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SPECTACLES DE PARIS.

ACADÉMIE IMPERIALE DE MUSIQUE.

Anacréon, Continuation des Débuts du Jeune
VESTRIS.

Le désir de revoir le jeune virtuose destiné à soutenir la gloire du nom de Vestris, avait attiré une foule telle qu'on en voit rarement à l'Opéra, Anacréon avait peu de part à ce concours : ce chantre de Bacchus et de Cypris est, à ces deux titres, un personnage peu imposant sur la scene; nous avons tant d'auteurs de quelques chansonnettes qui usurpent le nom d' Anacréon, et prétendent même valoir mieux que lui! Il faut convenir qu'on ne s'attendait guere que guere que l'amant de Cléobule et de Batylle deviendrait jamais le héros d'un opéra sérieux. L'ouvrage se ressent beaucoup de l'inconséquence, de l'incohérence d'idées, disons mieux, de la folie qui régnait sous le nom de la raison, à l'époque où Anacréon parut sur notre théâtre lyrique. On ne voyait alors dans toutes les pieces que des filles dont la fécondité n'avait pas reçu la sanction d'un hymen légitime; on décernait des prix au libertinage, sous prétexte de favoriser la population; on ne savait pas, ou l'on avait oublié, que rien n'est plus favorable à la population que les bonnes mœurs: le joug du mariage paraissait un attentat contre la liberté et contre les droits du cœur; on croyait devoir abandonner les deux sexes aux mouvements aveugles de la nature, et ramener la société au désordre de la vie sauvage. Ceux qui voulaient la communauté des biens, étaient assez conséquents quand ils prétendaient VOL. XXVII.

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aussi rendre les femmes communes. Peut-être se flattaient-ils de faire revivre l'âge d'or; mais c'est T'innocence qui fait l'âge d'or, et nous ne pouvions alors en imiter que la licence.

L'Opéra, le plus sage et le plus grave des théâtres, était habitué à voir de vertueuses princesses, pleines de retenue et de pudeur, étaler les sentiments les plus nobles et les plus délicats; il aurait pu être scandalisé des déportements d'une infante telle qu'Anaïs, qui après avoir fait un enfant, s'enfuit avec son galant du palais du roi son pere; mais alors on ne voyait dans tout cela qu'une fille usant de ses droits naturels pour s'affranchir d'une injuste tyrannie. Le pere fait poursuivre les fugitifs: dès lors le pere est déclaré barbare, dénaturé, tyran; et les coupables sont présentés comme des victimes intéressantes du despotisme paternel, qui viole les lois de la nature, Si l'on n'était pas convenu de ne faire aucune attention aux paroles d'un opéra, on serait choqué de ces inconvenances grossieres, ou plutôt on rirait de ces mauvaises farces soi-disant pathétiques.

Il y a une certaine Lisbeth à l'Opéra-Comique; c'est la fille d'un bon paysan suisse. Un jour, en gardant les vaches, elle a vu passer un jeune et beau voyageur: la connaissance s'est bientôt faite; la fille est devenue mere. L'aventure est embarrassante, car le pere est terrible sur cet article; et en Suisse on ne badine pas sur ces petites faiblesses de la nature; mais il se trouve là le bon M. Gessner, poëte charmant, qui se charge de faire entendre raison au pere, et de faire passer cet accouchement prématuré pour une licence poétique: il en vient à bout; ce qui a dû lui coûter plus que la meilleure de ses Idylles. Voilà précisément l'opéra d'Anacréon. Le paysan suisse est Polycrate, prince de Sainos; la petite paysanne qui garde les vaches, et ne sait pas se garder elle-inême, est la princesse Anaïs ; mais la paysanne. a le cœur plus élevé que la princesse, et Lisbeth du

moins n'a point à rougir de son amant, dont la condition est supérieure à la sienne: Anaïs se dégrade en se livrant à un homme vil et obscur. Enfin. Gessner est Anacréon: le rôle du poëte suisse est beaucoup plus raisonnable que celui du poëte grec, et, les préjugés d'antiquité à part, Gessner vaut mieux qu'Anacréon.

On suppose qu'Anacréon, jeté par la tempête sur les rivages de Samos, s'est endormi sur un banc de gazon. Quand la toile se leve, il faut attendre le réveil de ce nouveau Silene: à peine a-t-il ouvert les yeux qu'il nous raconte le rêve voluptueux qu'il vient de faire; mais après avoir chanté, il a faim, il a soif: les dieux pourvoient à ces besoins par un miracle. La premiere personne que rencontre notre poëte, c'est le galant de la princesse: et la princesse, avec son enfant, ne tarde pas à paraître. Anacréon prend sous sa protection le pere, la mere et l'enfant sa protection est plus puissante qu'elle ne le paraît d'abord, car Polycrate, sans avoir jamais vu le poëte de Théos, est amoureux de ses chansons. Cependant les gardes du prince font une terrible chasse aux deux amants : l'homme leur échappe ; mais ils prennent d'un coup de filet la princesse, l'enfant, et leur protecteur Anacréon. D'abord, ils font assez d'honneur au vieux poëte pour le croire le héros de l'aventure, et leur méprise est tout-à-fait comique; mais après l'avoir mieux considéré, ils jugent qu'il n'est que l'entremetteur, et ils conduisent leurs captifs à Polycrate.

