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faits. Le gouvernement d'un Etat, en tant que produit et instrument de la souveraineté du pays, peut entretenir deux sortes de relations fondamentales: les unes de droit public interne, c'est-à-dire celles qu'il entretient au point de vue politique avec les citoyens ou sujets placés sous son action: les autres, de droit public externe, ou de droit international, qui embrassent tout ce qui concerne ses rapports avec les autres Etats. Les relations de droit international s'étendent depuis les représentants ou dépositaires du pouvoir suprême d'une nation jusqu'aux corporations, aux sociétés publiques et aux simples particuliers. Et comme chez certains peuples le gouvernement est absolu et s'identifie avec la personne qui l'exerce, les publicistes ont été conduits à employer comme synonymes les mots État et souverain, en attribuant aux monarques le droit de régler les relations internationales de leurs peuples.

Le pouvoir qui appartient à toute nation de déterminer sa manière d'être, de formuler ses conditions de droit, en un mot de constituer l'État et le gouvernement selon l'idée qu'elle représente ou le but humain qu'elle poursuit, forme ce qu'on a désigné par les termes de souveraineté de la nation. Suivant Vattel, qui a donné une grande extension à sa définition, toute nation qui se gouverne elle-même, sous quelque forme que ce soit, pourvu qu'elle reste indépendante de tout peuple étranger, est un État souverain. A nos yeux le caractère essentiel de la souveraineté d'un État, ne repose pas sur son plus ou moins de dépendance d'un autre État, mais bien sur la faculté qu'il a de se donner une constitution, de fixer ses lois, d'établir son gouvernement, etc., sans l'intervention d'aucune nation étrangère. Cette souveraineté pourrait d'ailleurs se modifier, se déterminer en quelque sorte par des conventions et des traités, sans que pour cela on fùt fondé à soutenir que cette souveraineté s'est perdue complètement. Du reste, Vattel lui-même applique un correctif à sa définition, lorsqu'il dit que pour qu'une nation puisse figurer dans la grande société soumise au droit des gens, il faut que cette nation soit véritablement souveraine et indépendante, c'est-àdire « qu'elle se gouverne elle-même par sa propre autorité et par ses propres lois. >>

Mais le caractère d'un État peut être affecté légalement par sa liaison avec d'autres, et sa souveraineté peut être considérée comme altérée ou comme entièrement détruite, selon la nature du pacte, le degré d'influence exercée par le supérieur, et l'obéissance reconnue ou rendue par l'inférieur; peu importe qu'une telle situation résulte d'une organisation politique ou de traités d'alliance inégale

La ville de
Cracovie.

Paiement

etc.

et de protection. Si un État, de l'une ou l'autre de ces manières, abandonne ses droits de négocier et de conclure des traités, et perd ses attributs essentiels d'indépendance, il ne peut plus être regardé comme un État souverain ou comme un membre de la grande famille des nations. Son status légal n'est pas changé par une perte de pouvoir relatif, mais par une perte des attributs essentiels d'indépendance et de souveraineté, c'est-à-dire le droit d'exercer sa volonté et la capacité de contracter des obligations.

La dépendance d'un État à l'égard d'un autre est donc bien une limite imposée à sa souveraineté; cependant elle n'en est pas la négation absolue. Si cette dépendance était telle qu'elle assujettît complètement l'État subordonné et le privât de tout droits souverains, il faudrait nécessairement que les traités desquels découlerait cette dépendance déterminassent directement ou indirectement la nature et l'étendue des relations internationales que cet État pourrait continuer à entretenir.

§ 42. On ne considère pas non plus comme incompatible avec la souveraineté d'un État l'obéissance transitoire qu'il doit aux ordres d'un autre gouvernement, ou l'influence extérieure à laquelle il peut éventuellement se soumettre. Ainsi, par exemple, la ville de Cracovie fut reconnue en 1815 par le congrès de Vienne comme un État libre, indépendant et neutre, sous la protection de la Russie, de l'Autriche et de la Prusse. Malgré la puissante influence que ces trois protecteurs furent ainsi appelés à exercer sur cet État, Cracovie ne cessa d'être considérée comme nation indépendante dans ses relations internationales jusqu'en 1846, époque à laquelle elle a été incorporée à l'empire d'Autriche; aussi cette incorporation motiva-t-elle de la part de l'Angleterre, de la France et de la Suède une protestation fondée sur la violation des traités de 1815 (1).

§ 43. La souveraineté d'un État dans ses relations internatiod'un tribut, nales n'est pas modifiée davantage par le paiement d'un tribut, ou par une dépendance féodale nominale, telle qu'était, par exemple, celle dans laquelle avant 1818 le royaume de Naples se trouvait placé à l'égard du Saint-Siége.

