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profondes. On peut dire que c'était une obscurité palpable, car le vent ayant subitement dévié vers le Sud, donna dix fois plus de violence à la tempête, et nous suffoqua par la poussiere dont nous fûmes enveloppés. Le bruit du tonnerre était couvert par celui des vents. Ces ténebres durerent environ dix minutes, et elles firent place graduellement à une lueur rouge d'une apparence effrayante, que je crus produite par une terrible conflagration dans la ville de Lucknow. Bientôt la pluie commença à tomber par torrents, et le vent tourna entiérement au Sud. L'air totalement dégagé de poussiere, devint d'une fraîcheur agréable. En rentrant dans mon appartement, je trouvai que malgré le soin que j'avais eu d'en fermer les portes et les fenêtres, tous les meubles étaient chargés d'une poussiere très-fine. Cette tempête était une des plus terribles qu'on eût encore éprouvées à Lucknow; je n'ai jamais rien vu d'aussi imposant que le spectacle qu'elle m'offrit, sans en excepter les plus violents orages dont j'ai été témoin à la mer. Le vent soufflait dans les deux cas avec la même violence, mais les vagues soulevées de l'Océan ne m'ont jamais donné le sentiment du danger, comme cette obscurité d'un effet si extraordinaire."

Lord Valentia fut présenté à Lucknow, au Nabab d'Oude: il remarqua à cette audience deux courtisans qui sont sous la protection particuliere des Anglais, et que ceux-ci ont qualifiés des titres de Lord Noodle et Lord Doodle, dont ils semblent très-fiers. Il vit aussi avec intérêt Almas Alikham, si fameux par le tableau pathétique que M. Burke a tracé des souffrances que M. Hastings a fait endurer à ses femmes et à ses enfants. Malgré les pertes que cet eunuque a essuyées, on évalue encore sa fortune à un demi-million de livres sterling. Le Nabab attend avec impatience sa succes

sion qui, d'après la coutume de l'Orient, lui appartient. Ce Prince est extrémement flatté lorsqu'on trouve quelque point de ressemblance entre lui et le Prince de Galles. Lord Valentia fut extrémement surpris, en dînant chez Son Excellence, de se trouver dans un appartement meublé à l'anglaise, d'entendre des airs anglais jonés par des musiciens vêtus de l'uniforme anglais, d'être servi avec de l'argenterie anglaise, &c. &c; il avait peine à croire qu'il était assis à la table d'un Prince de l'Orient. Le Nabab donna à S. S. le spectacle d'un combat d'éléphants qui ne lui parut qu'une lutte grossiere entre deux masses informes qui se heurtent avec violence, sans montrer aucune adresse. Le combat d'un tigre contre divers animaux, l'intéressa davantage. Le tigre fut chassé de sa cage au moyen de quelques feux d'artifice; il fit le tour de l'enceinte en regardant fixement les spectateurs. A l'aspect d'un buffle, qu'on y fit entrer, il se retira dans un coin, d'où étant chassé par l'explosion de la poudre, il reculait constamment à mesure que le buffle s'avançait vers lui à pas lents; un des spectateurs lui jetta un petit chien, vers lequel il se dirigea sur-le-champ, mais ses aboyements parurent l'effrayer et il s'enfuit d'un autre côté. Enfin on fit entrer un éléphant qui alla droit à lui, et malgré sa répugnance à engager le combat, le tigre se vit forcé, pour ne pas être saisi par la trompe de son adversaire, de s'élancer sur la tête de celui-ci, et de s'y attacher fortement avec ses griffes; l'éléphant qui paraissait éprouver une douleur violente, ramena sa trompe sur lui et le froissa avec une telle vigueur que, quand il le jetta à terre, cet animal qui, un instant auparavant, paraissait si terrible, resta sans mouvement, Après cet exploit, l'éléphant vint se heurter avec violence contre la palissade de bambous qui formait l'enceinte, en brisa une

