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soit possible, et que sa grâce ne manque pas pour l'exécuter, n'est-ce pas dire tout ensemble et en termes formels, qu'un juste manque à la grâce présente et actuellement secourante, toutes les fois qu'il transgresse le commandement ; ce qui suppose une grâce intérieure, nécessaire et donnée pour le garder, laquelle on rend inutile? D'où il suit une exclusion aussi complète qu'il soit possible, de l'erreur qu'on veut imputer aux Réflexions Morales, et au prélat qui les a approuvées.

Les ennemis de ce livre, pour avoir occasion de le calomnier, omettent toutes ces choses avec celles-ci. Ils omettent ce qu'on y ajoute dans le Lieu déjà cité (1): C'est une excellente prière que la reconnoissance pour les biens que nous avons déjà reçus, jointe à l'aveu de notre impuissance pour faire ce que Dieu demande de plus. Ils omettent encore ce qu'on répète après saint Augustin: Commandez, Seigneur, mais donnez ce que vous commandez. Par où l'auteur des Réflexions non-seulement montre, après ce saint, le remède de nos impuissances, mais encore, dans le lieu même, il le fait pratiquer par la prière. A ce prix il est bien aisé d'empoisonner un livre Empoisonplein d'onction, et le faire janséniste. Mais Dieu punira les prévaricateurs, qui, en cachant mali- et prévaricacieusement dans de tels ouvrages ce qui se peut dire de plus décisif contre les erreurs, répandent des soupçons injustes sur les pasteurs, et em

(1) Luc. 1x. 13.

neurs des

Réflexions,

teurs.

tir.

pêchent les chrétiens de profiter des réflexions les plus utiles.

Il y a des Selon cette sainte doctrine, il a fallu de temps choses que le chrétien ne en temps avertir le chrétien qu'il y a des choses peut pas : il même commandées que souvent il ne peut pas, faut l'en averafin qu'il apprenne à recourir sans cesse à la prière, par laquelle seule il peut obtenir le pouvoir, et à dire avec David: O Dieu, tirez-moi de mes impuissances: O Dieu, tirez-moi de mes malheureuses nécessités, par lesquelles je suis captif de mes passions et de la loi du péché. Par là il sait reconnoître, comme dit saint Augustin, d'où lui vient sa puissance et son impuissance: Unde possit, unde non possit (1), et sait attribuer ce qu'il ne peut pas à la langueur invétérée de notre nature; et ce qu'il peut, uniquement à la grâce médicinale que Jésus-Christ nous a apportée en venant au monde.

Chacun

tre sa foi

blesse, pourquoi.

et

C'est le fruit de cette doctrine de saint Augusdoit connoi- tin et du concile de Trente. C'est pourquoi on ne peut trop la recommander, ni aux justes, ni aux pécheurs mêmes, afin qu'ils se connoissent tels qu'ils sont, et qu'après avoir, ce semble, vainement tenté le possible et l'impossible pour se convertir, ils reconnoissent enfin qu'ils ne peuvent rien, et qu'il ne leur reste aucun recours qu'à Dieu, ni aucune espérance qu'en sa grâce, ce qui est le commencement de la guérison.

Parole ter

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Il ne faut donc pas s'étonner d'entendre dire à l'auteur des Réflexions, qu'il y a des choses, même (1) Aug. de nat. et grat. c. 43.

commandées, qu'on ne peut pas en certains momens. On écoute avec tremblement, mais avec édification tout ensemble, tout ce que JésusChrist dit à saint Pierre, quoique transporté de zèle: Vous ne pouvez pas à présent me suivre où je vais; mais vous le ferez dans la suite (1). Il croyoit s'être distingué par son ardeur d'avec les autres apôtres, à qui Jésus-Christ venoit de dire : Ce que j'ai dit aux Juifs, qu'ils ne pouvoient venir où je vais, je vous le dis présentement (2). Mais il apprit par sa chute qu'il ne faut pas disputer contre son maître, ni présumer qu'on peut tout, sous prétexte qu'on sent qu'on le veut.

