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Et de ce qu'à la cour il avait de faveur,
Disant qu'à m'y servir il s'offrait de grand cœur.
Je le remerciais doucement de la tête,
Minutant à tous coups quelque retraite honnête ;
Mais lui, pour le quitter, me voyant ébranlé;
-Sortons, ce m'a-t-il dit, le monde est écoulé.
Et, sortis de ce lieu, me la donnant plus sèche,
-Marquis, allons au Cours faire voir ma calèche :
Elle est bien entendue, et plus d'un duc et pair
En fait à mon faiseur faire une du même air.

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Moi, de lui rendre grâce, et, pour mieux m'en défendre, De dire que j'avais certain repas à rendre.

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-Ah! parbleu ! j'en veux être, étant de tes amis,

Et manque au maréchal à qui j'avais promis.

-De la chère, ai-je dit, la dose est trop peu forte
Pour oser y prier des gens de votre sorte.
-Non, m'a-t-il répondu, je suis sans compliment,
Et j'y vais pour causer avec toi seulement;
Je suis des grand repas fatigué, je te jure.
-Mais si l'on vous attend, ai-je dit, c'est injure.

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-Tu te moques, marquis; nous nous connaissons tous ;
Et je trouve avec toi des passe-temps plus doux.

Je pestais contre moi, l'âme triste et confuse
Du funeste succès qu'avait eu mon excuse,
Et ne savais à quoi je devais recourir,
Pour sortir d'une peine à me faire mourir ;
Lorsqu'un carrosse fait de superbe manière,
Et comblé de laquais et devant et derrière,
S'est, avec un grand bruit, devant nous arrêté,
D'où sautant, un jeune homme amplement ajusté,
Mon importun et lui, courant à l'embrassade,
Ont surpris les passants de leur brusque incartade ;
Et tandis que tous deux étaient précipités
Dans les convulsions de leurs civilités,

Je me suis doucement esquivé sans rien dire ;
Non sans avoir longtemps gémi d'un tel martyre,
Et maudit le fâcheux, dont le zèle obstiné
M'ôtait au rendez-vous qui m'est ici donné.

Les Fâcheux.

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VOLTAIRE, 1694-1778.

AN universal genius of the eighteenth century, famous for his great wit and voluminous writings in prose and in verse; was imprisoned in the Bastille when young for too free use and exercise of his wit; subsequently went to live with Frederick the Great, and taught him to write French poetry; grew immensely rich, and ended his days in exile at Ferney, near Geneva.

48.

Sachez vous contenir.

Tout vouloir est d'un fou, l'excès est son partage; I
La modération est le trésor du sage;

Il sait règler ses goûts, ses travaux, ses plaisirs,
Mettre un but à sa course, un terme à ses désirs.
Nul ne peut tout avoir. L'amour de la science
A guidé ta jeunesse au sortir de l'enfance;
La nature est ton livre, et tu prétends y voir
Moins ce qu'on a pensé que ce qu'il fait savoir.
La raison te conduit: avance à sa lumière,
Marche encor quelque pas, mais borne ta carrière,
Au bord de l'infini ton cours doit s'arrêter :
Là commence un abîme, il faut le respecter.

49.

Le Systeme du Monde.

Quand de l'immensité Dieu peupla les déserts,
Alluma des soleils, et souleva des mers;

"Demeurez, leur dit-il, dans vos bornes prescrites."
Tous les mondes naissants connurent leurs limites.
Il imposa des lois à Saturne, à Venus,

Aux seize orbes divers dans nos cieux contenus,
Aux éléments unis dans leur utile guerre,
A la course des vents, aux flèches du tonnerre,
A l'animal qui pense, et né pour l'adorer,
Au ver qui nous attend, né pour nous dévorer.

50.

La Nature Garde ses Secrets.

