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SUR LE DESSEIN ET LE CARACTÈRE

DU TRADUCTEUR.

REMARQUES

SUR SON OUVRAGE EN GÉNÉRAL,

Où l'on découvre ses auteurs, et son penchant vers les interprètes les plus dangereux.

I. Dessein de

ces remar

rales.

PUISQUE nous voyons paroître, contre notre attente, et malgré nos précautions, la traduction et les notes d'un auteur, dont la critique hardie, ques généet les interprétations nouvelles et dangereuses rendent la doctrine suspecte, il faut pour en prévenir les mauvais effets, donner d'abord quelque idée de l'ouvrage dont nous nous plaignons. Nous commençons par la préface, comme par l'endroit où les auteurs font le mieux sentir leur esprit et leur dessein. Mais avant que d'entrer dans cet examen, comme le public a été surpris de certaines traductions et explications extraordinaires, qu'on trouve répandues dans le livre, il ne sera pas inutile d'en découvrir les auteurs cachés.

II.

Il ne me seroit jamais entré dans la pensée, Explication que le Fils de l'homme dans la bouche de Jésus- extraordinai Christ, fût un autre que Jésus-Christ même, qui re d'un passage où le Fils pour honorer la nature que le Verbe s'est unie, de l'homme

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est déclaré se vouloit caractériser par le titre qui le rapmaître du proche de nous. Cependant le traducteur met la

sabbat.

:

chose en doute; et après la décision de l'Evangile, il demande encore avec la troupe des Juifs infidèles : Qui est ce Fils de l'homme? Quis est iste Filius hominis? Jean, XII. 34. Car dans la note sur ces paroles: Le Fils de l'homme est maître même du sabbat, Matt. XII. 8. Luc, vi. 5. il traduit autrement, l'homme; et il ajoute : Il semble que le Fils de l'homme ne soit pas seulement Jésus-Christ, mais encore l'homme en général, qui par ce moyen deviendra maître de toute la loi en le devenant du sabbat. Il est bien certain que le traducteur ne trouve rien dans l'Evangile qui appuie ce sens, ni aucun texte où le Fils de l'homme soit un autre que Jésus-Christ; il ne cite aucun auteur ecclésiastique pour une interprétation si bizarre et si inouie; au contraire tout s'y oppose: mais il lui suffit d'avoir pour lui Crellius et Volzogue, sociniens (1); le premier propose comme recevables les deux explications, et nommément celle qui dit, que par le mot de Fils de l'homme, il faut entendre, tout homme, ou le genre humain en général : quemvis hominem vel genus humanum generatim. Pour Volzogue, il dit nettement et sans hésiter, que Jésus-Christ n'a voulu dire autre chose, sinon que tout homme est maître du sabbat : Nihil aliud dicere voluit quàm quemvis hominem esse dominum sabbati. Notre auteur n'a pas craint

(1) Crell. tom. 11. p. 325. resp. ad 5. q. Volzog. Comm. in Matt. XII. tom. 1. p. 325.

d'emprunter de ces hérétiques une doctrine qui affoiblit l'autorité de Jésus-Christ, comme étant en égalité avec son Père, le souverain arbitre de la religion.

Le traducteur s'appuie sur saint Marc, 11. 27. où Jésus-Christ dit, que le sabbat est fait pour l'homme, etc., ce que nous examinerons en son lieu; il nous suffit à présent de remarquer que ce sont encore les mêmes auteurs sociniens (1) qui lui ont fourni cette preuve comme le reste de la doctrine.

III.

Autre pas

Sur ces mots de l'évangile de S. Luc, chap. XIII. *. 27. Discedite à me omnes operarii iniquitatis; sage de l'Eil traduit: Vous tous qui vivez dans l'iniquité. vangile traIl faut ici se rendre attentif à une finesse soci- duit et expliqué selon des nienne : c'est une doctrine de cette secte, qu'on principes ern'est damné que pour les péchés d'habitude: elle ronés. est réfutée par ce passage, en traduisant naturellement: retirez-vous, vous qui commettez l'iniquité; ou comme le Père Bouhours a exactement et élégamment traduit; retirez-vous, vous qui faites des œuvres d'iniquité (2). On en élude la force, en traduisant : vous qui vivez; et encore plus en exprimant dans la note, que cela marque une habitude dans le vice; c'est aussi l'explication de Volzogue, socinien (3), qui parle ainsi sur ce passage: Per operationem iniquitatis non unus tantùm aut alter actus intelligitur, sed habitus et consuetudo totius vita; c'est-à-dire, par opérer

