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consentir à être placé par vous dans une situation à laquelle aucun homme d'honneur ne pourrait se soumettre s'il la connaissait, et dans laquelle il ne souffrirait pas patiemment qu'on le plaçât par trahison, sans se perdre de réputation.

Je n'ai aucun droit, comme homme public, de me plaindre de ce que vous avez demandé, d'après des motifs d'une nature politique, má destitution de l'emploi particulier que j'ai occupé, ou même de l'Administration, comme une condition sans laquelle vous ne vouliez pas rester membre du gouvernement; mais j'ai très-certainement le droit d'attendre qu'une proposition très-justifiable en elle-même, ne recevra pas son exécution d'une maniere injustifiable, et aux dépens de mon honneur et de ma réputation. Et je trouve que vous étiez tenu, du moins, de profiter vous même de ladite alternative, c'est-à-dire, de donner votre propre démission, pour ne pas être dans le cas de pratiquer envers moi cette déception dont vous avez usé en demandant ma destitution.

Dans ces circonstances, je suis forcé de vous demander la satisfaction à laquelle je me crois en droit de prétendre. Je suis, &c.

(Signé)

Au Très-Hon. George Canning, &c.

CASTLEREAGH.

Gloucester Lodge, le 20 Septembre, 1809.

Mylord, Le ton et la teneur de la lettre de V. S. que je reçois à l'instant, m'interdisent de faire aucune autre réponse aux méprises et aux représentations mal fondées dont elle abonde, sinon que je donnerai avec plaisir à V. S. la satisfaction qu'elle exige.

Je suis, &c.

(Signé)

Au Lord Vicomte Castlereagh, &c.

GEORGE CANNING.

On souscrit chez M. PELTIER, 7, Duke Street, Portland Place.
De l'Imprimerie de Vogel et Schulze, 13, Poland Street, Londres..

L'Ambigu,

OU

VARIÉTÉS LITTÉRAIRES ET POLITIQUES.

No. CCXXXVI.-Le 20 Octobre, 1809.

LA FEMME DE LETTRES.

Conte.

Je ne sais si vous avez connu Mme de Bellezane dans sa jeunesse. Pour moi je l'ai beaucoup vue à Paris dans les trois premieres années de son mariage. Rien de plus aimable qu'elle; sa douceur égalait ses agréments: elle était simple parce qu'elle était modeste, et son esprit était aimable parce qu'il était simple. M. de Bellezane méritait à tous égards le bonheur de la posséder. Il avait beaucoup d'esprit, des connaissances très-étendues, un jugement exquis; sensible sans faiblesse, sage sans austérité, remarquable par une politesse noble et aisée, il joignait à tous ces avantages une fortune considérable, et une figure que tout le monde trouvait belle, parce que sa belle âme s'y peignait.

Il avait été pendant les premieres années de son mariage plutôt l'amant que le mari de sa femme VOL. XXVII.

L

!

A cette passion impétueuse de l'amour avait succédé un sentiment moins vif sans doute, mais plus doux et plus durable, ce sentiment éclairé par la raison, qui semble tenir un juste milieu entre l'amour et l'amitié et que l'on nomme tendresse. Il était heureux et semblait devoir l'être toujours. Mais le bonheur des pauvres humains tient à bien peu de chose, et celui de M. de Bellezane fut renversé par une chan

son.

Sa fête était arrivée, et sa femme, qui jusqu'à ce jour l'avait fêté tout simplement avec un bouquet et un baiser, se sentit une inspiration subite. Elle se retira dans son appartement, et après deux heures de méditation elle composa une romance sur le bonheur de l'amour conjugal.

Ces couplets, comme vous pouvez croire, n'avaient rien de bien saillant; c'était un coup d'essai : l'hymen, l'amour, l'amitié, les fleurs, pour rimer avec nos cœurs, les roses, la vie.... Enfin on y trouvait ce qu'on trouve partout. Cependant lorsque Mme de Bellezane eut mis au jour ce petit chefd'œuvre, elle ne put s'empêcher de sourire; elle s'applaudit d'avoir si bien fait. Certain mouvement d'orgueil se glissa dans son cœur. Elle répéta dix fois avec complaisance ce petit poëme; elle passa toute la nuit à le comparer à beaucoup d'autres romances qui avaient eu un instant de vogue, et elle ne put s'empêcher de trouver que ses couplets avaient plus d'esprit, de sentiment et de délicatesse. Enfin elle sentit tout ce que sentent les jeunes auteurs pour le premier fruit de leur génie.

