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qui nous donne tant d'inquiétudes. Dieu a tous les temps dans sa main, et s'en sert pour avancer et pour retarder, ainsi qu'il lui plaît, l'exécution des desseins des hommes. Il faut adorer en tout ses volontés saintes, et apprendre à le servir pour l'amour de lui-même.

Je supplie Votre Majesté de me pardonner cette longue lettre jamais je n'aurois eu la hardiesse de lui parler de ces choses, si elle ne me l'avoit si expressément commandé. Je lui dis les choses en gé néral; et je lui en laisse faire l'application, suivant que Dieu l'inspirera. Je suis, avec un respect et une dépendance absolue, aussi bien qu'avec une ardeur et un zèle extrême, etc.

A Saint-Germain, ce 10 juillet 1675.

INSTRUCTION

DONNÉE A LOUIS XIV,

EN 1675 (1).

Quelle est la dévotion d'un roi.

L'ESSENTIELLE obligation que la religion impose à l'homme, c'est d'aimer Dieu de tout son cœur,

(1) Cette instruction étant relative aux deux lettres qu'on vient de lire, nous avons cru ne pouvoir lui assigner une place plus convenable que celle que nous lui donnons. Le lecteur lira sans doute avec plaisir quelques anecdotes qui ont trait à cette instruction, et qui sont rapportées par l'abbé Ledieu, secrétaire de Bossuet.

« On ne peut douter, dit-il, que cette règle de vie n'ait été >> donnée au Roi par M. de Condom, après l'éclat de l'éloigne

comme la source de tout son être et de tout son bien; et de ne rien aimer qui ne se rapporte à lui. C'est à quoi doit tendre toute la vie chrétienne; et on n'a ni piété véritable, ni pénitence sincère, tant qu'on ne se met point en état, et qu'on n'a point le désir de faire régner en soi-même un tel amour. En cet amour consiste la vraie vie, selon que notre Seigneur l'a enseigné dans son Evangile.

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Cet amour n'est autre chose qu'une volonté ferme et constante de plaire à Dieu, de se conformer entiè

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» ment de madame de Montespan, à Pâque 1675; puisqu'alors le Roi étant à l'armée entretint un commerce suivi de lettres » avec ce prélat, jusqu'à son retour à la Cour, qui eut les fu» nestes suites que j'ai marquées ailleurs ». Ces funestes suites, dont parle ici M. Ledieu, regardent les nouvelles liaisons que le Roi entretint, à son retour, avec madame de Montespan, sous prétexte d'une amitié honnête, qui firent bientôt évanouir tous les projets de conversion, et se terminèrent à la naissance de plusieurs enfans naturels, dont le comte de Toulouse fut du nombre.

« Le mois d'août 1701, ajoute M. Ledieu, on a beaucoup parlé à la Cour de la satisfaction que madame la duchesse de Bourgogne témoigna avoir eue de M. le prieur de Marli, à qui elle » se confessa dans sa maladie de ce temps-là. M. l'archevêque de » Rheims disoit tout haut: Elle est plus contente du curé que » de son jésuite. Il est certain que ce prieur lui dit de grandes » vérités, qu'elle avoua n'avoir jamais sues. Elle dit à monsei» gneur l'évêque de Meaux, qu'il parloit bien de Dieu, qu'elle » en avoit été très-touchée, qu'elle vouloit servir Dieu avec plus » de soin, et qu'elle croyoit que cette maladie lui avoit été en» voyée pour l'en avertir.

» Ce fut à ce propos, que monseigneur l'évêque de Meaux nous » dit à Versailles, le mardi 23 d'août, MM. les abbés Fleury et » Cattellan présens : J'ai autrefois donné au Roi une instruction » par écrit, où je mettois l'amour de Dieu pour fondement de la » vie chrétienne. Le Roi l'ayant lue, me dit: Je n'ai jamais ouï » parler de cela, on ne m'en a rien dit ».

rement à ses ordres, et d'arracher de son cœur tout ce qui lui déplaît, quand il en devroit coûter la vie.

Cet amour nous doit faire aimer notre prochain comme nous-mêmes, selon le précepte de l'Evangile (1); ce qui nous oblige à lui procurer tout le bien possible, chacun selon son état.

