le moyen d'envoyer des squelettes du Mammoth d'Amérique à son bon ami le grand Mammoth en vie des Thuilleries ! Cette partialité outrée en faveur de la démocratie américaine, soutenue par sa commere la tyrannie française, se manifesta surtout à l'époque de nos fameux Ordres en Conseil de Janvier 1807. Les auteurs de ́ quelques pamphlets qui firent beaucoup de bruit dans le temps, et les rédacteurs de certains paragraphes dans un journal plus digne d'être imprimé à Washington qu'auprès de Somerset-House, soutenaient fort et ferme que ces ordres avaient été sciemment et méchamment rendus sur un faux principe; que les représailles, des décrets de Berlin et de Milan sur lesquelles ils étaient fondés, étaient injustes et portaient à faux, puisqu'il était connu que ces décrets français n'avaient jamais été que comminatoires et qu'ils étaient uniquement destinés à sonder les dispositions de l'Angleterre, qu'on ne pouvait pas citer un seul cas où ils eussent été mis à exécution contre un bâtiment américain qui eût touché à un port d'Angleterre, ou qui eût été visité par un bâtiment de guerre britannique; et même qu'une lettre de M. Décrès, ministre de la marine en France, avait déclaré officiellement le 24 Décembre 1806, au général Armstrong, ministre américain à Paris, que le décret de Berlin du 21 Novembre 1806, ne s'appliquerait point aux arrangements existant avec les Américains, et n'apporterait aucune modification aux regles observées entre la France et l'Amérique, etc., etc. Que l'on cite un seul cas, disait-on avec emphase, où l'intégrité politique du plus grand homme de l'ancien monde ait porté atteinte à l'intégrité commerciale du premier peuple du nouveau continent, et dans lequel l'impartialité française n'ait pas respecté la neutralité, l'innocence, la bonne foi américaine? A peine citait-on ici un ou deux cas, et cela avec 1 quelque hésitation encore, car on n'avait que des informations assez incompletes sur ce qui se passait dans le Divan de Paris. Les victimes elles mêmes cachaient leurs plaies, comme ces voleurs qui cachent avec soin leurs blessures de peur d'être reconnus, lorsque voici venir un interprête juré du Conseil des Prises à Paris, un garçon même de la boutique, qui nous révele, qui nous détaille par le menu, non pas un, ni deux, ni trois cas où les Américains ont passé par les verges impériales, mais bien 26 cas consécutifs dans lesquels ces décrets français ont été mis à exécution contre les pauvres Yankeis, et sur lesquels nous ne voyons pas que leurs Exécuteurs* ayent dit le moindre mot. Ce fut un événement assez remarquable, que le Président Jefferson et le premier Consul Buonaparté commencerent leur carriere à peu près à la même époque. Les deux prédécesseurs de M. Jefferson, Washington et Adams, avaient essayé de tenir la balance égale entre le parti aristocratique ou Anglais et le parti démocratique ou Français qu'on remarque en Amérique. Jefferson crut faire beaucoup mieux, il se mit lui même dans la balance, et tout fut démocratisé sous son administration, même après que Napoléon eût jeté le masque et se fût déclaré Empereur et Roi héréditaire. " Dans l'année 1806, " dit M. Goldsmith," le ministre * Pour l'intelligence de cette expression, il faut que l'on sache que les beaux génies américains ne se contentent pas de perfectionner les lois civiles et politiques de l'Angleterre; ils étendent leur influence jusques sur les lois du langage; et pour exprimer avec concision et énergie les membres de leur pouvoir exécutif, le Président et ses ministres, les écrivains américains les appellent maintenant, avec une grande simplicité, leurs exécuteurs. Ainsi tout, sous le manteau de la neutralite, s'est enrichi chez ce peuple, jusqu'à la langue, américain, M. Monroe, arriva à Londres, pour y conclure un traité de commerce, conjointement avec M. Pinckney, ministre des Etats-Unis à la Cour de St.-James. Dès que Buonaparté en fut averti, il eut un accès de rage, et il déclara que si le Gouvernement américain osait conclure un traité avec la Grande-Bretagne, il regarderait aussitôt l'Amérique comme ennemie, et lui déclarerait la guerre. Cette menace empêcha la ratification du traité qui avait été déjà signé à Londres," Telle était, à cette époque, l'impartialité et l'indépendance du Gouvernement américain! Buonaparté voulut prouver qu'il y allait de bon jeu. Il rendit alors son fameux décret de Berlin du 21 Novembre 1806, par lequel il mettait les Isles Britanniques en état de blocus, et entr'autres dispositions dignes de Robespierre, déclarait que tout individu sujet de la Grande-Bretagne serait fait prisonnier de guerre partout où