En un sens S. Pierre ne

pouvoit con

Il est donc vrai, comme on sait que saint Augustin le répète cent et cent fois, il est vrai que quoi qu'il crût de lui-même, il ne pouvoit con- fesser Jésusfesser le nom de Jésus-Christ aussi courageuse- Christ. ment qu'il s'imaginoit le pouvoir. Il pouvoit bien demander la grâce; il pouvoit, en attendant plus de force, s'éloigner des occasions où il n'étoit point appelé, et n'aller pas chez le pontife, où il devoit trouver une tentation qui surpassoit sagrâce présente. Il ne faut point taire ces vérités aux fidèles, afin qu'ils sachent éviter les occasions dangereuses jusqu'à ce que la force d'en-haut leur soit donnée, comme Jésus-Christ le commanda expressément à ses apôtres (3).

(1) Joan. x111. 36. — (2) Ibid. x11. 33. — (3) Luc. XXIV.

49.

Auteur des

Réflexions

l'Ecole de S.

Thomas.

S. IX.

Doctrine de saint Augustin et de l'Ecole de saint Thomas sur le pouvoir, et qu'il y a un pouvoir qui n'est que le vouloir même.

Au reste, quand l'auteur voudroit se réduire aux sentimens de la savante école de S. Thomas, justifié par où l'on admet un pouvoir complet en ce genre, qui ne l'est pas tellement par rapport à l'acte, qu'il ne faille demander encore un autre secours, sa doctrine seroit d'autant plus irrépréhensible, que nous l'allons appuyer par celle de saint Augustin, qui reconnoît un pouvoir consistant dans le vouloir même, qu'il ne faut pas laisser ignorer aux chrétiens.

Pouvoir qui

vouloir.

Il faut donc encore leur montrer un autre seest le parfait cret de la grâce, et un autre effet de la volonté. C'est que la grâce peut seule donner un certain pouvoir, qui manque par conséquent à tous ceux qui ne veulent pas se soumettre à Dieu, conformément à cette parole de saint Jean : Les Juifs ne pouvoient pas croire (1); et à cette interprétation de saint Augustin: Pourquoi ne le pouvoient-ils pas? La réponse est prompte : C'est parce qu'ils ne le vouloient pas (2). A quoi revient cette autre parole de notre Seigneur : Comment pouvez-vous croire, vous qui recevez la gloire qui vient les uns des autres, et ne cherchez pas la gloire qui vient de Dieu (3)? Où il ne faut (2) Tract. 53. in Joan. n. 6. — (3) Joan.

(1) Joan. XII. 39. 2.44.

point

point entendre une autre impuissance que celle qui est attachée au seul manquement de volonté.

Ainsi, dans les grandes passions d'amour ou de haine, un homme sollicité de ne voir plus un objet qu'il aime trop, ou de voir un ennemi qui lui déplaît, vous répond cent et cent fois, qu'il ne le peut par où vous n'entendez pas dans son libre arbitre une véritable impuissance, mais un manquement de courage, qui fait dire qu'on ne peut pas ce qu'on ne veut pas entreprendre avec tout l'effort qu'il y faudroit employer pour vaincre son inclination. Tout le monde sait à ce propos ce passage des confessions de saint Augustin: « On ne va pas à Dieu avec des pas, mais avec » des désirs: et y aller, c'est le vouloir; mais c'est » le vouloir fortement, et non pas tourner et » agiter de-çà et de-là une volonté languissante » : Non solum ire, verùm etiam pervenire illuc, nihil erat aliud quàm velle, sed velle fortiter et integrè, non semisauciam hàc atque hac versare et jactare voluntatem (1). De cette façon, si l'on ne se porte à une pratique aussi laborieuse que celle de la vertu avec une volonté courageuse et forte, on tombe dans une espèce d'impuissance, qui foin d'excuser, n'est que la conviction de la lâcheté.

C'est aussi selon ce principe que saint Augus tin détermine dans le livre de la Correction et de la Grâce, que la volonté des justes est tellement enflammée par la grâce, qu'ils peuvent accomplir (le commandement) et persévérer dans

(1) Confess. lib. vin. c. 8.

BOSSUET. IV.

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