Pour découvrir un peu ce qui se passe en moi,
Je m'en vais consulter le médecin du roi ;
Sans doute il en sait plus que ses doctes confrères.
Je veux savoir de lui par quels secrets mystères,
Ce pain, cet aliment dans mon corps digéré,
Se transforme en un lait doucement préparé ;
Comment, toujours filtré dans ses routes certaines,
En longs ruisseaux de pourpre il court enfler mes veines
A mon corps languissant rend un pouvoir nouveau,
Fait palpiter mon cœur, et penser mon cerveau.

Il lève au ciel les yeux, il s'incline, et s'écrie ;

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Demandez-le à ce Dieu qui nous donna la vie."

51. Bathos.

A ces beaux jeux inventés dans la Grèce,
Combats d'esprit, ou de force, ou d'adresse,
Jeux solennels, écoles des héros,

Un gros Thébain, qui se nommait Bathos,
Assez connu par sa crasse ignorance,
Par sa lésine, et son impertinence,
D'ambition tout comme un autre épris,
Voulut paraître, et prétendit au prix.
C'était la course, un beau cheval de Thrace,
Aux crins flottants, à l'œil brillant d'audace,
Vif et docile, et léger à la main,

Vint présenter son dos à mon vilain.

52.

Le Contentement.

Un jour quelques souris se disaient l'une à l'autre :

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'Que ce monde est charmant ! quel empire est le nôtre ! Ce palais si superbe est elévé pour nous;

De toute éternité Dieu nous fit ces grand trous :

3

Vois-tu ces gras jambons sous cette voute obscure?
Ils y furent créés des mains de la nature :
Ces montagnes de lard, éternels aliments,

Sont pour nous en ces lieux jusqu'à la fin des temps. Oui, nous sommes, grand Dieu, si l'on en croit nos sages, Le chef d'œuvre, la fin, le but de tes ouvrages.

Les chats sont dangereux et prompts à nous manger, Mais c'est pour nous instruire et pour nous corriger.

53.

Le Lion et le Marseillois.

Un jour un Marseillois, trafiquant en Afrique,
Aborda le rivage où fut jadis Utique.

Comme il se promenait dans le fond d'un vallon,
Il trouva nez à nez un énorme lion,

A la longue crinière, à la gueule enflammée,
Terrible, et tout semblable au lion de Némée.
Le plus horrible effroi saisit le voyageur :
Il n'était pas Hercule; et, tout transi de peur.
Il se mit à genoux, et demanda la vie.
Le monarque des bois, d'une voix radoucie,
Mais qui faisait encor trembler le Provençal,
Lui dit en bon Français: "Ridicule animal,
Tu veux donc qu'aujourd'hui de souper je me passe
Ecoute, j'ai dîné: je veux te faire grâce,
Si tu peux me prouver qu'il est contre les lois.
Que le soir un lion soupe d'un Marseillois."

54.

Du Camp de Philisbourg, le 3 Juillet, 1734.

C'est ici que l'on dort sans lit,

Et qu'on prend ses repas par terre ;
Je vois et j'entends l'atmosphère
Qui s'embrase et qui retentit.

De cent décharges de tonnerre ;
Et dans ces horreurs de la guerre,
Le Français chante, boit, et rit
Bellone va réduire en cendres
Les courtines de Philisbourg,
Par cinquante mille Alexandres,
Payés à quatre sous par jour.
Je les vois prodiguant leur vie,
Chercher ces combats meurtriers,
Couverts de fange et de lauriers
Et pleins d'honneur et de folie.
Je vois briller au milieu d'eux-
Ce fantome nommé la gloire,
A l'œil superbe, au front poudreux
Portant au cou cravate noire,
Ayant sa trompette en sa main,
Sonnant la charge et la victoire,
Et chantant quelques airs à boire,
Dont ils répètent le refrain.
O nation brillante et vaine,
Illustres fous, peuple charmant,
Que la gloire à son char enchaine,
Il est beau d'affronter gaiement
Le trèpas et le Prince Eugène.
Mais hélas ! quel sera le prix
De vos héroïques prouesses!
Le sort vous réserve à Paris
Plus de soucis que de caresses.

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LE CARDINAL DE BERNIS.

A MEMBER of the French Academy living in the eighteenth century, fond of literature, and the author of a great many light and graceful productions.

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