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duite avec art, mais dont les événements ne nous paraissent pas toujours aussi naturels que l'auteur prétend le persuader. On ne pleure plus gueres à la lecture d'un roman: on ne veut que frissonner. Encore sommes-nous maintenant assez aguerris, assez familiers avec les tours de l'est et de l'ouest, Jes souterrains, les cavernes sépulchrales, les apparitions et autres gentillesses de cette nature, pour ne plus éprouver cette secrette horreur qu'impriment quelquefois les romans anglais. Nous croyons ce moyen usé.

Nous devons dire cependant que la maniere de l'auteur de la famille Wieland n'est pas tout à fait la maniere anglaise. C'est une touche particuliere, une touche à lui, qui ouvre un nouveau champ aux romanciers; mais ce champ sera bientôt moissonné. Il a pour but de présenter quelques points importants de la constitution morale de l'homme, et d'offrir des événements qui, quoiqu'approchant du merveilleux, correspondent cependant, par leurs résultats, avec les principes connus qui régissent la nature. Ces exemples sont si rares, qu'ils intéressent peu, et il a fallu beaucoup de talent à l'auteur pour fournir quatre volumes. Un seul personnage excite la curiosité, l'intérêt, mais souvent aussi ces deux sentiments sont très-vifs. Les autres ne sont que secondaires. Ce personnage est revêtu d'une puissance extraordinaire. C'est Carwin; on ne le connaît qu'après avoir parcouru la moitié du troisieme volume: jusques-là, personnage mystérieux, on ne peut le juger que par le mal qu'il a fait, celui plus grand qu'il peut faire encore. C'est un obscur criminel dont la tête est mise à prix. Son physique, son costume sont également repoussants. Ses épaules larges et carrées, son estómac renfoncé, sa tête pendante, son corps d'une largeur uniforme, supporté par des jainbes longues et grêles, tout en lui présente un ensemble gauche et bizarre. Il marche sans grâce, sans aisance. Ses joues sont pâles et creuses, ses yeux enfoncés et hagards, ses dents larges et irrégulieres, sa peau rude et tannée. L'ensemble de sa figure représente un cône renversé. Un chapeau rabattu et flétri par le temps, un habit d'une étoffe grossiere et mal taillé, des bas de laine bleue, des souliers attachés avec des lanieres de cuir, et décolorées par une poussiere que la brosse n'a jamais dérangée; tel est son costume. Voilà l'auteur de tous les malheurs, de tous les crimes de la famille Wieland.

Tout-à-coup l'on apprend avec surprise que cette sorte de monstre est le petits-fils d'un roi, qu'il dût le jour à un roi, qu'il fut roi lui-même, qu'il est à la veille de remonter sur le trône. Son aïeul fut ce fameux don Sébastien, Roi de Portugal, tué à la bataille du 4 d'Août 1578, livrée par lui à Moluc, Roi de Maroc. L'auteur fait revivre don Sebastien, qui tombe au pouvoir de Hammet, frere et successeur de Moluc. La fin de sa vie devait seule mettre un terme à son esclavage, mais la favorite Zora facilite son evasion, fuit avec lui, emportant des pierreries pour un prix inestimable. Il fait de vains efforts pour se faire reconnaître; il est trahi, arrêté, conduit au galeres, et meurt à Naples, au château del Ovo, en 1610. Zora l'avait précédé au tombeau; mais de leur union était né un fils, nommé D. Francisque, élevé secrettement. Ce prince, alors âgé de douze ans, est placé sur le trône par les jésuites; ce trône est celui de Narca, royaume de l'Abyssinie. Il épouse Hamba, fille de Holar, Roi des Agows. De ce mariage naît un fils. Ce fils est Carwin. Le roi meurt; les jésuites forment un conseil de régence. Carwin est élevé comme un sauvage, et devient le plus robuste, le plus intrépide enfant de son royaume. Suit alors l'éducation morale. A douze ans, Carwin était un prodige. Il était doué d'une intelligence et d'une