on le trouverait, Un article de ce décret ordonnait que toutes les lettres adressées à des anglais, ou écrites en anglais, seraient arrêtées ! : ١٠٠ "En conséquence de cet article du décret, il fut donné ordre à tous les commis de la poste de saisir les lettres adressées à des personnes qui porteraient des noms anglais. Deux négociants américains, résidant alors à Paris, allerent chez l'administrateur général des postes, M. le Comte la Valette, conseiller d'état. Ils lui firent des remontrances sur la rigueur que l'on exerçait par ce décret envers les Américains, et ils lui représenterent que les noms anglais et les noms américains étant absolument semblables, il serait impossible de les distinguer. Ils lui demanderent en conséquence ce qu'ils devaient faire pour leur correspondance, lorsqu'il leur était défendu d'écrire en anglais. Le Conseiller-d'état repliqua: Correspondez dans votre langue!" Cet administrateur ignorait que les américains ne parlent qu'anglais. Cela n'étonnera pas, quand on saura que M. le Comte la Vallette était anciennement garçon limonadier, puis soldat, puis général, &c." Le ministre américain à Paris, le général Armstrong, n'eut pas plutôt connaissance du décret de Berlin, qu'il vit clairement qu'il était dirigé contre Pindépendance du commerce des Etats-Unis, puis'qu'à cette époque il n'y avait presque pas d'autre pays qui fût neutre. Il s'adressa au Ministre de la Marine de France pour lui demander si ce décret concernait les vaisseaux américains; qu'il avait d'autant plus raison de s'en informer qu'il y avait alors en Angleterre plusieurs navires des Etats-Unis prêts à partir pour l'Amérique. A cette question le Ministre de la marine répondit qu'il allait dépêcher un courier à son maître afin de connaître ses intentions à cet égard; peu après, il écrivit au général Armstrong sa lettre du 24 Décembre, par laquelle il l'informait que l'Empereur avait décidé que le décret de Berlin n'était point en contravention aux traités existants entre la France et l'Amérique. Cette lettre fut envoyée à M. Munroe qui la communiqua aux négociants américains à Londres. Le premier cas qui se présenta pour mettre à l'essai le décret de Berlin et l'efficacité de la modification annoncée par Décrès, fut le cas, du navire américain l'Horison, frété par le gouvernement espagnol pour aller porter une cargaison à Lima et en rapporter les retours en Espagne. Sur la foi de l'assurance donnée par Décrès, ce navire partit de Londres avec une riche cargaison; mais une tempête le jeta sur la côte de France, où il fut saisi provisoirement par la Douane. Le cas renvoyé à la Cour des Prises pour avoir sa décision, les propriétaires employerent un très-honnête avocat au conseil, M. de la Grange, accoutumé à plaider et à perdre toutes ces sortes de causes. eut beau montrer la charte-partie entre le capitaine II 1 et le gouvernement Espagnol, ami et allié de la France, et de plus en état d'hostilité avec la GrandeBretagne, le navire était richement chargé, il fut condamné. Lorsqu'on cita au Conseil des Prises Ja lettre du ministre, la réponse prouva la servilité de ses membres, et combien peu les ministres étrangers doivent ajouter foi aux déclarations officielles d'un ministre français; on dit que le ministre de la marine avait outrepassé ses pouvoirs, lorsqu'il avait pris sur lui d'écrire une telle lettre; qu'une lettre ministérielle ne pouvait, en aucun cas, invalider un décret Impérial. Le supercargue du bâtiment, M. Mac Clure, frere de l'armateur et propriétaire du navire et cargaison, fut arrêté et mis en prison, dans la capitale du pays le plus éclairé de l'univers, parce qu'il fut soupçonné de pouvoir bien être anglais! le plus grand crime dont un homme puisse être accusé en France, surtout s'il est démocrate *.. M. Mac Clure obtint, non sans peine, d'être mis en surveillance, jusqu'à ce qu'il eût prouvé, non pas qu'il était naturalisé citoyen américain, mais qu'il était bien et dûment né en Amérique. A Le 10 Janvier 1807, parurent les Ordres en Conseil, qui étaient certes bien loin d'être conçus et libellés sur le modele du décret de Berlin. Ils défendaient seulement aux vaisseaux neutres de naviguer d'un port de France à l'autre. Ils n'ordonnaient point aux commandants des vaisseaux de guerre de saisir les américains qui allaient en France, mais seulement de les avertir de ne pas suivre leur destination et de discontinuer leur voyage. Ces bâtiments, ainsi prévenus, avaient encore mille marchés ouverts pour aller vendre leur cargaison et en acheter une en retour, sans crainte d'être molestés. * M. Lewis Goldsmith montre ici le bout de l'oreille ! |