la prétention marquée est de couvrir des fleurs du style ce que nos infirmités et leurs remedes ont de repoussant. S'ils n'atteignent pas tout à fait le but, ils ne le manquent pas non plus tout à fait; car s'ils ne sont pas agréables ils sont certainement ridicules, et l'invincible penchant des Français pour la raillerie leur assure toujours l'avantage d'étre lus. Un de ces médecins a été jusqu'à se charger de faire un Journal dans lequel il indique périodiquement tous les dix jours, avec soin toutes les précautions infaillibles qui doivent assurer ou rétablir la santé de ses dociles lecteurs, ou, comme il le dit lui-même, de ses fideles. Tout le monde peut prendre connaissance de ces oracles dans les extraits que d'autres journaux, propagateurs éclairés des belles choses, ne manquent jamais d'en donner, et Dieu sait si les préceptes du docteur sont aimables! Ce ne sont que bouillons de végétaux balsamiques, vin généreux, pilules joyeuses, sirop anti-morose; il n'est pas jusqu'aux lavements.. et aux médecines que l'imagination du galant docteur ne déguise sous de charmantes épithetes. Cosi all egro fanciull porgiamo aspersi Mais enfin quelque plaisir qu'on puisse prendre à cette jolie médecine, l'influence de ces gracieux articles n'est ni moins dangereuse ni moins réelle. On a beau en rire, cela fait toujours des malades, et j'en citerai un exemple dont je suis encore tout occupé. Je sors de chez un de mes amis que je n'avais pas vu depuis quelques mois. C'est un homme aimable, et que j'avais connu jusqu'ici doué d'une parfaite raison. Je l'ai trouvé assez pâle, en robe de chambre, assis près d'une table couverte de vases et de fioles de toute espece. Un reste de feu se voyait dans un coin de la cheminée, et il semblait indécis entre deux verres remplis de liqueurs différentes qu'il VOL. XXVII. ວ tenait dans chacune de ses mains. Surpris de le voir ainsi défait: Eh! bon Dieu, mon cher, lui aije dit, êtes-vous malade ?-Je crois que oui; je viens de lire la Gazette de Santé. -Eh bien?-Eh bien, mon cher, rien n'est si difficile que de vivre par le temps qu'il fait. Depuis quelques jours l'air était humide, la température froide, la constitution boréale, les vents de méluzine, sous l'influence du rhumb nord. Après avoir consulté mon barometre, et mon thermometre, j'ai pris le régime stimulant ordonné par Mr. M. Š. U. dans le No. du 11 Août, mais tout à coup, le 21, le vent a tourné: mon bon vin, mon café, et mon excellent bouillon sont devenus un régime incendiaire; et une dyssenterie rebelle qui me menaçait a été remplacée chez moi par une constipation opiniâtre à laquelle je ne résisterai pas. Conformément à l'ordre de la Gazette, je me suis mis à la diete végétale; mais voilà que le froid et l'humidité sont encore revenus, et aujourd'hui le soleil est si chaud et le vent si froid que je ne sais, plus auquel croire. Encore si je pouvais attendre quelque bon conseil; mais la Gazette ne paraîtra que dans huit jours, et d'ici là, je serai mort infailliblement; ainsi, mon cher ami, je vous fais mes adieux. Il est bien triste de mourir si jeune!-Tout affligé de ce que je venais de voir et d'entendre, je voulus le ramener à des idées plus raisonnables, et j'essayai de lui rendre du courage sans toutefois le plaisanter, car je sais que les malades imaginaires sont plus susceptibles sur ce point que les véritables; mais lui, me regardant d'un œil terne :-Mon ami, dit-il, je vous remercie de vos bonnes intentions; votre amitié, pour n'être pas éclairée, ne m'en est pas moins précieuse.. Vous ne voyez pas comme moi mon état; il est sans. remede, mais que mon exemple vous profite. Lisez la Gazette de Santé et suivez exactement les indications qu'elle donne pour se bien porter. En vous levant, mon ami, frottez-vous légérement tout le ! corps avec une brosse et frictionnez-vous les bras et les jambes auprès d'un feu pétillant. Ensuite, si vous n'avez rien de mieux à faire, vous pouvez faire votre barbe, en gardant votre bonnet de nuit qui doit étre de coton, et non pas un mouchoir noué, qui entraîne de graves inconvénients; mais ne coupez pas toute votre barbe, laissez-en un petit bouquet: c'est suivant Mr. M. S. U. un spécifique assuré pour conserver les dents. Ensuite....." - Mon cher, lui dis-je en l'interrompant, je suis fâché de ne pouvoir vous écouter davantage. Je ne suis pas aussi maître de mon temps que votre docteur le suppose, et j'ai quelqu'affaire indispensable qu'il faut que je termine sans délai." Là-dessus je le quittai, et je m'en vins chez moi, où j'ai pris le parti de vous écrire afin que cet exemple serve à prévenir d'autres