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L'homme toujours sensible au jugement d'autrui,
Qui craint, à chaque instant, ce qu'on dira de lui,
Dirige tous ses pas au flambeau qui l'éclaire ;
Mais celui qui, poussé d'un orgueil téméraire,
Brave l'opinion dont les arrêts. perdus
Roulent autour de lui vainement entendus,
Ne sentant pas le frein de l'éloge ou du blâme,
Se livre aux mouvements qui maîtrisent son âme;
Et deviendra bientôt, au gré de son ardeur,
Le pire des humains, s'il n'en est le meilleur.
Craignez tout, mes amis, de qui ne craint personne,
Est-il puissant? le faible à son aspect frissonne :
Auteur? il foule aux pieds la critique et le goût;
Homme du monde ? il rit, il a pitié de tout.

Etranger à nos mœurs, infidele à l'usage,
Il est le plus bizarre, et se croit le plus sage.

Lutter seul contre tous, quel orgueilleux effort!
Si j'avais seul raison, j'aurais peur d'avoir tort.
On a beau me vanter ce héros de la Grece,
Qui du peuple à sa vue excitant l'allégresse,
S'écria: mes amis, qu'ai-je fait? qu'ai-je dit?
Je dois m'être trompe, puisque l'on m'applaudit,
Ce mépris insultant à mes yeux est un crime.
J'aime mieux vous citer ce guerrier magnanime
Qui, vainqueur de cent rois chargés de ses liens,
Parmi tous ses travaux, disait: Athéniens,

C'est vous qui vers la gloire aviez tracé ma route ;
Pour forcer votre estime, ô combien il m'en coûte!
Tel je conçois l'amour de la célébrité.

La briguer sans mérite est notre vanité,
Orgueil si l'on s'exhausse après l'avoir ravie ;
En frustrer ses rivaux, c'est pire, c'est l'envie.
L'intrigant la poursuit, sans choisir le chemin :
L'homme d'honneur l'attend, ses titres à la main.

Jouir du bien qu'on fait, est le bonheur suprême,
Je le crois; ce bonheur on le trouve en soi-même ;
Mais liés par cent noeuds au reste des humains,

Nous cherchons leur amour, nous craignons leurs dédains; Nous vivons dans leur âme, ils vivent dans la nôtre,

Heureux, et, plus souvent, malheureux l'un par l'autre,

Dieu lui-même, en prêchant les vertus ici-bas,

Nous offre un autre prix que leurs divins appas.
Le bien, nous a-t-il dit, est difficile à faire
Soyez bons, vertueux, je tiens votre salaire,

Or, vous le savez tous, c'est la gloire des cieux:
Celle qui s'offre ici n'est qu'en attendant mieux.

Ce qu'on pense de moi ne m'intéresse guere,
Dit Ariste; mon cœur juge avant le vulgaire.
Fort bien, mais votre cœur, complice de vos goûts,
N'est-il pas trop souvent, du même avis que vous
Craignez qu'il ne s'égare et qu'il ne vous abuse,
En vous criant bravo quand chacun vous accuse.
On dit à Dorimon: Arrêtez, regardez,

Dans un affreux chemin vos pas sont hasardés ;
Vers le point du départ reprenez votre route.

Et lui, marchant toujours, sans former aucun doute,
Ne voit qu'en s'abîmant, combien il s'est mépris.
Il recherchait la gloire: il obtient le mépris,
Heureux, à mon avis s'il eût prêté l'oreille!

Un fameux moraliste ou d'Athene ou de Rome,
Voulait qu'entre les morts on choisît un grand homme,
Et qu'on se demandât, en toute cette occasion,
Que penseraient Socate, Aratus, Phocion?
Avoueraient-ils mes plans, mes désirs, mon systême ?
Par malheur il faudrait se répondre soi-même,
Et chacun, disposant de leur autorité,
Donnerait leur cachet à sa stupidité.

J'aime un juge qui parle, et gourmande, et menace.
Derriere ses tableaux, exposés sur la place,
Apelle se cachait pour ouïr les passants,

Et trouvait dans la foule un jury plein de sens.
J'écoute comme lui; mais, avec plus de peine,
Je cherche où ce public tient sa cour souveraine.
La prude Arsinoe le voit dans son salon,
Guérin dans son quartier, Blair dans un feuilleton;
Le poëte Verneuil, rimant dans son village,
Est tout fier de charmer l'agreste aréopage.
Eh! mon cher, qu'il te croie honnête, doux, accort,
Il t'aura bien jugé, c'était de son ressort :
Mais s'agit-il de vers? franchis cette barriere;
De nos lettrés, au loin, va chercher la lumiere ;

Je les vois, sur les quais, négliger ton écrit ;
L'acheteur, à ton nom, se détourne et sourit.
Ah! me voilà fixé, ta renommée est faite :
Je te crois fort brave homme et fort mauvais poëte.
Des réputations on peint le bruit menteur.
J'ai lu, sur ce point-là, plus d'un grand orateur:
Mais quoi qu'ait soutenu leur faconde enflammée,
Les hommes rarement trompent la renommée.
Tel qu'elle cite au loin pour sot ou pour fripon,
Examiné de près, le sera tout de bon.

