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M. le général rapporteur procureur impérial), qu'il n'a pas perdu le vaisseau le Tourville, qu'il commandait: qu'il est retourné à son bord deux heures après l'avoir quitté et de son propre mouvement; qu'il l'a défendu contre l'ennemi et ramené dans le port, le conseil le condamne, pour avoir abandonné momentanément son vaisseau, à la peine de deux années de détention dans le lieu qui sera déterminé par le -gouvernement, et le condamne en outre à être rayé de la liste des officiers de la marine et dégradé de la légion d'honneur par M. le président, suivant l'article 6 de

la loi du 24 ventôse an 12.

Le conseil a ordonné que le présent jugement sera. imprimé au nombre de 200 exemplaires, pour être publiés et affiché partout où besoin sera.

Le conseil condamne à l'unanimité les accusés Proteau, Lafon et Lacaille solidairement aux frais de la procédure.

Immédiatement après la lecture de la sentence ci-dessus et des autres parts, M. le président a fait venir devant lui le condamné Lacaille, dans une chambre joignant celle du conseil, auquel il a dit que faisant partie des légionnaires et se trouvant condamné par le jugement dont il vient de lui être donné lecture, comme ayant manqué à l'honneur, il lui déclare, au nom de la légion, qu'il n'est plus dès ce moment membre d'icelle.

Le lendemain, à 4 heures du soir, le capitaine Lafon a subi son jugement sur le vaisseau amiral l'Océan.

SPECTACLES DE PARIS.

THEATRE FRANÇAIS.

Rodogune.- Rentrée de Mademoiselle Raucourt.

Par GEOFFROI.

Avant de parler de cette grande représentation, j'ai un mot à dire de celle du Philosophe sans le savoir, qui l'a précédée. On y a vu, pour la premiere fois, Armand dans le rôle du jeune Vanderck. Un rôle joué pour la premiere fois est un début, et tout début mérite indulgence: le débutant a même droit à des éloges; il faut louer son émulation et son zele. Dans le moment où la Comédie fait tant de pertes, les sujets qui lui restent ne sauraient faire trop d'efforts.

Armand a un grand avantage dans son emploi ; il fait illusion, il a toutes les qualités physiques qu'on peut désirer. Dans plusieurs endroits de son nouveau rôle, il a montré de la chaleur et de la vivacité; en général il a joué sagement: quelques traits auraient eu besoin d'une expression plus forte; par exemple, quand le fils demande si c'est au pistolet que son pere s'est battu, la question doit être animée d'un accent bien plus vif; on eût désiré un sentiment plus profond dans la scene avec Victorine: plus sûr de lui-même, dans un second essai, Armand y laissera moins à désirer; il suffit qu'il ait fait voir dans le premier qu'il a tout ce qu'il faut pour bien jouer le rôle.

Mlle. Raucourt est venue bien à propos au secours de notre Melpomene, qui ne fait que languir depuis que son plus cher favori, frappé d'un coup

imprévu, ne peut plus rien pour son service et pour sa gloire peut-être attendra-t-elle encore longtemps qu'il lui soit rendu; mais du moins le danger est passé, et l'espérance la soutient. Hélas! peu s'en est fallu que Talma ne soit allé rejoindre les ombres de Baron et de le Kain, et leur raconter les révolutions de notre théâtre : c'en était fait sans doute de la tragédie, qui aurait eu bien de la peine à se tenir sur son cothurne. Cet artiste, créateur d'une maniere nouvelle, doué des moyens les plus vigoureux, en possession d'une faveur qui tient de l'enthousiasme, eût certainement laissé un vide immense impossible à remplir, dans un temps où les moindres pertes sont irréparables; mais nous en avons été quittes pour la peur: Talma n'est pas perdu, il ne faut plus que l'attendre: et l'on peut à présent raisonner avec tranquillité sur les causes d'un danger qui n'existe plus.

On ne peut dissimuler que le nouveau degré de terreur imprimé à l'action tragique par Talma, les prodigieux efforts que ce genre exige, et cette imitation pénible des plus violentes crises de la nature, ne contribuent à user promptement dans le comédien tous les ressorts de l'âme et du corps. Baron, qui s'est acquis une réputation si brillante, et dont le nom est resté le synonyme d'un grand acteur; Baron cherchait à plaire, à toucher, plutôt qu'à effrayer et à faire frémir. Nous avons vu Baron, dit Voltaire; il était noble et décent, mais c'était tout. C'était beaucoup, sans doute, et plus que Voltaire ne pensait. Avec cette noblesse et cette décence, Baron charma constamment des spectateurs délicats, uniquement sensibles aux charmes de la poésie et de l'éloquence, et qui se contentaient de l'expression juste et naturelle des sentiments et des passions. Le public n'était point encore blasé, et n'avait pas besoin de ces secousses violentes qui ne semblent nécessaires que pour les esprits lourds et les âmes engourdies.