(1) Crell. tom. 11. p. 325. resp. ad 5. q. Volzog. Comm. in Matt. XII. tom. 1. p. 325. — (2) Matt. v11. 23. Luc. X111, 27. (3) Volz. Comm. in Luc. hic.

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l'iniquité, il ne faut pas entendre un ou deux actes, mais la coutume, et l'habitude de toute la vie : ce qui revient au qui vivez du traducteur. II ne lui sert de rien d'avoir suivi quelques catholiques, qui n'ont pas vu cette conséquence si favorable aux plus grands crimes s'ils n'étoient pas d'habitude; puisque sa note le convainc de l'avoir vue le lecteur est invité à s'en souvenir; le traducteur en a fait la remarque, il l'a exprimée; et c'est de dessein formé qu'il a tourné le passage de la manière la plus convenable à y

donner lieu.

C'est une semblable affectation qui fait traduire ces paroles de saint Jean. xv. y. 5. Sine me nihil potestis facere: vous ne pouvez rien faire étant séparés de moi; et ajouter cette note: Sans moi, c'est-à-dire, séparément de moi, comme le mot grec le marque. Quel inconvénient y avoit-il à traduire avec tous les Pères, selon la Vulgate : Vous ne pouvez rien faire sans moi? Mais le traducteur leur a préféré Slichtingius, qui explique ainsi dans son commentaire sur saint Jean (hic) sine me, id est, à me separati per apostasiam seu defectionem. Il a plu à ce socinien de réduire le besoin qu'on a de JésusChrist à une simple obligation de ne pas apostasier, sans au reste tirer de lui aucun secours par son influence intérieure et particulière; et le traducteur a voulu suivre cette explication jusqu'à l'insérer dans son texte; ce que le socinien n'avoit pas osé.

On a vu qu'il s'appuie du grec, et sur le terme

grec.

1

zwpis : vain rafinement; puisque lui-même il a traduit dans saint Jean. 1. 3, rien n'a été fait sans lui: aux Hébreux. x1. 16. Sans la foi, il est impossible de plaire à Dieu; et ainsi dans les

autres endroits où l'Ecriture s'est servie du même

mot grec.

VI. Passage de

se la version

du traduc

Si l'on vouloit donner un exemple d'une traduction téméraire, pour ne rien dire de plus, la s. Paul, j'ai première qui se présenteroit à la pensée seroit haï Esaï : celle-ci : J'ai plus aimé Jacob qu'Esaü; au lieu d'où est pride traduire : J'ai aimé Jacob et j'ai haï Esai, comme porte le texte grec, aussi bien teur. celui que de la Vulgate Rom. ix. 13. Le traducteur leur a préféré Episcopius: odio habui, dit-il (1), id est minus dilexi, nec tot beneficiis affeci: je l'ai haï; c'est-à-dire, je l'ai moins aimé, et je ne T'ai pas gratifié de tant de bienfaits. Ainsi la traduction est dictée de mot à mot par le grand docteur des sociniens, avec cette seule différence, que le socinien en a fait sa note, et que l'autre l'a insérée dans le texte même. On sait au reste

que les sociniens ont leurs raisons, pour effacer la haine de Dieu contre Esau, qui suppose lé péché originel; et le traducteur a mieux aimé les favoriser que de s'attacher à son texte.

VII.

Autre pas

traducteur ôte le terme

Il n'est pas plus excusable d'avoir traduit dans saint Luc. XIV. 26. Si quelqu'un vient à moi, et sage où le qu'il aime son père et sa mère, sa femme, ses fils, ses frères, ses sœurs, et même sa propre hair: force personne plus que moi, il ne peut être mon dis- de ce terme. ciple au lieu de mettre haïr, comme il est écrit

(1) Episc. obs. in Rom. 9. v. 13. p. 402.

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