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nous voyons partout un sistre ou une guitare à la main? est-ce Jupiter qui a voulu, si nous en croyons Horace, en joindre une à la brillante voix de sa fille Melpomene?

Cui liquidam pater

Vocem cum cithará dedit.

L'histoire parle ensuite de trois célebres virtuoses sur l'instrument en question, dont chacun ą passé pour l'avoir inventé, Orphée, Linus et Amphion. On ne sait rien de positif sur Linus, mais les deux autres paraissent avoir fait ce qu'on peut appeler des prodiges. L'un a su entraîner à sa suite les animaux des forêts, l'autre a bâti une grande ville, tous les deux au son de leur guitare; et il faut convenir que c'est tirer un grand parti de l'instrument. D'après ces faits, en les supposant bien constatés, il paraît que l'avantage est du côté d'Amphion, car c'est le seul qu'on sache qui ait fait danser des pierres, au lieu que le miracle d'Orphée s'est réduit à faire danser des ours, ce qui n'est pas absolument sans exemple. Mais si à présent il fallait se décider entre l'Amphion grec et un certain Amphion espagnol, appelé vulgairement Monsieur Castro, nous en sommes fâchés pour le fondateur de Thebes, mais il n'aurait que l'accessit, parce que nous avons entendu dernierement M. Castro. Nous ne pouvons juger Amphion que sur la périllense parole des poëtes, au lieu que nous jugeons M. Castro sur celle de sa guitare; et certainement le véritable Amphion est celui qui nous enchante, comme le véritable Amphytrion est celui chez qui l'on dîne.

La guitare a éprouvé ses petites révolutions' comme toutes les choses d'ici-bas: elle n'avait d'abord' que quatre cordes, qui, pendant l'âge d'or et les temps héroïques, ont suffi pour faire plaisir à tout le monde. Terpandre crut bien faire d'y en ajouter trois il se proposait d'en jouer ainsi aux jeux olym

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piques, et se promettait le triomphe le plus éclatant; mais il avait des rivaux qui peut-être étaient euxmêmes de très-grands artistes, comme cela pourrait arriver à Monsieur Castro. Il fut cité devant les juges; ces juges étaient des Lacédémoniens, gens trèsponctuels et même un peu pédants, qui déciderent que les trois nouvelles cordes n'étaient pas de jeu, et les couperent sans pitié. Au reste, la cabale en fut cette fois pour ses peines. Therpandre, tout désapointé, tout dégréé qu'il était, n'en sortit pas moins vainqueur du combat, et ce qu'on avait retranché de sa guitare fut autant d'ajouté à sa gloire. Simonide, après Therpandre, y joignit une huitieme corde; mais l'histoire ne parle pas de l'effet que cette huitieme corde a produit. Après Simonide, le premier musicien, le maître de Chapelle d'Alexandre le Grand, Timothée, qui avait le secret d'exciter à son gré les passions de son maître, et le secret plus désirable de les calmer, voulut égaler le nombre des cordes de sa guitare au nombre des Muses. Quant à la guitare de M. Castro, nous croyons qu'elle n'a pas plus de cordes que celle de Therpandre; mais quand ses rivaux, s'il en a, lui joueraient le même tour qu'au musicien grec, nous oserions encore lui prédire le même triomphe.

La guitare a dans son histoire des époques trèsglorieuses. Deux grands monarques, François Ier et Louis XIV lui ont fait l'honneur d'en jouer; mais quoiqu'ils ayent été sûrement bien applaudis, nous n'oserions pas répondre qu'ils en jouassent avec autant de goût que M. Castro: ils avaient été devancés par le Roi David qui, n'en déplaise aux peintres et aux graveurs, n'a point joué de la harpe en dansant devant l'arche; car ce serait à-peu-près comme sonner les cloches et aller à la procession. Ce n'est point une agry si nous nous en souvenons, que les septante lui donnent, mais une kidaga; c'est-à-dire, une guitare, et divers passages tant des psaumes que

des cantiques, nous prouvent qu'elle était fort employée dans les cérémonies religieuses de Jérusalem. Pourquoi ne figure-t-elle pas de même dans nos solennités? C'est peut-être parce que l'usage un peu profane que les Espagnols, tout dévôts qu'ils sont, ne laissent pas d'en faire tous les soirs, lui aura fermé l'accès des lieux saints; et, en effet, nous serions tous presqu'aussi étonnés de voir aujourd'hui une guitare dans une église que d'entendre à minuit un serpent de paroisse jouer une séguédille sous un balcon.