Le paiement d'un tribut n'a aucune relation avec la souveraineté et ne peut y apporter de modification dans sa signification internationale. Ainsi, entre autres exemples, que pouvaient avoir de commun

(1) Martens-Murhard, t. IX, p. 374; t. X, pp. 1, 107, 116; Angeberg, Le congrés, p. 1832; Angeberg, Pologne, pp. 1047, 1050, 1054, 1062; State papers, 1846-1847, p. 1042.

avec la souveraineté des États maritimes de l'Europe les tributs que ces États ont, durant plusieurs siècles, jusqu'en 1830, payés aux États barbaresques? Les conditions que la Porte imposa en 1862 à la principauté de Monténégro sont d'une toute autre nature, puisqu'elles concédaient à la Turquie le droit de passage sur le territoire monténégrin et donnaient au sultan le droit de domaine éminent sur ce même territoire *.

Union de différents Etats: ses

$ 44. L'union de deux ou de plusieurs États, comme conséquence d'un pacte ou d'une convention, est un fait très fréquentets internadans l'histoire des nations.

Pour déterminer si les États qui s'unissent conservent ou non leur souveraineté individuelle et les relations internationales qui s'y rattachent, il est nécessaire d'examiner les conditions générales qui servent de base à l'union contractée. Si les États qui s'associent créent un nouveau pouvoir national, un État nouveau dont chacun d'eux n'est qu'un élément constitutif, il est indubitable que ces États auront perdu leur souveraineté extérieure individuelle, bien qu'ils aient conservé réciproquement la plupart de leurs droits essentiels. Si ces Etats ne constituent pas un nouveau pouvoir central, une nouvelle nationalité, ils conservent forcément leur ancienne considération internationale.

L'Union des Etats soulève de nombreuses et importantes questions. Ainsi ils peuvent s'unir, soit par une union personnelle ou réelle sous un même souverain, soit par incorporation ou par pacte fédéral: ils peuvent encore constituer une confédération ou un Etat composé. Dans ces diverses hypothèses leurs conditions internationales éprouvent de graves changements.

L'histoire offrant des exemples remarquables d'unions et de confédérations de peuples, nous allons exposer ici les conséquences les plus essentielles qu'ont ces unions relativement à la souveraineté extérieure des nations **.

* Wheaton, Elém, pte. 1, ch. 2, §§ 12, 13, 14; Grotius, Le droit, liv. 1 ch. 3, §§ 7, 21-23; Vattel, Le droit, liv. 1, ch. 1, §§ 4-8; Bynkershoek, Quæst, lib. 1 cap. 17; Heffter, § 18, 19; Martens, Précis, §§ 16-20; Klüber, Droit, §§ 21, 24, 29, 33; Phillimore, Com., vol, 1, § 77; Halleck, ch. 3, §§ 2, 5-7; Twiss, Peace, $$ 31 et seq.; Klüber, Acten, Bd. V. § 138; Fiore t I. pp. 134 et seq.; Garden, Traité, t. I. pp. 109, 110; Bowyer, ch. 19; Riquelme, lib. 1, tit. 1 sec. 1 cap.5; Ortolan, Règles, liv. 1, ch, 2, ; Lawrence, Com., pte. 1, ch. 2 §§ 12-14; Pinheiro Ferreira, Vattel, liv. 1, ch. 1, §§ 4, 8; PradierFodéré, Fiore, t. 1, p. 134; Bluntschli, Théorie générale de l'Etat, p. 434,et seq; Dudley-Field, Projet de code, p. 8, § 12.

Grotius, Le droit, liv. II, ch. Ix, §§ 8, 9; Twiss, Peace, $$ 37 et seq. ; Wheaton, Elém., pte 1, ch. 11, §§ 15, 16; Martens, Précis, § 29; Ortolan,

tionaux.

Union personnelle sous verain: Suède

§ 45. L'union personnelle d'États différents sous un même souun même sou verain n'entraîne pas l'extinction de la souveraineté individuelle des et Norwège, États qui l'ont formée, pourvu que ces États l'aient réalisée selon les principes de l'égalité complète de droits. Dans les mêmes conditions, l'union réelle produit des conséquences identiques.

canton de

Neuchatel,

Irlande.

Le roi des Belges, chef

dépendant du Congo.

Les royaumes de Suède et de Norwège sont unis sous une même dynastie; mais ils ont une constitution, des lois, une administration distinctes, ce qui n'empêche pas que dans leurs relations internationales ils doivent être représentés par un seul et même souverain, le roi de Suède et de Norwège.

