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Rossi.

Woolsey.

Wolff.

Vergé.

Casanova.

du citoyen, excepté en tant que cela devient nécessaire pour assurer le bien de tous.

§ 131. Pellegrino Rossi se déclare également partisan du principe de la non-intervention. En cas de guerre intérieure chez une nation, il recommande aux puissances étrangères d'observer la neutralité la plus complète : « Porter secours à l'un ou à l'autre des partis en lutte, c'est, dit-il, mettre obstacle au libre développement du væu national. » Mais il ajoute que la guerrre civile n'est pas un événe- . ment isolé; c'est un fait qui se répand ordinairement au dehors, et il peut arriver qu'elle ait pour résultat immédiat de précipiter quelques-unes des puissances voisines dans de violentes perturbations, et partant d'en compromettre l'existence; dans ce cas les puissances menacées ont le droit de s'interposer pour prévenir la conflagration.

§ 132. Woolsey paraît baser la non-intervention sur la grande difficulté qu'il y a de déterminer quelle est l'intervention légitime et quelle est l'intervention illégitime. Pour lui, l'intervention, quelle qu'elle soit, ne peut se justifier que comme une mesure extrême et fondée soit sur le soin de la préservation de soi-même, soit sur un état de choses extraordinaire né de crimes commis par un gouvernement contre ses sujets; or ce cas de crimes extraordinaires commis par un gouvernement contre ses sujets n'est guère susceptible d'une définition exacte. Au surplus, si le droit d'intervention, fùt-ce en faveur de la liberté, était une fois admis, la porte serait ouverte à la participation à toutes les querelles d'autrui.

§ 133. Wolff a le premier posé nettement le principe de nonintervention, auquel il n'admet aucune exception: il estime que << s'immiscer dans ses affaires intérieures des autres de quelque manière que ce soit, c'est s'opposer à la liberté naturelle des nations, laquelle est, dans son exercice, indépendante de la volonté des autres nations les Etats qui agissent ainsi agissent par le droit du plus fort (1). »

§ 134. Vergé, dans ses notes sur le Précis du droit des gens moderne de G. Fr. de Martens, pose la non-intervention comme la vraie et seule garantie des Etats faibles contre les abus de la force. § 135. Le professeur italien Casanova déclare que « le principe de non-intervention est la liberté individuelle des Etats », et il en tire les conséquences que « tout gouvernement de fait, c'est-à-dire tout gouvernement qui existe, qui est reconnu et obéi par la nation,

(1) Wolff. Jus gentium, chap. 11, § 257.

a le droit d'être considéré et traité comme un gouvernement légitime » qu'en cas de guerre civile les puissances étrangères doivent garder la neutralité; car porter secours à l'une ou à l'autre des parties belligérantes, c'est mettre obstacle à la libre expression de la volonté nationale.

136. Un autre professeur italien, Carnazza Amari, condamne pareillement l'intervention comme prenant naissance dans la tendance qu'ont les forts de dominer les faibles et de leur imposer leur volonté, et comme ayant généralement pour résultat de porter atteinte à l'autonomie des Etats. Comme la majorité des publicistes de son pays, pour lesquels le principe de nationalité paraît être la source vitale du droit des gens, M. Carnazza Amari place dans ce principe le fondement et les limites du principe de non-intervention, parce que, dit-il, « pour qu'une nationalité existe, il est nécessaire qu'elle soit autonome, c'est-à-dire indépendante et libre, ayant l'entière disposition de son activité intérieure et extérieure. »

Carnazza

Amari,

§ 137. De Laveleye ne nie pas que le droit d'intervention puisse De Laveleye, se défendre par de très bonnes raisons; mais à ces raisons il oppose l'expérience, qui a démontré jusqu'ici que l'intervention est plus nuisible qu'utile, et qu'elle aboutit à des résultats contraires à ceux qu'on poursuit. « Les événements qui s'accomplissent dans un pays sont, dit-il, la conséquence des forces sociales qui y sont en activité. L'étranger en intervenant ne modifie point ces forces; après son départ, elles reprennent leur action comme auparavant, avec cette différence que la cause, momentanément défendue par les armes étrangères, devient plus odieuse et est plus attaquée. » Nous ne contesterons pas la justesse de cette observation; mais pareille argumentation est du domaine de la philosophie ou de l'économie politique plutôt que de celui du droit international selon la jurisprudence de ce droit, un principe se juge par les conséquences naturelles et logiques qu'il porte en soi ou qu'il doit intrinsèquement produire, et non par celles qu'on en peut tirer arbitrairement ou par l'abus qu'on en peut faire.