Malgré cette espece d'excommunication, la guitare sera toujours la bien venue dans la meilleure compagnie; et ce seront les goûts les plus délicats qui en sentiront le mieux tous les charmes. D'autant plus aimable qu'elle est moins ambitieuse, elle semble respecter les autres instruments dans les concerts, et se taire devant eux; son moment est-il arrivé, elle fait oublier (au moins dans les mains de Castro) tout ce qui l'a précédé. Se trouve-t-elle entre des mains moins savantes, ce qui est fort aisé à supposer, elle plaît moins sans doute, mais elle plaît encore et du moins elle n'ennnye pas. Les plus petits appartements lui conviennent de préférence; elle n'y fait jamais plus de bruit qu'on ne lui en demandé, et joue avec la voix la moins forte le rôle d'une amie modeste, toujours attentive à faire briller son amie sans prétendre à détourner sur soi l'attention: et où trouve-t-on de ces amies-là? Dans le tête-à-tête même, c'est de tous les tiers le moins importun, le plus discret; elle ne se mêle de la conversation que pour l'animer, pour la rendre plus touchante, pour essayer d'exprimer encore ce qu'on craint de n'avoir pas fait assez comprendre, pour ajouter à ce que l'autre ne dit pas.

Etes-vous seul? êtes-vous seule ? elle vous entretient de ce qui vous occupe, elle a des tons brillants pour votre joie, elle en a de mélancoliques pour votre chagrin; elle se met en quelque sorte à l'unisson de VOL. XXVII.

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vos nerfs, en accord avec votre pensée. Joignez à cela que, de tous les instruments connus, c'est le plus facile pour les commençants; que les premiers sons qu'on tire de celui-ci ont déjà quelque chose de flatteur; ce qu'on ne peut pas dire à beaucoup près de tous les autres; enfin, que vous dirons-nous? en n'en jouant que médiocrement, vous êtes déjà sûr de vous faire plaisir à vous-même: mais, croyez-nous, tâchez d'en jouer comme Castro, et vous ferez plaisir à tout le monde.

Notre Amphion ne se borne pas à jouer de la guitare mieux que tout ce que nous avons entendu jusqu'ici, au rapport de quelques vrais connaisseurs qui ne manquent pas un concert; il compose aussi bien qu'il joue, et il improvise comme il compose. La tête vaut la main, consilio manuque. Nous verrons tous les mois de nouveaux morceaux de sa façon, ajustés au goût et en quelque sorte à la physionomie de la guitare; car pour la montrer à son avantage il fant savoir ce qui lui sied. La musique, en général, est un idiôme commun à tous, mais dont chacun affecte un dialecte particulier que les autres parleraient avec moins de grâce et de facilité ; et le dialecte de la guitare paraît être la langue maternelle de M. Castro,

Pensées, Remarques et Observations de Voltaire. Ouvrage posthume.-Uu vol. in-8vo.

Un manuscrit inédit de Voltaire est un appât pour les curieux, un sujet de critiques nouvelles pour ses ennemis et une bonne fortune pour ses admirateurs. Depuis quelque temps nous sommes tellement inondés d'ouvrages posthumes inédits et secrets, et la bonne foi des lecteurs a été si souvent surprise, que nous commençons à devenir plus mé

fants. La premiere chose qu'on se demande lorsqu'on voit annoncée quelqu'une de ces nouveautés, c'est de savoir si la dent est réellement d'or .-L'ouvrage est-il de Voltaire?, Sa généalogie paraît assez bien établie pour qu'on ne puisse gueres la révoquer en doute. Mais l'origine en fût-elle moins certaine qu'elle ne l'est en effet; on ne pourrait pas se refuser à reconnaître, dans une foule de traits de cet ouvrage, la touche philosophique, et pour me servir de l'expression d'Hérault de Séchelles, la pince mordicante du philosophe de Ferney.

Cet opuscule est d'autant plus précieux que les morceaux qui le composent paraissent n'être que des bribes détachées, jetées au hasard sur des chiffons de papiers, et dont Voltaire était loin de prévoir la publication. Il est résulté de cette sécurité un abandon d'idées et une indépendance d'imagination qui rendent ce petit recueil très-piquant. Nous allons en rapporter quelques morceaux pris au hasard qui pourront donner une idée du genre et du mérite de l'ouvrage.

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Aujourd'hui, 23 Juin 1764, dom Calmet, abbé de Sénonces, m'a demandé des nouvelles ; je lui ai dit que la fille de Mme. de Pompadour était morte. Qu'est-ce que Madame de Pompadour, a-t-il répondu? Felix errore suo !"

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"Qui doit être le favori d'un roi? le peuple." Qui a dit que les paroles sont les jetons des sages et l'argent des sots?"

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"Un curé que ses paroissiens avaient volé, disait dans son prône: Allez, Jésus-Christ a été bien sot de mourir pour des canailles comme vous." "Cromwell disait qu'on n'allait jamais plus loin que lorsqu'on ne savait plus où on allait."

"Le plus petit commis eût pu en affaires tromper Corneille et Newton: et les politiques osent se croire de grands génies!"

"Christophe Colomb devine et découvre un

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