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faire, vu l'aversion que la France avait pour lui, et que je ferais voir à M. le cardinal Barberin que n'ayant personne dans ses créatures qu'il lui fût possible de porter au pontificat, il acquérait un mérite infini envers toute l'église de le faire tomber sans aucune apparence d'intérêt au meilleur sujet. Nous crûmes que nous trouverions des secours pour notre dessein dans les dispositions des particuliers des factions; et voici sur quoi nous nous fondions. Le cardinal Montalte, qui était de celle d'Espagne, homme d'un petit talent, mais bon, de grande dépense, et qui avait un air de grand seigneur, avait une grande frayeur que le cardinal Fiorenzola, jacobin et esprit vigoureux, ne fût proposé par M. le cardinal de Grimaldi, qui était son ami intime, et dont les travers avaient assez de rapport à celui de Fiorenzola. Nous résolûmes de nous servir utilement de cette appréhension de Montalte, pour lui donner presque insensiblement de l'inclination pour Chigi. Le vieux cardinal de Médicis, qui était l'esprit du monde le plus doux, était la moitié du jour fatigué, et de la longueur du conclave, et de l'impétuosité du cardinal Jean-Charles, son neveu, qui ne l'épargnait pas quelquefois lui-même. J'étais très-bien avec lui, et au point même de donner de la jalousie à M. le cardinal

Jean-Charles; et ce qui m'avait procuré particulièrement son amitié était sa candeur naturelle, qui avait fait qu'il avait pris plaisir à ma manière d'agir avec lui. Je faisais profession publique de l'honorer, et je lui rendais même avec soin mes devoirs; mais je n'avais pas laissé de m'expliquer clairement avec lui sur mes engagemens avec M. le cardinal Barberin, et avec l'escadron. Ma sincérité lui avait plu, et il se trouva par l'événement qu'elle me fut plus utile que n'aurait été l'artifice. Je ménageai avec application son esprit, et je jugeai que je me trouverais bientôt en état de le disposer peu à peu, et à le radoucir pour M. le cardinal Barberin, qui était brouillé avec toute sa maison, et à ne pas regarder M. le cardinal Chigi comme un homme aussi dangereux qu'on le lui avait voulu faire croire.

On ne s'endormait pas, comme vous voyez, à l'égard de l'Espagne et de la Toscane, quoique l'on y parût à elle-même sansaction, parce qu'il n'était pas encore temps de se découvrir. On n'eut pas moins d'attention envers la France, dont l'opposition à Chigi était encore plus publique et plus déclarée que celle des autres. M. de Lionne, neveu de Servien, en parlait à qui le voulait entendre comme d'un pédant, et il ne présumait pas qu'on le pût seulement mettre sur les rangs. M. le car

dinal Grimaldi, qui, dans le temps de leur prélature, avait eu je ne sais quel mal-entendu avec lui, disait publiquement qu'il n'avait qu'un mérite d'imagination. Il ne se pouvait que M. le cardinal d'Est n'appréhendât, comme frère du duc de Modène, l'exaltation d'un sujet désintéressé et ferme, qui sont les deux qualités que les princes d'Italie craignent uniquement dans un pape. Vous avez vu ci-devant qu'il y avait eu même du personnel entre lui et M. le cardinal Mazarin en Allemagne; et nous jugeâmes, par toutes ces considérations, qu'il était à propos d'adoucir les choses autant que nous le pourrions de ce côté-là, qui, quoique faible, nous pourrait peut-être faire obstacle. Je dis quoique faible, parce que dans la vérité la faction de France ne faisait pas une figure assez considérable dans ce conclave, pour que nous ne pussions prétendre, et que nous ne prétendissions en effet de pouvoir faire un pape malgré elle: ce n'est pas qu'elle manquât de sujets et même capables. Est qui était protecteur suppléait par sa qualité, par sa dépense et par son courage, à ce que l'obscurité de son esprit et l'ambiguité de ses expressions diminuaient de sa considération. Grimaldi joignait à la réputation de vigueur qu'il a toujours eue un air de supériorité aux manières serviles

des autres cardinaux de la faction, et il élevait par-là au-dessus d'eux sa réputation. Bichi, habile et rompu dans les affaires, y devait tenir naturellement un grand poste. M. le cardinal Antoine brillait par sa libéralité, et M. le cardinal Ursin par son nom. Voilà bien des circonstances qui devaient faire qu'une faction ne fût pas méprisable. Il s'en fallait fort peu que celle de France ne le fût avec toutes ces circonstances, parce qu'elles se trouvèrent compliquées avec d'autres qui les empoisonnèrent. Grimaldi, qui haïssait Mazarin autant qu'il en était haï, n'agissait presqu'en rien, et d'autant moins qu'il croyait, et avec raison, que de Lionne, qui avait au dehors le secret de la cour, ne le lui confiait pas. Est qui tremblait avec tout son courage, parce que le marquis de Caracène entra justement en ce tempslà dans le Modénais, avec toute l'armée du Milanais, faisait qu'il n'osait s'étendre de toute sa force contre l'Espagne. Je vous ai déjà dit que les Médicis n'étaient point brouillés avec Ursin; Antoine n'était ni intelligent ni actif, et de plus l'on n'ignorait pas que dans le fond du cœur le cardinal Barberin, qui était très-mal à la cour de France, ne l'emportât. De Lionne n'y pouvait pas prendre une entière confiance, parce qu'il ne se pouvait pas assurer que le cardinal Barberin,

que

qui voulait aujourd'hui Sachetti qui était agréable à la France, n'en voulût pas demain un autre qui lui fût désagréable; et cette même considération diminuait encore de beaucoup la confiance de Lionne eût pu prendre au cardinal d'Est, parce qu'on savait qu'il gardait toujours beaucoup d'égards avec le cardinal Barberin, et par l'amitié qui avait été long-temps entre eux, et par la raison de la duchesse de Modène, qui était sa nièce. Bichi n'était pas selon le cœur de Mazarin, qui le croyait trop fin et très-mal disposé pour lui, comme il était vrai. Voilà, comme vous voyez, un détail qui peut vous empêcher de vous étonner de ce que la faction d'une couronne puissante et heureuse n'était pas considérée autant qu'elle devait l'être dans une conjoncture pareille. Vous en serez encore moins surprise, quand il vous plaira de faire réflexion sur le premier mobile qui donnait le mouvement à des ressorts si mal assortis, ou plutôt aussi dérangés qu'étaient ceux que je viens de vous montrer. De Lionne n'était connu à Rome que comme un petit secrétaire de M. le cardinal Mazarin. On l'y avait vu, dans le temps du ministère de M. le cardinal de Richelieu, particulier d'un assez bas étage, et de plus brelandier et concubinaire public. Il eut depuis quelque espèce d'emploi en

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