Dans presque toutes les odes qui nous restent d'Anacréon, ce poëte se présente comme un vieux libertin, un vieil ivrogne. Les grâces d'une imagination riante, la magie d'un style enchanteur, couvrent ce qu'il y a de crapuleux dans cette alliance de la vieillesse avec la débauche: on ne voit pas dans ses odes ses cheveux blancs et ses rides; on ne voit que le charme de ses vers, que ses délicieuses allégories.

Mais au théâtre, le poëte s'éclipse; on ne voit que le vieillard fait pour effaroucher les amours. L'auteur de cet opéra aurait dû le faire voyager plus jeune, et nous montrer, non pas un vieux satyre compagnon de Bacchus, mais un jeune troubadour, environné des ris et des jeux: l'image eût été plus grâcieuse.

Il n'en coûte au vieil Anacréon que deux chansonnettes pour acheter le pardon d'Anaïs. Polycrate, enchanté de son hôte, fait célébrer une fête en l'honncur de son arrivée : jamais fête ne vint plus mal à propos, au moment où Polycrate pleure le déshonneur de sa famille; mais c'est dans cette fête que paraît le jeune Charles Vestris, et c'est toujours à propos qu'il paraît, parce qu'on le voit toujours avec le plus grand plaisir. On conçoit à peine comment il peut avoir, dans un âge si tendre, cet aplomb, ce moëlleux, cette précision et cette sûreté qu'on admire dans les danseurs consommés.

Polycrate a pardonné à sa fille; mais il reste inflexible pour le galant, et devient furieux quand il apprend que l'enfant qu'il avait adopté sans le connaître, est le fils de cet aventurier. Pour venir à bout de sa colere, il faut plus que des chansonnettes. Anacréon rassemble pour cette expédition toutes les forces de son harmonie; il y joint le prestige théâtral: appuyé du pere et de la mere de l'enfant, il tombe aux genoux de Polycrate. Tous se démenent, tous crient autour du tvran; on le presse, on le pousse; il ne s'agit plus de chant ni de poésie; les hurlements, les sanglots se mêlent au bruit de l'orchestre: c'est une véritable cohne. Pour se délivrer d'une importunité si fachense, Polycrate revient à la

nature;

C'est bien en vrai Cassandre achever l'aventure.

Ce dénouement ressemble beaucoup à celui d'Arloquin Afficheur.

Parmi les chansons à boire que nous a laissées

Anacréon, je suis étonné que l'auteur ait choisi la moins agréable pour nous, et la moins naturelle. Anacréon prétend qu'il boit en vertu des principes de la physique, qui font que le ciel boit la terre, la terre boit la lune, etc. Ce sont là des niaiseries trèsfroides on boit parce qu'on a du plaisir à boire, parce que le vin est bon. Une autre chanson fort jolie a été délayée et gâtée par l'auteur: j'aime bien mieux la traduction de Fontenelle que l'ariette de l'opéra.

Si l'or prolongeait la vie,

Je n'aurais point d'autre envie.
Que d'amasser bien de l'or.
La mort me rendant visite,
Je la renverrais bien vîte

En lui donnant mon trésor, etc. etc.

Les airs de ces chansons ne sont que des PontNeufs, qu'on a rendus bien lourds, en voulant les déguiser et les ennoblir: on a cherché à nous ennuyer avec dignité. Dans toute la musique d'Anacréon on ne reconnaît point Grétry, mais un disciple de Gluck : c'est de la musique de Lully et de Rameau habillée à la moderne, mais encore chargée de ports de voix, et conservant toujours quelques pretintailles de l'ancien goût français; c'est un chant pauvre, ou un pauvre chant, dont la voix du chanteur fait tout le mérite, et dont quelques vains agréments et un grand bruit d'orchestre couvrent la nudité. Cette musique est cependant bien écrite suivant les regles de l'art, et plaît beaucoup aux artistes. Les tragédies de l'abbé d'Aubignac étaient très-conformes aux principes d'Aristote, et n'en étaient pas meilleures.

Le divertissement, quoique mal amené, est ce qui a paru de plus agréable dans cet opéra. Le petit cousin, entre le grand cousin et madame

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