Ajoutons en faveur de cette noblesse, de cette décence, de ce goût qui caractérisaient le jeu de Baron, qu'ils procurerent à l'acteur une très-longue jouissance de ses forces: ses organes n'étant point fatigués par des efforts extraordinaires, il conserva jusque dans un âge très-avancé la faculté de jouer dans la tragédie, même les jeunes rôles; par un rare bonheur, il sut concilier sa gloire avec sa santé. Combien d'artistes ont abrégé leurs jours pour devenir immortels! Baron vécut long-temps dans son siecle, et n'en vit pas moins aujourd'hui dans la postérité.

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On se lasse de tout, l'habitude émousse et détruit le sentiment. Le fléau des arts, c'est le besoin de la nouveauté; c'est cette nécessité de changer de maniere et de forme, d'enchérir sur les beautés anciennes, de chercher de nouveaux moyens de plaire, de mettre à la mode de nouveaux genres. Après Baron, Beaubourg, Dufresne, Grandval, les seuls dont on se souvienne, s'éloignerent plus ou moins de leur modele, sans avoir aucune physionomie particuliere, et sans faire époque. Le Kain, l'acteur de Voltaire, donna une plus grande intensité à l'expression tragique, créa un pathétique plus déchirant; mais d'abord entraîné par la fougue de son génie, il fit hurler Melpomene, et fatigua ses pounons; forcé d'abandonner cette maniere outrée, autant par régime que par goût, il concentra ses moyens, et se fit un genre plus estimé des connaisseurs, plus favorable à sa poitrine, et plus conforme à la nature; ce qui n'empêcha pas qu'il ne fût enlevé par une maladie inflammatoire, à l'âge de quarante-neuf ans.

Après le Kain, Talma, qui n'avait pu le voir, n'a pu l'imiter: il s'est ouvert une nouvelle route: et pour réveiller les spectateurs habitués au jeu de le Kain, il a dû donner à l'action tragique une énergie encore plus grande, une explosion plus terrible. Son séjour en Angleterre dirigea ses études vers cette

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maniere sombre et noire, vers ce pathétique effrayant, et ces situations affreuses assorties au caractere d'une nation ennuyée et difficile à émouvoir..

Après Talma, il faudra bien que son successeur enchérisse encore, s'il est possible, sur le tragique de ce grand acteur, et l'on n'imagine pas ce qui reste à faire en ce genre: il est difficile de s'arrêter quand on est une fois sorti des bornes légitimes. Voilà le danger de changer et d'innover: on fait de si grands pas hors de la nature, qu'on ne peut plus y revenir.

Revenons à Mlle. Raucourt. Son retour avait attiré beaucoup de monde: la rentrée de Lafond avait aussi beaucoup de part à ce concours; car Lafond, sans avoir voyagé, n'en avait pas moins succombé à la fatigue: il était resté seul chargé du premier emploi tragique dans l'absence de Talma. Le rôle de Cléopâtre est un de ceux qu'aucune autre actrice n'ose toucher, et qui forme l'apanage particulier de Mlle. Raucourt: elle le rend avec beaucoup de profondeur et d'énergie, et supplée par un art consommé à ce qui peut lui manquer du côté de la nature. Son jeu est plus estimé qu'applaudi; le spectateur frémit, il est saisi d'horreur. La conception de cette tragédie, et en particulier ce personnage de Cléopâtre, sont au premier degré des beautés tragiques: c'est le sublime de la terreur, et dans toutes les tragédies anglaises il n'y a rien d'un aussi grand effet que le cinquieme acte de Rodogune; mais cet effet n'est point acheté, comme dans les tragédies anglaises, par des horreurs froides et dégoûtantes, par des absurdités triviales.

Mlle. Duchenois a fait briller le plus grand talent dans le rôle de Rodogune: elle y a été extrémement applaudie, mais pas plus qu'elle ne méritait. Les deux princes sont aimables, honnêtes et vertueux: le coloris en est peut-être un peu trop doux pour des spectateurs accoutumés à des sensations fortes; mais Cléopâtre a bien de quoi les satisfaire; et les deux VOL. XXVII.

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