces Messieurs disent que, selon l'ordre de vos missions, lorsqu'ils sont dans leurs fonctions, toutes prédications cessent, hors celles qu'ils font à leurs heures; et que par tant, notre prédicateur ordinaire du carême seroit obligé de cesser et de se retirer: ce que je vous sup plie de considérer, et de voir l'inconvénient auquel cela nous pourroit jeter. Celui que nous avons pour le prochain carême, est un fort honnête et habile religieux de l'ordre de saint Dominique, docteur de Sorbonne, qui a déjà prêché l'avent avec applaudissement et recommandation, et lequel j'ai retenu ici sur la bonne foi, n'étant point averti de cet ordre, l'ayant même fait refuser la chaire d'Angers qui lui étoit offerte. Il y auroit une espèce d'affront de le congédier à l'entrée du carême. Nous pourrons, si vous le trouvez bon, concilier cela en lui faisant remettre les lundi, mardi et jeudi de la semaine; et ainsi ces Messieurs auront quatre jours sur semaine pour prêcher en la cathédrale le matin; ayant au surplus, tout le reste du temps, ladite cathédrale libre pour leurs exercices. Je suis bien fâché qu'on n'ait pas prévenu cet inconvénient: mais puisque la chose est ainsi, ils pourront fort bien prêcher trois jours dans une autre église que nous leur désignerons, fort propre pour cela.

Il ne reste, au surplus, aucune difficulté, sinon de pourvoir à ce qui est nécessaire pour recevoir et loger ceux que vous nous envoyez. Ils seront les très-bien venus, venant au nom du Seigneur et de

la

part de Sa Majesté. M. de la Contour nous a donné le logis du Roi, à la Haute-Picrre, où ils se

ront très-commodément logés. Pour ce qui est des meubles et pour leur nourriture, nous aviserons aux moyens de leur faire tout administrer on vous en rendra raison au premier jour. Cependant je vous / supplie de croire que je suis trop heureux d'avoir cette occasion de vous assurer de la continuation de mes services et obéissances, étant, Monsieur, votre très-humble et obéissant serviteur,

J. BEDACIER, év. d'Auguste.

De Metz, le 39 janvier 1658.

LETTRE III.

DE BOSSUET A ́S. VINCENT DE PAUL.

Il lui apprend avec quel respect les lettres de la Reine avoient été reçues à Metz; lui marque la violence exercée par les Protestans de cette ville, à l'égard d'une servante catholique, malade à l'extrémité; et lui fait connoître les artifices de ces hérétiques.

J'AI été extrêmement consolé que celui de vos prêtres qui est venu ici, ait été M. de Monchy : mais j'ai beaucoup de déplaisir qu'il y ait fait si peu de séjour. Il pourra, Monsieur, vous avoir appris que les lettres de la Reine ont été reçues avec le respect dû à Sa Majesté, et que M. l'évêque d'Auguste et M. de la Contour ont fait leur devoir en cette rencontre.

Je rends compte à M. de Monchy de l'état des choses depuis son départ; et je me remets à lui à vous en instruire, pour ne pas vous importuner par des redites mais je me sens obligé, Monsieur, à

:

vous informer d'une chose qui s'est passée ici depuis quelque temps, et qui sera bientôt portée à la Cour.

Une servante catholique, qui est décédée chez un Huguenot, marchand considérable et accommodé, a été étrangement violentée dans sa conscience. Il est constant, par la propre déposition de son maître, qu'elle avoit fait toute sa vie profession de la religion catholique il paroît même certain qu'elle avoit communié peu de temps avant que de tomber malade. Elle n'a jamais été aux prêches, ni n'a fait aucun exercice de la religion prétendue réformée. Son maître prétend que, cinq jours avant sa mort, elle a changé de religion : il lui a fait, dit-il, venir des ministres pour recevoir sa déclaration, sans avoir appelé à cette action ni le curé, ni le magistrat, ni aucun catholique qui pût rendre témoignage du fait. Le jour que cette pauvre fille mourut, un jésuite, averti, par un des voisins, de la violence qu'on lui faisoit, se présente pour la consoler. On lui refuse l'entrée; et il est certain qu'elle étoit vivante. Il retourne, quelque temps après, avec l'ordre du magistrat, et il la trouve décédée dans cet intervalle. Tous ces faits sont constans et avérés : il y a même des indices si forts qu'elle a demandé un prêtre, et les parties ont si fort varié dans leurs réponses sur ce sujet-là, que cela peut passer pour certain.

