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nuit et jour avec une vive, mais douce sollicitude, de nous préserver, lui qui le peut seul, d'un si grand mal.

EXTRAIT DE L'ORDONNANCE

ET INSTRUCTION PASTORALE

De Monseigneur le cardinal de Noailles, archevêque de Paris, du 20 août 1696, dont il est parlé en plusieurs endroits de cet écrit de M. l'évêque de Meaux.

Il n'y a point de chrétien qui ne soit obligé de reconnoître, que nous ne pouvons rien pour le salut dans la grâce de Jésus-Christ. Les bonnes pensées, les saintes actions, tout don parfait vient d'en-haut, et descend du père des lumières (1). C'est Dieu qui opère en nous le vouloir et le faire (2), selon la doctrine expresse de l'apôtre saint Paul. Il faut donc nous humilier dans la vue de notre impuissance, et nous relever en même temps par la considération de la bonté toute-puissante de Jésus-Christ. Quelque foibles que nous soyons par nous-mêmes, et quelque perfection que Dieu nous demande, il ne nous commande rien d'impossible: mais en nous faisant le commandement, il nous avertit de faire ce que

(1) Jac. 1. 17. — (2) Phil. 11. 13.

nous pouvons, et de demander ce que nous ne pouvons pas, et il nous aide afin que nous le puissions (1). Que celui donc qui a besoin de sagesse, ne l'attende pas de soi-même, comme faisoient les philosophes orgueilleux : mais qu'il la demande à Dieu, comme ont toujours fait les humbles enfans de l'Eglise.

Cette sage et pieuse mère, conduite par le saint Esprit, nous apprend par ses prières, formées sur le modèle de l'oraison dominicale, la nécessité de la grâce et le moyen de l'obtenir. Ç'a été en cette matière dès les premiers temps une règle invariable des saints Pères, que la loi de la prière établit celle de la foi, et que pour bien entendre ce que l'on croit, il n'y a qu'à remarquer ce que l'on demande, ut legem cre dendi, lex statuat supplicandi (2). On demande à Dieu au saint autel, non-seulement que les infidèles puissent croire, les pécheurs se convertir, et les bons persévérer dans la justice; mais encore que les premiers reviennent effectivement de leurs erreurs, que le remède de la pénitence soit appliqué aux seconds, et que les derniers conservent jusqu'à la fin la grâce qu'ils ont reçue. Ce n'est donc pas le seul pouvoir, mais encore l'effet que l'on demande, et pour montrer qu'on ne le fait pas inutilement, lorsque ces saintes prières sont suivies d'un bon succès, on ne man

(1) Conc. Trid. 1. Sess. 6. cap. 11. (2) Auctoritates Sedis Apostolica post Epistolam Cœlestini papæ ad Episc. Gallia Concil. tom. II.

que point d'en rendre grâces à Dieu avec une particulière reconnoissance.

Aussi le Maître céleste, quand ses apôtres le supplient de leur enseigner à prier Dieu, voulant instruire toute l'Eglise en leur personne, nous apprend à lui demander que son nom soit en effet sanctifié en nous par notre bonne vie, que son règne à qui tout est soumis arrive bientôt, que sa volonté s'accomplisse en nous comme dans le ciel, et que notre pain de tous les jours, c'est-à-dire, la nourriture nécessaire aux esprits et aux corps, nous soit donnée par sa libéralité.

Comme nous lui demandons les biens dont nous avons besoin, nous le prions pareillement de nous délivrer des maux que nous devons craindre: nous le conjurons de ne nous pas laisser succomber à la tentation, et de nous délivrer du mal; c'est-à-dire, de nous défendre à jamais du péché, qui est le seul mal véritable et la source de tous les autres. Cette délivrance emporte avec soi la persévérance finale, et l'Eglise s'en explique ainsi dans cette prière qu'elle fait faire à tous ses ministres, et qu'elle propose à tous les fidèles dans la communion: Faites, Seigneur, que je demeure toujours attaché à vos commandemens, et ne souffrez pas que je sois jamais séparé de

vous.

L'Orient conspire avec l'Occident dans ces demandes, et il y a plus de mille ans que les défenseurs de la grâce (1) ont rapporté cette prière

(1) Pet. Diac. ad S. Fulg. de Incarn. et gratiá Christi.

de

Faites

de la liturgie attribuée à saint Basile bons les méchans, conservez les bons dans la piété; car vous pouvez tout, et rien ne vous contredit; vous sauvez quand vous voulez, et il n'y a personne qui résiste à votre volonté.

C'est cette toute-puissance de la volonté de Dieu, opérante en nous, qui a encore formé cette oraison du sacrifice, forcez nos volontés méme rebelles de se rendre à vous. Non que nous soyons justifiés et sauvés malgré nous; mais parce que Dieu rend nos volontés soumises de rebelles qu'elles étoient, et qu'il leur fait aimer ce qu'elles haïssoient auparavant. En faisant passer la volonté du mal au bien, selon l'expression de saint Bernard, il ne force pas la liberté, mais il la redresse et la perfectionne. C'est le Seigneur qui dirige les pas de l'homme; mais c'est en faisant que l'homme entre librement dans sa voie. Apud Dominum gressus hominis dirigeret viam ejus volet (1). C'est Dieu qui tire l'ame après lui; mais c'est en faisant qu'elle suive cet attrait avec toute la liberté de son choix.

Qu'on ne s'imagine donc pas que la puissance de la grâce détruise la liberté de l'homme, ou que la liberté de l'homme affoiblisse la puissance de la grâce. Peut-on croire qu'il soit difficile à Dieu qui a fait l'homme libre, de le faire agir librement, et de le mettre en état de choisir ce qu'il lui plaît? L'Ecriture, la tradition, la raison même nous enseignent que toute la force que

(1) Ps. XXXVI. 23.

BOSSUET. IV.

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nous avons pour faire le bien, vient de Dieu, et notre propre expérience nous fait sentir que nous ne pouvons que trop nous empêcher de faire le bien si nous voulons. Il n'arrive même que trop souvent que nous résistons actuellement aux grâces que Dieu nous donne, et que nous les recevons en vain (1). Mais quelque pouvoir que nous sentions en nous de refuser notre consentement à la grâce, même la plus efficace, la foi nous apprend que Dieu est tout-puissant, et qu'ainsi il peut faire ce qu'il veut de notre volonté, et par notre volonté. Quand donc il plaît à la miséricorde toute-puissante de Jésus-Christ de nous appeler de cette vocation que saint Paul nomme, selon son propos (2), c'est-à-dire, selon son décret, les morts même entendent sa voix, et la suivent. Les liens par lesquels sa grâce nous attire, nous paroissent aussi doux, et aussi aimables que les chaînes du péché nous deviennent pesantes et honteuses, et la suavité du saint Esprit fait que ce qui nous porte à l'observance de la loi, nous plait davantage que ce qui nous en éloigne (5).

Par-là nous pouvons entendre en quelque manière comment la grâce s'accorde avec le libre arbitre, et comment le libre arbitre coopère avec la grâce. La grâce excite la volonté, dit saint Bernard, en lui inspirant de bonnes pensées; elle la guérit en changeant ses affections; elle la fortifie en la portant aux bonnes actions, et la vo

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