accidents." Sur un Ouvrage de M. de Livry. -Parmi la foule de productions bizarres et éphémeres qui inondent la littérature française, il n'en est guere dont l'originalité soit plus curieuse que les Pensées, Réflexions, Impatiences, Maximes et Sentences de M. Hyppolite de Livry. Cet auteur est fort connu dans le monde par son goût pour les beaux ongles des dames, les beaux opéras de Grétry, le parfum des fleurs, et l'instinct des chiens. M. de Livry pense beaucoup, et tout ce qu'il pense il l'écrit, et tout ce qu'il écrit, il le fait imprimer. Sa féconde imagination nous avait enrichi, en 1808, de douze cent quatre-vingt-dix-huit Pensées, en deux livraisons, l'une de sept cent soixante-quinze Sentences, et l'autre de cing cent vingt-trois, à raison de trois Pensées deux tiers ou environ par jour. II vient d'en ajouter quatre cent vingt-cinq; ce qui porte aujourd'hui à dix-sept cent quatre-vingt-trois la somme totale de ses Idées, Réflexions, Maximes, Considérations, etc. Il se présente ici une réflexion affligeante, c'est que la faculté pensante de M. de Livry suit évidemment une proportion décroissante ; le premier sémestre de 1808 avait produit sept cent soixante-quinze Idées; le second en a donné cinq cent vingt-trois, tandis que les huit premiers mois de 1809 n'en ont fourni que quatre cent vingt-cing. M. de Livry avait dit, dans un de ses précédents ouvrages, que le monde n'était pas bon à prendre avec des pincettes. Les amis de l'humanité se flattaient qu'il réformerait ce premier jugement; mais il paraît que c'est un parti pris. Le genre humain continue de lui inspirer une horreur invincible. Le misantrope est un optimiste auprès de lui. " Mon Dien! s'écrie-t-il, que les hommes sont bêtes!!! -Quelle sotte et vile espece que les hommes!!! Qu'on prenne les hommes réunis ou isolés, c'est toujours la même chose; dans la société, ils puent le particulier; dans le particulier, ils puent la société. Dans toute situation, l'homme infecte. --Les bêtes ne parlent pas, mais elles n'en pensent pas moins; les hommes parlent, mais beaucoup n'en pensent pas plus, -Quelle odieuse destinée que de chercher partout des hommes et de ne pas même trouver des bêtes !!! L'homme se vautre dans la vie comme les cochons dans la fange. Passant sa jeunesse à sauter, sa vieillesse à manger, l'homme est la moitié de la vie sauterelle, l'autre moitié cochon. Si cette existence n'est pas fort recommandable, elle est du moins variée. Que l'homme est ignoble!!! que l'homine est vil dans sa vile machine!!! Ce qui me ferait le plus douter de la création, c'est l'existence du crapaud et celle de l'homme. - Quelle horreur que ce siecle, et qu'il est affreux pour qui n'y tient pas, d'en faire partie!!!" On pourrait facilement multiplier ces sortes de citations et charger ce tableau de mille autres anathêmes. Mais si M. de Livry est inexorable pour les hommes, s'il déclare ailleurs que ce sont de détestables coquins, il professe en revanche une adoration sans bornes pour les femmes. Son culte pour elles va même jusqu'à le rendre athée.-" Le soleil dans le plus brillant de son cours n'offre pas un aspect aussi enchanteur qu'une femme dans tout l'éclat de sa beauté. Ah! qui atteste mieux l'absence d'un Dieu que la destruction d'une femme!!!" Mais dans les femmes ce que M. de Livry admire le plus, ce sont, comme on l'a dit, leurs ongles ; de sorte que si elles venaient à se couper les ongles de près, il ne lui resterait plus pour se consoler dans ce monde, que les chiens et le marché aux fleurs. On voit qu'en général le bonheur de M. de Livry tient à fort peu de choses, et qu'il ne faudrait pour le détruire en entier que trois accidents: une maladie qui fit tomber les ongles des dames, un hiver qui gelât nos fleurs, et une épizootie qui tuât nos chiens. Deus omen avertat. A Sur Garnerin La résurrection subite de l'aëronaute Garnerin, dont nous avons parlé dans notre avant-dernier Numéro, a mis en défaut la sagacité d'un grand nombre de savants. Un Bossuet moderne s'était hâté de faire son oraison funebre dans un des journaux de Paris. Un docteur en médecine s'est aussi empressé de publier une profonde dissertation sur la mort du navigateur aërien. Il n'a rien laissé à désirer sur les causes et les circonstances.de ce funeste accident. Il a expliqué la maniere dont le ballon avait parcouru les airs, dont il était descendu après la perte de son conducteur. Il a prouvé que le nouvel Icare avait dû périr d'apoplexie, comme on l'a en effet annoncé; il a même exprimé le regret qu'on ne l'eût pas ouvert et disséqué pour les progrès de la physiologie, et la satisfaction des savants. |