Je ne vous exagère pas, Monsieur, ni les circons tances de cette affaire, ni de quelle conséquence elle est ; vous le voyez assez de vous-même, et quelle est l'imprudence de ceux qui, ayant reçu, par grâce du Roi, la liberté de conscience dans son Etat, la

ravissent dans leurs maisons à ses sujets leurs servi teurs. Certainement cela crie vengeance: cependant les ministres et le consistoire soutiennent cette entreprise; et M. de la Contour m'a dit aujourd'hui qu'un député de ces Messieurs avoit bien eu le front de lui dire, que cet homme n'avoit rien fait sans ordre. Bien plus, ils ont ajouté qu'ils alloient se plaindre à la Cour, de la procédure qui a été faite par le lieutenant-général le tout, sans doute, à dessein, Monsieur, d'évoquer l'affaire au conseil ; afin de la tirer du lieu où l'on en a plus de connoissance, et de l'assoupir par la longueur du temps. Dieu ne permettra pas que leur mauvais dessein réussisse; et je vous supplie, Monsieur, d'employer en cette rencontre tous les moyens que vous avez, pour empêcher qu'on n'écoute pas ces députations séditieuses, et faire que les choses demeurent dans le cours ordinaire de la justice, selon lequel ils ne peuvent pas éviter d'être châtiés de cet attentat contre les édits et la liberté des consciences. La Reine, étant en cette ville, a témoigné tant de piété et tant de zèle pour la religion, que je ne doute pas qu'étant avertie de cette entreprise, elle ne veuille que la justice en soit faite.

Outre cela, Monsieur, le Roi leur ayant accordé, de grâce, deux pédagogues pour leurs enfans, à condition que ces maîtres seroient catholiques, ils vont demander des gages pour eux. Cela n'a ni justice ni apparence, et ils veulent en charger cette pauvre ville. Mais comme ils savent qu'apparemment on ne leur accordera pas leur demande, je me trompe bien fort si leur dessein n'est d'obtenir, que si on

ne veut pas les gager, on leur donne la liberté de les mettre tels qu'il leur plaira, et par conséquent de leur religion. La Reine seule empêcha ici qu'on ne leur donnât cette permission, et je ne doute pas qu'elle ne continue dans ce bon dessein. Je ne vous dis pas, Monsieur, maintenant ce que vous avez à faire sur ce sujet : c'est assez que vous soyez averti; Dieu vous inspirera le reste. J'attends avec impatience les excellens ouvriers qu'il nous envoie par votre moyen; et suis, avec un respect très-profond, Monsieur, votre très-humble et très-obéissant serviteur,

BOSSUET, prêtre ind.

A Metz, ce 1er février 1658.

LETTRE IV.

A M. DE MONCHY.

Il lui parle des dispositions relatives à la mission, et l'instruit des intrigues des Protestans, pour assurer l'impunité de leur excès.

La paix de notre Seigneur soit avec nous.

Pour commencer à vous rendre compte de l'état des choses depuis votre départ, je vous dirai premièrement, que par les soins et les adresses de M. de la Contour, l'on a trouvé le nombre de lits, matelas, draps et couvertures que vous marquez par votre mémoire. La ville en fournit quelques-uns qui étoient en réserve chez le receveur : on prendra les autres ou du concierge ou des juifs; et l'on fera en sorte que cela ne sera pas à charge à la mission, et qu'on

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