Elle attendit avec une vive impatience le moment de produire son ouvrage, et le soir de ce jour fortuné, elle eut soin de réunir chez elle un peu plus de monde qu'à l'ordinaire.. Cette fête qui tous les ans se passait en famille, eut de plus pour spectateurs trois ou quatre amis et cinq ou six personnes désintéressées. Parmi ces dernieres se trouvait un

jeune homme appelé Vallerose. Il débutait dans la carriere des lettres, et s'il manquait des talents réels qui seuls procurent une réputation durable, il avait assez d'esprit, d'intrigue et d'audace pour obtenir des succès momentanés dans les cercles où il avait soin de se répandre. Vallerose y passait pour un oracle; et en effet, comme les oracles, il ne savait souvent ce qu'il disait et n'en était pas moins cru sur parole. Il connaissait les gens de lettres les plus distingués de la capitale, il se disait leur ami, et même quelquefois leur conseil; d'ailleurs adroit, insinuant, flatteur, encensant les riches, méprisant les pauvres, vendant la louange et le blâme dans les journaux où ses importunités lui avaient procuré quelque crédit: il était parvenu à soutenir sans fortune une assez forte dépense, et se passait fort bien de l'estime des gens dont il n'avait pas besoin. La romance de Mme de Bellezane eut le plus grand succès au milieu de ce cercle choisi. Chacun voulut en avoir une copie. Vallerose surtout était en extase, et pour témoigner à Mme de Bellezane l'admiration dont il était pénétré, il lui récita cet im promptu :

Eglé, tandis que tu t'amuses

A montrer des talents jusqu'alors inconnus,
Je t'admire et je dis : Vénus

Vient de se mettre au rang des Muses.

Bravo! bravo bravo! s'écria-t-on de tous côtés, et Mme de Bellezane fut presqu'aussi fiere de se voir l'objet d'un impromptu aussi galant que Vallerose d'en être l'auteur. Retirée dans son appar· tement après cette soirée brillante, elle se rappela avec délices tous les éloges qu'on venait de lui prodi guer. Une seule chose lui faisait de la peine; M de Bellezane avait entendu la romance avec l'air de la reconnaissance, avec l'émotion de la sensibilité; mais sans témoigner d'admiration; il n'avait point

parlé de la délicatesse des pensées et de l'harmonie des vers." Sans doute, dit Mme de Bellezane en elle-même, sans doute mon mari ne s'y connaît pas."

Quelques jours s'étaient écoulés depuis cette fête lorsque Vallerose entra chez Mme de Bellezane au moment où elle avait rassemblé une société nombreuse. Il ne lui fut pas difficile d'amener la conversation sur les romances à la mode. "Il y en a une, dit-il, qui obtient un succès prodigieux; on la chante partout. Vous la connaissez peut-être, ajouta-t-il en se tournant du côté de Mme de Bellezane. Un habile musicien de mes amis a fait sur les paroles un air digne d'elles, car il est délicieux." Vallerose tire de son porte-feuille un exemplaire de la romance nouvelle, il le place devant un piano. On prie Mme de Bellezane de chanter. Quelle est son émotion en voyant sa romance gravée ! Elle chante, mais non sans rougir et trembler. A peine a-t-elle fini que la salle retentit d'applaudissements. L'air est trouvé joli; mais les paroles! les paroles! elles sont divines! Mme de Bellezane ne peut résister à ce triomphe; elle ne veut pas rester en si beau chemin et mille projets brillants se succedent dans son imagination. Elle s'essaye dans plus d'un genre; tantôt une idylle tantôt une fable, tantôt une élégie naissent sous sa plume féconde. Elle travaille avec une étonnante facilité. C'est, il faut l'avouer, une qualité que j'ai remarquée dans beaucoup de femmes poëtes: Mme de Bellezane en profita.

Il se passait peu de soirées sans qu'elle régalât sa société de quelque morceau de sa composition, et par conséquent sans qu'elle reçût de nouveaux éloges. Vallerose surtout se montrait émerveillé de tant de talents. Elle éclipse, disait-il, toutes les femmes de son siecle et même des siecles passés. Ses fables ont une grâce, une naïveté! elle est le La Fontaine de son sexe. Ses idylles sont infiniment supérieures à

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