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nitions, Grotius conclut qu'on ne doit point confondre le droit naturel et le droit des gens. Le droit des gens se fonde sur les convenances des nations, sur les règles établies pour l'utilité et la convenance, non d'un État ou d'une nation particulière, mais de

toutes les nations.

Ces principes ainsi posés inspirent à Wheaton les réflexions suivantes «Tous les raisonnements de Grotius s'appuient sur la distinction qu'il établit entre le droit des gens naturel et le droit des gens positif ou volontaire. Il déduit le premier élément du droit des gens de la supposition d'une société où les hommes vivent dans ce qu'on appelle l'état de nature; cette société naturelle n'a d'autre supérieur que Dieu, d'autre loi que la loi divine gravée dans le cœur de l'homme et annoncée par la voix de la conscience. Les nations qui vivent entre elles dans une pareille situation d'indépendance mutuelle doivent être régies par cette même loi. Afin de démontrer l'exactitude de sa définition du droit naturel, qui est quelque peu confuse, Grotius fait preuve d'une vaste érudition et nous indique toutes les sources où il a puisé. Ensuite il a basé le droit des gens positif ou volontaire sur le consentement de toutes les nations ou de la plus grande partie d'entre elles à observer certaines règles de conduite dans leurs relations réciproques, et il s'est efforcé de démontrer l'existence de ces règles en invoquant les mêmes autorités que pour sa définition du droit naturel. C'est sur ces deux fictions ou hypothèses de l'état de nature et du consentement général des États que repose toute la doctrine soutenue par Grotius. »>

M. Mancini (1) apprécie ainsi les doctrines de Grotius : « On ne peut dénier à l'illustre publiciste hollandais un grand mérite pour ce qu'il a fait à l'égard de la science du droit international, celui de l'avoir liée étroitement et indissolublement au droit naturel, d'en avoir élargi la sphère et édifié l'ordre organique en prenant pour guide l'Italien Albert Gentilis, qui possédait une intelligence plus forte et plus libérale que la sienne, d'avoir enfin contribué, par la puissance et l'autorité de sa parole, à introduire dans les pratiques de la guerre une série d'adoucissements humains (bien qu'il ne les ait recommandés que comme un devoir de morale et de conscience). Mais l'inexactitude de ses principes scientifiques, la sanction donnée par lui dans les limites du droit strict aux abus de la force

(1) Mancini, Discorso per l'inaugurazione degli studi nell' Università di Roma, 1874, p. 29.

invétérés et en pratique jusqu'à son époque, et l'importance de sa théorie juridique fondée sur le consentement, ont engendré les erreurs dans lesquelles, à l'ombre et sous l'autorité de son nom, la science s'est fourvoyée pendant les siècles suivants : c'est ce qui explique la faveur immense et continue que les hommes au pouvoir n'ont pas dédaigné d'accorder aux travaux de Grotius et de ses disciples. >>

Après Gentilis et Grotius la science du droit des gens est entrée dans le domaine de l'activité intellectuelle; mais, pour en assurer les progrès, il s'agissait d'aplanir la voie; après avoir démoli, il s'agissait de reconstruire.

Parmi les écrivains qui ont pris part à cette grande œuvre, nous devons citer en première ligne Hobbes, Puffendorf, Bynkershoek, Leibnitz, Wolff.

§ 11. L'Anglais Hobbes, dans son livre De cive (Du citoyen), publié en 1647, considère le droit des gens comme le droit naturel des individus appliqué aux États. « Les maximes de l'un et de l'autre, dit-il, sont les mêmes; mais, comme les États ont une existence individuelle qui leur est propre, la loi, qu'on nomme naturelle quand elle s'applique aux individus, s'appelle droit des gens quand elle s'applique aux nations, aux gens (gentibus) (1). »

Système de Hobbes.

Puffendorf.

§ 12. Puffendorf, dans son ouvrage De jure naturæ et gentium Système de (Du droit naturel et des gens) paru en 1672, n'admet pas l'existence. d'un droit des gens positif différent et distinct du droit naturel. A ses yeux, tous les droits internationaux s'appuient également sur le droit naturel; les privilèges mêmes des ambassadeurs n'ont pas d'autre origine. Le grand inconvénient de cette doctrine, c'est la confusion presque inévitable qu'elle amène entre la morale et le droit, confusion qui a même entraîné les disciples de cette école à envisager le droit international comme faisant partie des sciences morales.