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partie et se fit jour à travers une multitude ef frayée, sans causer le moindre accident. C'est une chose remarquable que les éléphants apprivoisés, quoique entourés d'une multitude nombreuse, posent leurs pieds avec tant de précaution et apparence avec une telle crainte de nuire à l'homme, que rarement il y a des individus écrasés par eux. Lord Valentia donne, dans le fait suivant, une preuve bien frappante des avantages que le gouvernement anglais a procurés aux états du Nabab de Furruckabad depuis qu'il en a pris possession. Aussitôt que le Résident anglais y fut arrivé, environ cent Patans (voleurs) se rendirent près de lui, pour lui demander s'il se proposait réellement d'établir une police dans le pays, et sur sa réponse affirmative, ils le quitterent sur-le-champ pour aller exercer leurs brigandages chez les Marattes. Il n'y a pas actuellement dans les prisons une seule personne arrêtée pour meurtre depuis l'organisation d'un systême de police.

"Ce qui menace le plus imminemment la stabilité de la puissance anglaise dans l'Inde, est," dit Lord Valentia," le nombre toujours croissant des enfants mulâtres. Ils forment le premier anneau entre les Anglais et les natifs. Dans tous les endroits où l'on a permis à cette race mixte et intermédiaire de se propager, elle a causé la ruine du pays. L'Amérique Espagnole et St.-Domingue en sont des exemples frappants. Ils se multiplient dans l'Inde, dans une proportion effrayante, et quoique probablement nous n'ayons pas beaucoup à redouter des Indous, ni de la puissance expirante des Musulmans, cette caste peut devenir trop redoutable pour qu'on puisse la contenir toujours avec succès. Quoique ceux qui en font partie soient exclus de toutes les places qui sont à la disposition de la Compagnie, ils sont employés en qualité de commis dans presque toutes les maisons

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Le commerce, et plusieurs sont envoyés en Angleterre pour y être élevés à l'européenne. Possédant en leur faveur l'avantage du nombre, et de leurs rapports intimes avec les natifs, dont ils n'ont ni l'indolence ni la pusillanimité, que ne doit-on pas craindre de leur part!" Lord Valentia propose de remédier au mal qu'il prévoit, en forçant les peres de ces enfants à les envoyer en Angleterre d'où ils ne pourraient revenir dans l'Inde pour exercer quelque métier ou quelque fonction que ce soit.

Sa Seigneurie retourna à Calcutta, et s'embarqua pour l'île de Ceylan.... (Nous reviendrons dans un de nos prochains Numéros sur cet ouvrage aussi neuf quintéressant.)

VARIÉTÉS.

Lettre sur la Gazette de Santé qui se publie à Paris.

On a depuis long-temps signalé les suites funestes que peut avoir la lecture habituelle des livres de médecine. Addisson, dans le Spectateur, cite un malade qui avait ainsi contracté tous les symptômes de la goutte, excepté la douleur, et chacun connaît quelque personne que la description d'une fievre a rendue fiévreuse, où le traitement d'une phtisie compliquée, poitrinaire, au moins en imagination. Cet effet est tellement commun qu'il n'y a gueres que les seuls médecins qui puissent, sans danger pour euxmêmes, s'attacher à l'étude des maux physiques de de notre pauvre humanité, parce que l'exercice de leur profession leur a fourni des sujets étrangers pour en appliquer les résultats, et ainsi, grâce à leurs malheureux malades, ils se trouvent en sûreté. Mais si la maladie ou le défaut d'occupation les empêche de se livrer à cet utile et salutaire exercice, alors ils rentreront dans la classe commune. Heureusement, càr c'est une sorte de sauve-garde, la plupart des livres de médecine ont été jusqu'ici assez obscurs, assez hérissés d'érudition et d'ennui pour qu'il ne se trouvât gueres que des esprits chagrins et mélancoliques, déjà malades par nature, qui pussent se complaire dans leur lecture, et s'adonner à découvrir dans le corps humain les maladies que ces livres renferment. Mais le mal a gagné, et si l'on n'y prend garde, ilgagnera encore; car il s'est élevé depuis peu une espece de médecins que l'on pourrait nommer les médecins galants, dont le talent principal, je dis trop,

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