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Armand, qu'avec respect la multitude nomme,
Aux yeux de la raison, n'est pas moins un grand homme,
Et, pour m'aider ici d'un mot que j'aime fort,
Voix du peuple et de Dieu sont à-peu-près d'accord.
L'opinion publique est pourtant si volage!
"Le fou du lendemain, la veille était un sage,
-Prenez-garde; Scapin, avec art déguisé,
Est une légion pour son maître abusé.

Souvent d'un bruit confus l'oreille est alarmée,
Le caquet des voisins n'est pas la renommée.
Elle exerce pour vous la lyre et le sifflet;
C'est que dans vos vertus un vice lui déplaît.
Elle avait à genoux adoré la statue,
Qu'aujourd'hui dans la fange elle traîne abattue;
Mais, avant, le héros s'est lui-même avili,
Et dans la même boue il s'est enseveli.

Bref, pesez les arrêts dont sa voix est l'organe,
Vous tiendrez pour suspects tous ceux qu'elle condamne.
Un Persan (ce récit va droit à mon dessein,
Craignait de se méprendre au choix d'un médecin.
La vogue, le renom sont enfants du caprice,
Disait-il, du savoir je veux un autre indice.
Qui me découvrira ce trésor précieux ?
Ma lunette, lui dit un envoyé des cieux :
Prends-la, chez les docteurs braque-la tout à l'heure ;
Tu verras voltiger autour de leur demeure

Tous ceux qu'ils ont tués, ou leur ombre du moins.
Ainsi tu connaîtras les effets de leurs soins.

Sitôt dit, sitôt fait; et parcourant la ville,

Chez l'un il en voit cent, chez l'autre il en voit mille.
Quel spectacle! à la fin, tout-à-fait à l'écart,

Une ombre solitaire attire son regard.

Bon, celui-ci n'en a tué qu'un; c'est mon homme;

Et ce n'est pas pourtant ce docteur qu'on renomme.

Il vit pauvre, sans gloire! ô peuple d'Ispahan,
Tu laisses l'homme instruit, tu cours au charlatan.
Il entre. Quoi, Monsieur, je vous vois sans pratique
Hélas, dit l'Hippocrate, un malade, oui, l'unique,
Se mit entre mes mains, débile, exténué,

Je n'en ai pas vu d'autre, et.... Vous l'avez tué,
Docteur, vous m'apprêtez une bonne recette !
Adieu, l'œil du public voit mieux que ma lunette.
Il choisit, et fit bien, le plus accrédité.
Eclairons toutefois notre crédulité :

L'agile renommée a partout sa rivale,

Au ton fier, violent, menteur: c'est la cabale,
Monstre qui ne connaît pour guide et pour soutien
Que l'intérêt, l'envie, et la haine du bien.

La discorde, à ses yeux, offre seule des charmes.
Contre tous les succès prête à prendre les armes,
Au théâtre, à l'église, à la ville, à la Cour,
Tantôt obscurément, et tantôt au grand jour,
Elle insulte et combat ceux que la gloire cite,
Fait de Voltaire un sot, un héros de Thersite.
Jusque dans cet asile et des lois et des mœurs,
Elevant contre nous d'insolentes clameurs,
Elle vient ébranler l'arbre de la science,
Et sur ses fruits divins jeter la défiance.
A son cri, par l'écho long-temps multiplié,
Vous croiriez tout un peuple à sa cause lié,
Et ce n'est qu'un ramas dont l'ardeur frénétique
Semble, par ses efforts, couvrir la voix publique.
Ainsi l'erreur circule et triomphe un moment :
Ainsi....tout un mois fut un homme charmant ;
Ainsi, Pradon un jour l'emporta sur Racine!
La renommée enfin reprend sa voix divine :
Elle s'arme de force, et de ce bras vengeur
Qui renverse à jamais le fantôme imposteur,
Elle met la vertu sous un dais de lumiere
Et le monstre expirant rugit dans la poussiere.

FERLUS.

VARIÉTÉS LITTÉRAIRES.

Sur la Guitare et sur M. Castro, fameux joueur de

cet Instrument.

Par M. de BOUFFLERS.

On peut regarder la guitare comme le premier auxiliaire du chant, et comme le plus ancien instrument de musique depuis l'invention de la voix humaine. Elle appartient également, à tous les temps et à tous les pays; c'est toujours elle que nous voyons sous des noms différents, et sous des formes variées dans les mains d'Isis et de Melpomene, d'Orphée, de Linus, d'Amphion, d'Anacréon, d'Horace, etc. Le théorbe, la mandoline, ne sont, l'un qu'une très-grande, l'autre qu'une très-petite guitare; le sistre a été autrefois la guitare égyptienne; à présent c'est la guitare allemande. La lyre, cet instrument cornu, comme on le voit partout, quelquefois même biscornu entre de certaines mains, n'est que la guitare poétique. Ce sont autant d'enfants d'une même famille dont la guitare, proprement dite, est la mere commune. On en peut juger par le nom grec de kittara qui est à la guitare ce que musa est à la muse, et par le nom latin de cithara, qui est exactement le même qu'en grec; car nous sommes bien sûrs que parmi nos abonnés et même nos abonnées, il n'y a personne qui ne sache que le c des latius est le représentant du k des grecs, et que kittara, et que cithara se prononçait chez les dames grecques et romaines, à-peu-près comme nos dames françaises prononcent guitare à Paris.

On ne sait trop à qui adjuger l'invention de la guitare. Entre les dieux, est-ce l'antique Isis que

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