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pas à craindre d'être destitués s'ils avaient à refuser de rendre des arrêts contraires à leur conscience. On a objecté cependant que l'espoir d'une situation meilleure pourrait déterminer une complaisance excessive pour le Gouvernement dans les poursuites exercées contre les particuliers; divers projets de réforme ont été mis en avant dans le but de régulariser l'avancement et de restreindre la possibilité des mesures arbitraires. - Des progrès pourront être réalisés de ce côté.

Sous la Révolution la séparation des pouvoirs était portée plus loin, puisque les juges étaient élus par le peuple pour un temps déterminé. C'est ce qui a lieu également, dans la plupart des États de l'Union américaine, surtout depuis un demi-siècle, mais non pas toutefois pour la justice fédérale. L'expérience de ce système n'a pas donné de bons résultats. On y a vite. renoncé chez nous, et il est vivement attaqué aux États-Unis: l'application des lois civiles exige une compétence spéciale et une connaissance approfondie de la jurisprudence; d'autre part, les garanties d'indépendance et par suite d'impartialité sont insuffisantes avec le renouvellement périodique. La liberté, l'honneur, la fortune d'un homme peuvent dépendre de l'issue d'un procès. Il ne faut pas qu'il soit exposé à le perdre parce qu'il a fait partie d'une minorité ; il ne faut pas tout au moins que le juge puisse être soupçonné de rendre des services plutôt que des arrêts. La magistrature ne doit pas plus être un instrument d'oppression entre les mains d'un comité électoral qu'entre celles du Gouvernement.

Enfin, que deviendrait l'unité de législation, si dans telle ou telle circonscription le candidat n'était nommé

qu'à la condition de ne pas appliquer les lois qui déplaisent?

On a proposé encore d'autres systèmes. Attribuer la nomination des juges au Parlement; ou encore à un collège électoral composé d'hommes de loi et de conseillers généraux........ La discussion nous entraînerait trop loin; nous ne les mentionnons que pour montrer l'importance qui s'attache à la garantie des libertés du citoyen, et la complexité des problèmes politiques que les esprits irréfléchis se figurent pouvoir résoudre en se jouant et au pied levé.

Les rapports du Pouvoir législatif et du Pouvoir exécutif. -La question des rapports du pouvoir législatif et du pouvoir exécutif est difficile entre toutes. Le principe de la séparation est juste, nous l'avons montré: il faut y voir autre chose et plus que la loi générale de la division du travail; mais leur coopération n'est pas moins nécessaire dans l'État à l'œuvre commune du gouvernement que celle des organes distincts à l'entretien de la vie dans notre corps. La vie du corps social, elle aussi, est une synthèse; toutes les parties que l'analyse sépare y doivent concourir harmonieusement et conspirer à un même but qui est le bien public. La définition de Cuvier s'applique également à lui : « Tout être organisé forme un ensemble, un système clos dont les parties se correspondent mutuellement et concourent à une même action définitive par une réaction réciproque. »

Les pouvoirs publics ont bien chacun un rôle différent et une autorité propre; mais pourtant leurs attributions se pénètrent mutuellement et l'indépen

dance qu'ils possèdent l'un vis-à-vis de l'autre n'est point absolue. D'une part, l'exécutif participe à l'œuvre législative puisqu'il a, concurremment avec les Chambres, l'initiative des lois, et d'autre part le Parlement intervient dans le gouvernement puisqu'il contrôle les actes de l'exécutif et inspire sa politique. Il n'en saurait être autrement: les ministres doivent pouvoir proposer aux délibérations des législateurs les réformes qu'ils jugent nécessaires et s'opposer aux projets de loi qui leur semblent impraticables. Même la loi du budget ne peut émaner que de leur initiative car il leur appartient de préparer l'état des dépenses et des recettes au moyen des informations qu'ils possèdent sur les besoins de leur service et sur les ressources du pays. Le Parlement, de son côté, ne reste pas confiné dans ses travaux législatifs, puisqu'il est appelé à décider de la paix ou de la guerre, et à se prononcer sur la valeur des différents traités, puisqu'enfin il renverse le Ministère lorsque les actes du Pouvoir exécutif n'ont pas son approbation.

Les prérogatives du Président de la République et celles des Chambres établissent entre les pouvoirs publics une dépendance réciproque qui est la condition même de l'autorité particulière de l'Exécutif et du Législatif. La souveraineté n'a pas été déléguée à l'un à l'exclusion de l'autre, mais à tous les deux. La Constitution donne au chef de l'Etat le droit d'ajourner les Chambres pendant un mois jusqu'à deux fois dans la même session, de provoquer une délibération nouvelle sur une loi qu'il juge impolitique — avant de la promulguer, de dissoudre même la Chambre des députés s'il a pour lui le Sénat.

Le pouvoir prépondérant. — Cependant, quand on parle de l'équilibre et de la pondération des pouvoirs, il ne faut pas oublier que l'autorité ne saurait être également répartie. Dans un pays libre le pouvoir prépondérant c'est le Parlement qui possède seul une délégation directe de la Souveraineté. Un acte du Président de la République qui ne serait pas contresigné par un ministre serait illégal et les agents qui l'exécuteraient s'exposeraient à des pénalités pour crime de forfaiture. Or les ministres sont responsables devant les Chambres, et si en définitive après une dissolution, la nation soutient, en les renommant, la politique de ses députés, le chef du Pouvoir exécutif est obligé de se soumettre ou de se démettre, suivant une parole fameuse. D'ailleurs s'il persistait à vouloir garder, sans faire appel au pays, un Ministère qui après avoir été condamné par un vote consentirait à rester en place, la Chambre des Députés en refusant de voter le budget rendrait impossible son gouvernement. Tout agent du fisc qui ferait le recouvrement de contributions non autorisées par la représentation nationale pourrait être condamné comme concussionnaire et tomberait sous le coup des pénalités sévères édictées par le Code dans l'article 174.

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Lorsqu'il s'agit des cérémonies publiques, des solennités nationales, de préséances, le chef du Pouvoir Exécutif apparaît bien comme le chef de l'État, et il occupe la première place, parce qu'il personnifie la France devant les nations étrangères; mais en réalité le premier pouvoir de l'État est le Pouvoir législatif.

CHAPITRE VII

LE POUVOIR EXÉCUTIF.

La Liberté et le gouvernement personnel. Tout citoyen participe à la souveraineté, mais tout citoyen est sujet de la loi : l'obéissance aux lois c'est la liberté, quand les lois sont l'expression de la raison commune et de la volonté nationale. Il faut que la loi règne, il faut qu'elle règne sur tous, sur le chef de l'État et sur les ministres, sur les fonctionnaires quels qu'ils soient, que le peuple souverain-directement ou indirectement — a investis à un titre ou à un autre d'une parcelle de l'autorité publique, aussi bien que sur les particuliers et le plus humble des électeurs. N'est-il pas juste alors que le pouvoir qui fait les lois, que ce pouvoir qui est l'émanation la plus directe du suffrage populaire, ne reconnaisse pas de supérieur, et qu'il exerce au contraire sur les autres sa légitime supériorité ?

Ce principe si clair est pourtant souvent méconnu; et s'il triomphe aujourd'hui après des luttes séculaires et des guerres sanglantes, ses adversaires n'ont pas tous désarmé, et même après la victoire les défenseurs de la liberté doivent faire bonne garde. Le combat de la violence contre l'injustice, de la vérité contre l'ignorance, est aussi ancien que l'humanité,

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