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Et qui veut être juste en de telles saisons
Balance le pouvoir, et non pas les raisons.
Le choix des actions ou mauvaises ou bonnes
Ne fait qu'anéantir la force des couronnes;
Le droit des rois consisté à ne rien épargner.
La timide équité détruit l'art de régner:

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Quand on craint d'être injuste on a toujours à craindre,
Et qui veut tout pouvoir doit oser tout enfreindre
Fuir comme un déshonneur la vertu qui le perd,
Et voler sans scrupule au crime qui le sert.

12.

Imprecations de Camille.

Rome l'unique objet de mon ressentiment !
Rome à qui vient ton bras d'immoler mon amant !
Rome qui t'a vu naître et que ton cœur adore!
Rome enfin que je hais parce qu'elle t'honore !
Puissent tous ses voisins ensemble conjurés
Miner ses fondements encor mal assurés ;
Et si ce n'est assez de toute l'Italie,

Que l'orient contre elle à l'occident s'allie,
Que cent peuples unis des bouts de l'univers
Traversent pour la perdre et les monts et les mers!
Qu'elle même sur soi renverse ses murailles
Et de ses propres mains déchire ses entrailles !
Que le courroux du ciel allumé par mes vœux,
Fasse verser sur elle un déluge de feux !
Puissé-je de mes yeux y voir tomber ce foudre
Voir ses maisons en cendre, et tes lauriers en poudre,
Voir le dernier Romain à son dernier soupir
Moi même en être cause et mourir de plaisir.

Horace.

LA FONTAINE, 1621-1695.

THE author of upwards of two hundred fables in verse, and of a great many old stories versified from Boccaccio,

Les Cent Nouvelles, and Les Contes de la Reine de Navarre, La Fontaine was a man of independent means, though not rich; excessively careless, but fortunately protected by Madame de la Sablière and other influential persons of his own period. Only late in life he directed his attention to literature and study. His fables are the most popular poetical work in existence in France; and La Fontaine, both by his contemporaries and by posterity, has always been accepted as a kind of familiar and congenial spirit, with whom everybody is at home, and of whom no one is afraid. He was a contemporary of Molière, Boileau, Racine, and Madame de Sévigné. He was remarkable for being very absent, and perfectly regardless of the ways of the world, and so forgetful of all ties and obligations that he lost sight of his wife, who lived quietly at home, and had to be introduced to his own children. We do not propose to give many of his fables, which can be so easily procured, but to single out a few, and mix them with some of the familiar and proverbial expressions with which his book abounds.

13.

Le Coq et la Perle.

Un jour un coq détourna
Une perle qu'il donna

Au beau premier lapidaire,

"Je la crois fine, dit-il,

Mais le moindre grain de mil
Serait bien mieux mon affaire."

Un ignorant hérita
D'un manuscrit qu'il porta
Chez son voisin le libraire,

"Je crois, dit-il, qu'il est bon ;
Mais le moindre ducaton

Serait bien mieux mon affaire."

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14.

Les injustices des pervers

Servent souvent d'excuse aux nôtres.
Telle est la loi de l'univers :

Si tu veux qu'on t'épargne épargne aussi les autres.

15.

Chacun se trompe ici bas
On voit courir après l'ombre
Tant de fous qu'on n'en sait pas
La plupart du temps le nombre.

16.

Eschyle.

Trop de précaution nuisit au poète Eschyle
Quelque devin le menaça, dit-on,

De la chute d'une maison.

Aussitôt il quitta la ville,

Mit son lit en plein champ, loin des toits, sous les cieux. Un aigle, qui portait en l'air une tortue,

Passa par là, vit l'homme, et sur sa tête nue,

Qui parut un morceau de rocher à ses yeux,
Etant de cheveux dépourvue,

Laissa tomber sa proie, afin de la casser:
Le pauvre Eschyle ainsi sut ses jours avancer.

17.

Le Statuaire.

Un bloc de marbre était si beau
Qu'un statuaire en fit l'emplette,

Qu'en fera, dit-il, mon ciseau
Sera-t-il dieu, table, ou cuvette?

"Il sera dieu: même je veux
Quil ait en sa main un tonnerre.
Tremblez, humains! faites des vœux :
Voici le maître de la terre."

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L'artisan exprima si bien

Le caractère de l'idole

Qu'on trouva qu'il ne manquait rien
A Jupiter que la parole.

Même l'on dit que l'ouvrier
Eut à peine achevé l'image,
Qu'on le vit frémir le premier,
Et redouter son propre ouvrage.

Il était enfant en ceci ;

Les enfants n'ont l'âme occupée
Que du continuel souci

Que l'on ne fâche leur poupée.

Chacun tourne en réalités,

Autant qu'il peut, ses propres songes :
L'homme est de glace aux vérités
Il est de feu pour les

18.

mensonges.

La Mort et le Bucheron.

Un pauvre bucheron, tout couvert de ramée
Sous le faix du fagot aussi bien que des ans
Gémissant et courbé, marchait à pas pesants,
Et tâchait de gagner sa chaumine enfumée.
Enfin, n'en pouvant plus d'effort et de douleur
Il met bas son fagot, il songe à son malheur.
Quel plaisir a-t-il eu depuis qu'il est au monde?
En est-il un plus pauvre, en la machine ronde ?
Point de pain quelquefois, et jamais de repos :
Sa femme, ses enfants, les soldats, les impôts,
Les créanciers et la corvée

Lui font d'un malheureux la peinture achevée.
Il appelle la mort, elle vient sans tarder,
Lui demande ce qu'il faut faire.
C'est dit-il gafin de m'aider

A recharter ce bois

Tu ne arderas guère.

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Le trépas vient tout guérir,
Mais ne bougeons d'où nous sommes.
Plutôt souffrir que mourir

C'est la devise des hommes.

19.

Il est bon d'être charitable,
Mais envers qui? c'est là le point,
Quant aux ingrats, il n'en est point
Qui ne meure enfin misérable.

20.

Quand le malheur ne serait bon
Qu'à mettre un sot à la raison
Toujours serait-ce à juste cause
Qu'on le dît bon à quelque chose.

21.

La vraie épreuve du courage

N'est que dans le danger que l'on touche du doigt:
Tel paraît le chercher qui changeant de langage
S'enfuit aussitôt qu'il le voit.

22.

Petit poisson deviendra grand
Pourvu que Dieu lui prête vie :
Mais le lâcher en attendant,

Je tiens pour moi que c'est folie.

23.

Ce qu'on donne aux méchants, toujours on le regrette :

Pour tirer d'eux ce qu'on leur prête,

Il faut que l'on en vienne aux coups;

Il faut plaider, il faut combattre.
Laissez-leur prendre un pied chez vous,

Ils en auront bientôt pris quatre.

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