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vide de soi-même et plein de Dieu. Priez, je vous en conjure: donnez-moi de vos nouvelles. Ma sœur Louise de la Miséricorde a enfin achevé son sacrifice; c'est un miracle de la grâce. Recommandezmoi aux prières de M. de Grenoble ; j'entends tous les jours de lui des merveilles. Il faudra bien quelque jour faire pénitence à son exemple.

A Saint-Germain, ce 20 juin 1675.

LETTRE XXXIII.

A LOUIS XIV.

Sur les caractères d'une véritable conversion, et les dispositions nécessaires pour y parvenir (1).

SIRE,

Le jour de la Pentecôte approche, où Votre Majesté a résolu de communier. Quoique je ne doute pas qu'elle ne songe sérieusement à ce qu'elle a promis à Dieu; comme elle m'a commandé de l'en faire souvenir, voici le temps que je me sens le plus obligé de le faire. Songez, Sire, que vous ne pouvez être véritablement converti, si vous ne travaillez à ôter de votre cœur non-seulement le péché, mais la

(1) Cette lettre est sans date dans l'original; mais il est évident qu'elle a précédé la suivante, également adressée à Louis XIV, et tous les faits nous assurent qu'elle fut envoyée en 1675, lorsque le Roi commandoit en personne ses armées des Pays-Bas. Cependant comme nous ne pourrions marquer le temps précis où elle a été écrite, nous avons pris le parti de réunir ces deux lettres, qu'on sera bien aise de lire sans interruption.

cause qui vous y porte. La conversion véritable ne se contente pas seulement d'abattre les fruits de mort, comme parle l'Ecriture (1), c'est-à-dire, les péchés; mais elle va jusqu'à la racine, qui les feroit repousser infailliblement si elle n'étoit arrachée. Ce n'est pas l'ouvrage d'un jour, je le confesse mais plus cet ouvrage est long et difficile, plus il y faut travailler. Votre Majesté ne croiroit pas s'être assurée d'une place rebelle, tant que l'auteur des mouvemens y demeureroit en crédit. Ainsi jamais votre cœur ne sera paisiblement à Dieu, tant que cet amour violent, qui vous a si long-temps séparé de lui, y régnera.

Cependant, Sire, c'est ce cœur que Dieu demande. Votre Majesté a vu les termes avec lesquels il nous commande de le lui donner tout entier : elle m'a promis de les lire et les relire souvent. Je vous envoie encore, Sire, d'autres paroles de ce même Dieu, qui ne sont pas moins pressantes, et que je supplie Votre Majesté de mettre avec les premières. Je les ai données à madame de Montespan, et elles lui ont fait verser beaucoup de larmes. Et certainement, Sire, il n'y a point de plus juste sujet de pleurer, que de sentir qu'on a engagé à la créature un cœur que Dieu veut avoir. Qu'il est malaisé de se retirer d'un si malheureux et si funeste engagement! Mais cependant, Sire, il le faut, ou il n'y a point de salut à espérer. Jésus-Christ, que vous recevrez, vous en donnera la force, comme il vous en a déjà donné le désir.

(1) Rom. vII. 5.

Je ne demande pas, Sire, que vous éteigniez en un instant une flamme si violente; ce seroit vous demander l'impossible: mais, Sire, tâchez peu à peu de la diminuer; craignez de l'entretenir. Tournez votre cœur à Dieu; pensez souvent à l'obligation que vous avez de l'aimer de toutes vos forces, et au malheureux état d'un cœur qui, en s'attachant à la créature, par-là se rend incapable de se donner tout-à-fait à Dieu, à qui il se doit.

J'espère, Sire, que tant de grands objets qui vont tous les jours de plus en plus occuper Votre Majesté, serviront beaucoup à la guérir. On ne parle que de la beauté de vos troupes et de ce qu'elles sont capables d'exécuter sous un aussi grand conducteur : et moi, Sire, pendant ce temps, je songe secrètement en moi-même à une guerre bien plus importante, et à une victoire bien plus difficile que Dieu vous propose.

Méditez, Sire, cette parole du Fils de Dieu : elle semble être prononcée pour les grands rois et pour les conquérans : « Que sert à l'homme, dit-il (1), de » gagner tout le monde, si cependant il perd son >> ame? et quel gain pourra le récompenser d'une » perte si considérable » ? Que vous serviroit, Sire, d'être redouté et victorieux au dehors, si vous êtes au dedans vaincu et captif? Priez donc Dieu qu'il vous affranchisse; je l'en prie sans cesse de tout mon eœur. Mes inquiétudes pour votre salut redoublent de jour en jour; parce que je vois tous les jours, de plus en plus, quels sont vos périls.

(1) Marc. VIII. 36, 37.

A

si

Sire, accordez-moi une grâce: ordonnez au père de la Chaise de me mander quelque chose de l'état où vous vous trouvez. Je serai heureux, Sire, j'apprends de lui que l'éloignement et les occupations commencent à faire le bon effet que nous avons espéré. C'est ici un temps précieux. Loin des périls et des occasions, vous pouvez plus tranquillement consulter vos besoins, former vos résolutions et régler votre conduite. Dieu veuille bénir Votre Majesté : Dieu veuille lui donner la victoire; et par la victoire, la paix au dedans et au dehors. Plus Votre Majesté donnera sincèrement son cœur à Dieu, plus elle mettra en lui seul son attache el sa confiance; plus aussi elle sera protégée de sa main toute-puis

sante.

Je vois, autant que je puis, madame de Montespan, comme Votre Majesté me l'a commandé. Je la trouve assez tranquille : elle s'occupe beaucoup aux bonnes œuvres ; et je la vois fort touchée des vérités que je lui propose, qui sont les mêmes que je dis aussi à Votre Majesté. Dieu veuille vous les mettre à tous deux dans le fond du cœur, et achever son ouvrage; afin que tant de larmes, tant de violences, tant d'efforts que vous avez faits sur vous-mêmes, ne soient pas inutiles.

Je ne dis rien à Votre Majesté de monseigneur le Dauphin: M. de Montausier lui rend un fidèle compte de l'état de sa santé, qui, Dieu merci, est parfaite. On exécute bien ce que Votre Majesté a ordonné en partant; et il me semble que monseigneur le Dauphin a dessein, plus que jamais, de profiter de ce qu'elle lui a dit. Dieu, Sire, bénira en tout Votre Majesté,

si elle lui est fidèle. Je suis, avec un respect et une

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Lois que Dieu prescrit au prince chargé de gouverner son peuple. Obligation qui lui est imposée, et motifs qui le pressent de soulager efficacement ses sujets dans leur misère. Moyens que le prélat suggère au Roi pour y réussir.

VOTRE Majesté m'a fait une grande grâce, d'avoir bien voulu m'expliquer ce qu'elle souhaite de moi, afin que je puisse ensuite me conformer à ses ordres, avec toute la fidélité et l'exactitude possibles. C'est avec beaucoup de raison qu'elle s'applique si sérieusement à régler toute sa conduite car après vous être fait à vous-même une si grande violence dans une chose qui vous touche si fort au cœur, vous n'avez garde de négliger vos autres devoirs, où il ne s'agit plus que de suivre vos inclinations.

Vous êtes né, Sire, avec un amour extrême pour la justice, avec une bonté et une douceur qui ne peuvent être assez estimées; et c'est dans ces choses que Dieu a renfermé la plus grande partie de vos devoirs, selon que nous l'apprenons par cette parole

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