Bynkershoek.

§ 13. Bynkershoek fait dériver le droit des gens de la raison et Système de des usages consacrés par les traités et les ordonnances. « Les jurisconsultes anciens, dit-il, affirment que le droit des gens est considéré par toutes les nations civilisées comme étant conforme aux lois de la raison. On peut sans danger adopter cette définition, qui établit deux fondements du droit international: la raison et l'usage. Mais, quelle que soit la définition qu'on adopte à ce sujet et quelques discussions qu'elle soulève, il faudra néanmoins reconnaître

(1) Hobbes, De Cive, cap. 14, no 4.

Système de
Leibnitz.

que ce que la raison dicte aux nations et que ces nations établissent dans leurs relations réciproques est le seul élément constitutif du droit unique de ceux qui n'obéissent à aucune autre loi. Si tous les hommes font usage de leur raison, ils doivent observer certaines règles et certains principes communs, qui, sanctionnés par l'usage, imposent aux peuples des obligations réciproques. S'il n'en était pas ainsi, on ne pourrait comprendre ni la guerre, ni la paix, ni les alliances, ni les ambassades, ni le commerce. Ce qui est consacré par l'usage devra toujours servir à résoudre les questions, parce que c'est par cet usage que se forme le droit des gens. » Il est plus explicite dans le paragraphe suivant : « Il est certain qu'en vertu du droit des gens, et, comme l'ont soutenu les États-Géné– raux (Hollande) dans un mémoire qu'ils ont publié en 1651, un ambassadeur, alors même qu'il serait coupable, ne peut être arrêté, parce que l'équité exige qu'il en soit ainsi, à moins de déclarations préalables contraires. Le droit des gens est une présomption fondée sur la coutume, et la présomption n'a plus de force du moment où une volonté contraire a été manifestée à temps. Voilà pourquoi, en ce qui concerne les privilèges des ambassadeurs, je crois qu'il n'en est pas un dont ils puissent jouir, si l'on a déclaré préalablement que ces privilèges ne leur seraient pas accordés. Une volonté expresse déroge à la volonté tacite contraire. Les principes du droit des gens s'appliquent seulement à ceux qui y consentent par un accord tacite. » Cette doctrine de Bynkershoek, qui sanctionne l'absolutisme complet des États, donne au droit international une basse aussi mobileque le caprice ou la volonté d'un souverain; et si l'on en faisait l'application, tout, dans la sphère des relations de peuple à peuple, serait à la fois juste et injuste, légitime et illégitime.

§ 14. Leibnitz est plutôt un philosophe qu'un juriste. Cependant il a, en 1693, publié, sous le titre de Codex juris gentium diplomaticus (Code diplomatique du droit des gens), un véritable traité de droit international, dans lequel il trace à grands traits les rapports qui existent entre le droit des gens primif et celui qui est accepté comme règle pratique de la conduite des Etats. Il établit trois catégories d'obligations internationales correspondant aux trois degrés de la justice, savoir les obligations de droit strict, desquelles découle une action juridique entre les Etats; les obligations qui naissent de l'équité, et dont l'accomplissement ne peut être réclamé comme un droit; et les obligations qui dérivent de la justice universelle, dont il faut chercher les préceptes en dehors de l'humanité