Un roi peut pratiquer cet amour de Dieu et du prochain, à tous les momens de sa vie; et loin d'être détourné par-là de ses occupations, cet amour les lui fera faire avec fermeté, avec douceur, avec une consolation intérieure, et un repos de conscience qui passe toutes les joies de la terre.

Ainsi aimer Dieu, à un roi, ce n'est rien faire d'extraordinaire ; mais c'est faire tout ce que son devoir exige de lui, pour l'amour de celui qui le fait régner.

Un roi qui aime Dieu, le veut faire régner dans son royaume comme le véritable souverain, dont les rois ne sont que les lieutenans; et en lui soumettant sa volonté, il lui soumet en même temps les volontés de tous ses sujets, autant qu'elles dépendent de la

sienne.

Il protège la religion en toutes choses; et il connoît, en protégeant la religion, que c'est la religion qui le protège lui-même, puisqu'elle fait le plus puissant motif de la soumission que tant de peuples rendent aux princes.

Il aime tendrement ses peuples, à cause de celui qui les a mis en sa main pour les garder; et prend pour ses sujets un cœur de père, se souvenant que

(1) Matt. XXII. 39.

Dieu, dont il tient la place, est le père commun de tous les hommes.

Par-là il reconnoît qu'il est roi pour faire du bien, autant qu'il peut, à tout l'univers, et principalement à tous ses sujets; et que c'est là le plus bel effet de sa puissance.

Ainsi ce n'est qu'à regret qu'il est contraint de faire du mal à quelqu'un par son inclination, il préféreroit toujours la clémence à la justice, s'il n'étoit forcé à exercer une juste sévérité pour retenir ses sujets dans leur devoir.

Il n'en vient aux rigueurs extrêmes que comme les médecins, lorsqu'ils coupent un membre pour sauver le corps.

En se proposant le bien de l'Etat pour la fin de ses actions, il pratique l'amour du prochain dans le souverain degré; puisque dans le bien de l'Etat est compris le bien et le repos d'une infinité de peuples.

Lorsqu'il agit fortement pour soutenir son autorité, et qu'il est jaloux de la conserver, il fait un grand bien à tout le monde ; puisqu'en maintenant cette autorité, il conserve le seul moyen que Dieu ait donné aux hommes pour soutenir la tranquillité publique, c'est-à-dire, le plus grand bien du genre humain.

Quand il rend la justice ou qu'il la fait rendre exactement selon les lois, ce qui est sa principale fonction, il conserve le bien à un chacun, et donne quelque chose aux hommes, qui leur est plus cher que tous les biens et que la vie même, c'est-à-dire, la liberté et le repos en les garantissant de toute oppression et de toute violence.

Quand il punit les crimes, tout le monde lui en est obligé; et chacun reconnoît en sa conscience que dans ce grand débordement de passions violentes, qu'on voit régner parmi les hommes, il doit son repos et sa liberté à l'autorité du prince qui réprime les méchans.

En réglant ses finances, il empêche mille pilleries qui désolent le genre humain, et mettent les foibles et les pauvres, c'est-à-dire, la plupart des hommes, au désespoir. Ainsi l'amour du prochain le dirige dans cette action; et il sert Dieu dans les hommes que Dieu a confiés à sa conduite.

S'il fait la paix, il met fin à des désordres effroya→ bles, sous lesquels toute la terre gémit.

Etant contraint de faire la guerre, il la fait avec vigueur : il empêche ses peuples d'être ravagés ; et se met en état de conclure une paix durable, en faisant redouter ses forces.

Lorsqu'il soutient sa gloire; il soutient en même temps le bien public; car la gloire du prince est l'ornement et le soutien de tout l'Etat.

S'il cultive les arts et les sciences, il procure, par ce moyen, de grands biens à son royaume, et y répand un éclat qui fait honorer la nation, et rejaillit sur tous les particuliers.

S'il entreprend quelque grand ouvrage, comme des ports, de grands bâtimens et d'autres choses semblables; outre l'utilité publique qui se trouve dans ces travaux, il donne à son règne une gloire qui sert à entretenir ce respect de la majesté royale, si nécessaire au bien du monde.

Ainsi quoi que fasse le prince, il peut toujours

avoir

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