na

mémoire extraordinaires. Il parlait toutes les langues abyssiniennes; il apprit bientôt l'arabe, le portugais, le latin, l'espagnol, le français, l'allemand, l'italien et l'anglais. Il possédait à fond l'histoire, la politique, la législation; il faisait ses délassements de la chimie, de la physique, de l'histoire naturelle, de l'astronomie et des belles-lettres. Il avait le talent de transformer sa figure, de changer sa voix, au point de prendre, à l'instant même et à volonté, les traits et l'organe de ceux qu'il entendait; de parler de l'intérieur et sans remuer les levres; de paraître faire sortir sa voix de tel ou tel point éloigné: c'était Thiemet ler: la ture l'avait gratifié d'un pouvoir presque magique, qu'elle avait placé dans son regard et dans sa voix, et qui lui procurait un ascendant irrésistible surtout sur les femmes. Le conseil, qui le redoute, le fait voyager pendant trois ans en Europe. A son retour, il est couronné, et chasse les jésuites qui voulaient le détrôner. Au bout de quelques années, brûlant de posséder une jeune personne, dont la fantaisie était que son amant ne fût pas roi, il abdique et quitte avec elle ses états, emportant des richesses infinies, et surtout les pierreries qui provenaient du vol de Zora. Ils débarquent à Suez, et se rendent au Caire. Sa maîtresse y est empoisonnée. Il se désole et va s'enfermer chez les cophtes. Là, tous les mysteres de l'antiquité lui sont dévoilés, et le voile de l'initiation égyptienne est entierement levé pour lui. Il s'instruit dans la science des hiéroglyphes, et parvient à la connaissance du grand œuvre. Il quitte enfin les cophtes, et débarque à Lisbonne avec des richesses immenses, sous le nom de D. Carwino. Il tente à diverses reprises de remonter sur le trône de ses ancêtres, mais en vain. Forcé de fuir, il se rend en Angleterre et de-là en Irlande. Une méprise le fait arrêter comme auteur d'un vol. Il est condamné. Il achete sa liberté,

fuit de nouveau et se rend à Philadelphie. Là il veut ceindre son front d'un nouveau diadême, et prétend réguer sur l'Amérique septentrionale. Il est condamné. Il vit au milieu des sauvages, et leur promet d'arracher leur pays au joug de l'Angleterre. On le voit quelquefois à Philadelphie, sous le costume grossier que nous avons décrit; mais dans les lieux souterrains qui lui servent de retraite, il paraît en roi. Une ville entiere est cachée dans les entrailles de la terre. Là se trouvent des rues, des places, des palais, les richesses d'un puissant empire. Là, sous le nom de don Francisque, du libérateur de l'Amérique, il tient des conférences avec les chefs de toutes les hordes sauvages. Il est alors dans le costume le plus magnifique et le plus élégant. Son maintien si gauche est devenu imposant; sa marche est légere et pleines de grâces; cette physionomie bizarre devient noble, distinguée; on ne peut la voir sans être saisi d'admiration et de respect. Son teint bronzé a disparu. Des yeux pleins de feu et d'expression, une physionomie animée, un front superbe, une bouche gracieuse, les plus belles dents répandent sur toute sa personne un charme inexprimable. Quelle différence de don Francisque à Carwin !.... C'est cependant ce Carwin qui, sous un extérieur difforme et repoussant, a inspiré de l'amour à Clara Wieland, femme vertueuse, mais qui ne peut résister à l'ascendant magique de Carwin. II la destine en secret à régner sur l'Amérique septentrionale. Une grande catastrophe vient détruire tous ses projets.

Nous avons dit que l'auteur écrit à l'ombre des cyprès. Prouvons.

Le chef de la famille Wieland est un maniaque, frappé de l'idée qu'il doit mourir d'une maniere extraordinaire et terrible. Il périt en effet consumé par un feu mystérieux. Cet événement plonge son épouse au tombeau. Le fils, autre maniaque plus dangereux encore, croit entendre une voix qui Ini crie d'étouffer sa famille, pour parvenir au degré le plus sublime de la vertu. Il étrangle sa femme, son amie, ses enfants. Il est prêt à étrangler sa sœur Clara.... Le bandeau tombe; il se frappe de plusieurs coups de poignard.

Il n'est presque pas un chapitre qui n'offre une mort violente. Le prince, ayeul de Carwin, meurt aux galeres. Sen pere meurt assez tranquillement: mais l'avénement de Carwin au trône de Nara est suivi d'une sédition dans laquelle un prince est tué de la main même de Carwin. Les chefs de la sédition veulent le venger; ils mordent la poussiere. Attow, l'ami, le défenseur intrépide de Carwin, est assassiné par un jésuite. Son premier ministre l'est par un autre. Les deux jésuites sont massacrés à leur tour. Après avoir abdiqué, Beledza, l'amie de son cœur, lui est ravie par le poison. Il en avait une fille : cette fille meurt de la peste à Alexandrie. Ses projets de remonter sur le trône de Portugal sont connus; partout on attache à ses pas des meurtriers; partout il extermine les assassins: II enleve Clara. Elle est conduite dans la ville souterraine: mais cet événement fait connaître sa retraite. Cette retraité est attaquée par 6000 homies partis de Philadelphie; mais elle compte un plus grand nombre de défenseurs. La mort vole de toutes parts; Carwin prêt à être surpris, après des prodiges de valeur, met le feu à un magasin de poudre. La ville saute en l'air, et tout périt, amis et ennemis. On ne peut finir plus chaudement: ainsi tous ceux qui figurent dans cette désastreuse histoire, finissent malheureusement. "On espere (dit une note quifinit l'ouvrage) que le lecteur évitera ce sort funeste, à moins, toutefois, qu'il ne périsse d'ennui, ce dont l'éditeur n'ose prendre sur lui de le garantir."

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