Le canton suisse de Neufchâtel a fait longtemps partie de la fédération helvétique, tout en ayant pour souverain le roi de Prusse, mais sans pour cela, se considérer comme incorporé au grand royaume du Nord. Il en était de même, à une autre époque, des royaumes d'Angleterre et de Hanovre, de l'Angleterre et de l'Irlande.

L'union sous un même souverain, unio personalis, peut quelquefois entraîner la perte de l'individualité d'un Etat; seulement, l'union une fois rompue, cette individualité renaît ipso facto. D'un autre côté, on conçoit que l'union crée entre les États ainsi reliés l'un à l'autre, quoiqu'ils se regardent respectivement comme étrangers, certains liens indissolubles qui les mettent dans la presque impossibilité de se faire la guerre *.

§ 46. Forte de son adhésion à l'acte général de la Conférence de Etat in de Berlin, adhésion qui, ainsi que nous l'avons fait remarquer, entraîne sa reconnaissance comme État indépendant, l'Association internationale du Congo s'est mise en mesure d'exercer les droits que lui confère cette nouvelle situation, et tout d'abord elle a cherché à se couvrir de l'autorité d'une souveraineté déjà existante.

Le 16 avril 1885, le roi des Belges annonçait au conseil des Ministres, qu'il était sollicité par les deux Chambres législatives, les

Règles, liv. 1, ch. 11; Heffter, §§ 19, 29; Klüber, Droit, § 27; Wildman, vol. I, p. 67; Halleck, ch. III, § 10; Riquelme, t. I, lib. 1, tit. 1, sec. 1, cap. v, pp. 107, 108; Merlin, Répertoire, V. Souveraineté; Vergé, Précis de Martens, t. I, pp. 115-117.

Grotius, Le droit, liv. 1, chap. III, §7; liv. 11, ch. IX, §§ 8, 9; Vattel, Le droit, liv. 1, ch. 1, § 9; Wheaton, Elém., pte. 1, ch. 11, § 16; Phillimore, Com., vol. I, § 76; Twiss, Peace, $$ 38, 40; Heffter, § 20; Klüber, Droit, § 27; Martens, Précis, § 29; Halleck, ch. 11, § 11; Bowyer, ch. 27; Bello, pte. 1, cap. 1, §5; Ortolan, Règles, liv. 1, ch. 11; Lawrence, Com., pte. 1, ch. II, § 16; Vergé, Précis de Martens, t. I, p. 116; Eschbach, Int., § 43; Pradier-Fodéré, Grotius, t. II, p. 99; Hall, International law,

principales villes du pays et un grand nombre de corporations et d'associations importantes de prendre en main l'organisation et l'administration du nouvel État fondé sur les bords du Congo; et il demandait aux Chambres législatives de Belgique, conformément à l'article 62 de la Constitution du royaume, l'assentiment nécessaire pour qu'il pût être, en même temps que roi des Belges, le souverain d'un autre État.

« Cet État, expliquait S. M., serait indépendant comme la Belgique, et jouirait, commn elle, des bienfaits de la neutralité. Il aurait à suffire à ses besoins... Sa défense et sa police reposeraient sur des forces africaines, commandées par des volontaires européens. Il n'y aurait donc entre la Belgique et l'État nouveau qu'un lien personnel. »

Ainsi il était bien compris qu'il ne s'agissait pas d'arborer le drapeau belge en Afrique; c'est un État indépendant qui se fonde, et le roi entend régir la colonie internationale, dont il sera le chef, avec des ressources et au moyen de forces qui seront exclusivement propres au nouvel État.

En tout état de cause, la Belgique devra à son « souverain la situation favorable de pouvoir, sans être exposée à aucun sacrifice, tirer parti d'une création coloniale qui paraît, d'après le sentiment général, appelée à un grand avenir ».

Aussi les deux Chambres législatives n'ont-elles pas hésité à voter une loi aux termes de laquelle « le roi des Belges est autorisé à être le chef de l'État fondé en Afrique, par l'Association intern tionale du Congo », mais à la condition expresse que « l'Union entre la Belgique et le nouvel État du Congo sera exclusivement personnelle ».

Cette loi figure en tête de la partie officielle du Moniteur belge du samedi 2 mai 1885.

Deux jours après, le roi Léopold II, en réponse à une adresse de congratulations qui lui était remise par une délégation du Conseil général de la cité de Londres, disait que : « l'État indépendant du Congo est né du désir d'abolir la traite des nègres par des moyens pacifiques, de servir en Afrique la cause de la civilisation, du commerce et de la liberté religieuse; il a pour base fondamentale la libre entrée des marchandises et des produits : jamais à ses frontières ne pourra être établi aucun droit d'entrée; sa constitution politique est exceptionnellement favorable au commerce... »

Par un tel langage le souverain ne fait qu'endosser les engagements contractés par l'Association internationale du Congo dans

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