Wolff,

§ 15. Pour trouver un système de droit international plus ration- Système de nel et plus complet, il faut consulter Wolff, le maître de Vattel. Voici, en effet, de quelle manière le philosophe de Halle, dans son Jus naturæ methodo scientifico pertractatum (Le droit naturel traité par la méthode scientifique), publié de 1740 à 1743, s'exprime sur le caractère, les fondements et la signification du droit des gens: <«< Comme les nations ne reconnaissent entre elles d'autre droit que celui établi par la nature, il semblera peut-être superflu de donner un traité de droit des gens différent du droit naturel; mais ceux qui sont de cet avis n'ont examiné la question que d'une manière très superficielle. Il est clair qu'on ne peut considérer les peuples que comme autant d'individus particuliers vivant dans l'état de nature... C'est pour cette raison que l'on doit appliquer aux nations les droits et les devoirs que la nature attribue et prescrit à tous les hommes libres et unis les uns aux autres par les liens de cette même nature. Cependant les nations et les États souverains sont des personnes morales et assujettis aux obligations et aux droits qui résultent du droit naturel, de l'acte d'association qui a servi à former le corps politique. La nature et l'espèce de ces personnes morales diffèrent nécessairement et sous plusieurs points de vue de la nature et de l'essence des individus physiques, c'est-à-dire des hommes qui les composent. Ainsi, lorsqu'on veut appliquer aux nations les devoirs que la loi naturelle prescrit à chaque homme en particulier et les droits qu'elle lui accorde, il sera nécessaire de modifier ces droits et ces devoirs selon la nature distincte des individus auxquels ils s'appliquent. Cela prouve que le droit des gens n'est pas le même que le droit naturel qui régit les actions des particuliers. Pouquoi donc alors ne pas le traiter séparément, comme un droit propre des nations?

Wolff a divisé le droit des gens en droit volontaire, fondé sur le consentement présumé des nations; en droit conventionel, basé sur le consentement exprès; et en droit coutumier, qui s'appuie sur le consentement tacite. Selon cet auteur, le fondement du droit des gens volontaire est la grande république des nations, établie par la nature elle-même et dont tous les États font partie.

Vattel.

§ 16. Le système de Vattel diffère de celui de son maître par les système de principes qu'il donne pour fondement au droit international et qui impriment ainsi à son œuvre un caractère tout nouveau. Il n'admet pas la déduction que Wolff a tirée du droit des gens volontaire. « Wolff, dit-il, fait dériver ce droit d'une sorte de grande république (civitatis maxima) instituée par la nature elle-même et dont toutes

les nations du monde sont les membres. Selon cet auteur, le droit des gens volontaire serait comme le droit civil de cette grande république. Cette idée ne me satisfait pas, et en outre, la fiction de la grande république ne me paraît ni assurée ni assez solide pour la donner comme fondement aux règles d'un droit des gens universel, admis nécessairement par tous les États souverains. Quant à moi, je ne reconnais entre les nations d'autre société naturelle que celle que la nature a établie entre tous les hommes. Il y a pour les sociétés civiles (civitates) une chose essentielle : c'est que chaque membre de ces sociétés cède au corps social une partie de ses droits, et qu'il y ait un pouvoir capable de commander à tous les individus, de leur dicter des lois, et de contraindre ceux qui se refuseraient à lui obéir. Or on ne peut admettre l'existence d'un semblable ordre de choses entre les nations. Chaque État se considère comme souverain, et il est, en effet, indépendant de tous les autres. Selon Wolff, les États doivent être considérés comme autant d'individus libres, qui vivent ensemble à l'état de nature et ne reconnaissent d'autre loi que celle de la nature ou de son créateur. Il est certain que la nature a établi une société générale entre tous les hommes, lorsqu'elle les a formés de telle sorte que pour vivre à l'état d'hommes ils doivent avoir recours à leurs semblables; mais elle ne leur a pas imposé d'une manière absolue l'obligation de s'unir en société civile proprement dite; et si tous les hommes respectaient les lois de cette bonne mère, une telle société deviendrait inutile. »

Cette négation de la société civile est immédiatement atténuée par ce qui suit : « Le pouvoir de chaque individu est tellement insignifiant, que les hommes ne pourraient presque pas exister sans la protection et sans les lois de la société civile. » Quoi qu'il en soit, le principe antérieur est un de ceux qui prédominent dans le livre du publiciste de Neufchâtel, qui en tire des conséquences très importantes.

Après avoir établi cette différence entre sa doctrine et celle de Wolff, Vattel admet que les États ne peuvent se comparer aux individus, quoiqu'il suffise de la loi naturelle pour fixer leurs relations; que ces relations sont d'un autre genre que celles des particuliers; en un mot, que les nations dans leurs relations réciproques sont absolues et indépendantes, sans cesser pour cela d'être assujetties. aux principes du droit naturel qui régit les individus en particulier. A l'aide de ces principes généraux, Vattel résout toutes les questions fondamentales du droit des gens, qui n'est pour lui que l'applica

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