§ 138. Enfin, Funck Brentano et Sorel, dans leur Précis du droit des gens, refusent la qualification de droit à l'intervention; ils la rangent parmi certains actes qui sont dans la coutume des Etats, mais ne reposent pas sur le fondement du droit des gens, parmi des faits politiques résultant de la souveraineté des Etats.

<< Il n'y a pas de droit contre le droit », disent-ils; or, la souveraineté des Etats étant un principe essentiel du droit des gens,

Funck Brentano

et Sorel.

Conclusions.

par le fait même de l'intervention l'Etat intervenant manque au respect qu'il doit à la souveraineté et à l'indépendance de l'Etat dans les affaires duquel il intervient.

Toutefois, « si l'intervention ne se fonde pas sur le droit, clle peut être commandée par la nécessité. Un gouvernement peu juger qu'il est nécessaire d'intervenir dans les affaires d'un État étranger à l'intérieur duquel se produisent des événements politiques qu'il croit menaçants pour l'indépendance et la sécurité de l'État qu'il dirige. En tout cas, le gouvernement qui intervient fait acte de politique plus ou moins intelligent; mais il se soustrait aux obligations qui constituent le droit des gens en temps de paix, et il y substitue le régime de la force et de la nécessité, c'est-àdire le régime du droit des gens en temps de guerre. >>

En résumé, pour décider si une intervention est bonne ou mauvaise, les publicistes que nous mentionnons ici sont d'avis qu'il faut considérer la politique des États entre lesquels elle a lieu, et examiner dans quelle mesure les résultats de l'intervention se rapprochent ou s'écartent du respect réciproque des devoirs, des droits et des intérêts des États, s'ils le rétablissent ou s'ils le détruisent *.

§ 139. La conclusion qui ressort des diverses citations que nous venons de faire, c'est qu'il existe presque autant d'opinions différentes qu'il y a d'auteurs. Les uns admettent, approuvent l'intervention les autres le condamnent, la répudient; ceux-ci en font un droit, ceux-là y ajoutent l'idée de devoir; d'autres n'y voient qu'un simple fait, un fait brutal, ayant sa place dans l'histoire, né de certaines nécessités et se renouvelant dans certaines circons

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Heffter, Droit intern., § 44 et seq.; Grotius, Le droit de la guerre et de la paix, liv. II, chap. XXIII; Vattel, Droit des gens, liv. II, §§ 55, 56; Fiore, Nouveau droit intern., t. I, p. 207; G.-F. Martens, Droit des gens mod., t. I, p. 208; Wheaton, Elém., pte. 2, ch. 1, § 12; Klüber, droit des gens mod., § 51; Kant, Paix perpétuelle; Bello, Principios, p. 25; De Cussy, Dictionn. du diplom., p. 179; Creasy, First platform., §§ 303 et seq.; Travers Twiss, Law of nations, t. I, p. 143; Phillimore, Intern. law, pte. 4, ch. 1; Bluntschli, Le droit codifié, §§ 474 et seq.; Guizot, Mémoires, t. IV, p. 47; PradierFodéré, Princip. gén., p. 524; Seebohm, Réforme du droit des gens, p. 155; Rossi, Archives de droit, etc., t. I, p. 352; Woolsey, Introd. to the study of inter law., § 42; Vergé, Notes sur Martens, t. 1, p. 210; Casanova, Diritto intern., lezione 5, vol. I, p. 83; Carnazza Amari, Diritto intern., p. 361; De Laveleye, Des causes de guerre en Europe, p. 40; Funck Brentano et Sorel, Précis, chap. XI; George Crawshay, Diplomatid Review, vol. XX, no 3, p. 200. Hall, int. law., p. 243; F. A. Berra, Teoria de las interven ciones, Neuva Revista de Buenos-Ayres, t. V, p. 397-465.

tances identiques. Les uns élargissent, tandis que les autres resserrent le cercle des causes qui peuvent justifier ou expliquer l'intervention, selon les besoins de la doctrine qu'ils soutiennent, selon le milieu dans lequel ils se meuvent, le pays auquel ils appartiennent, l'intérêt patriotique qu'ils ont à servir.

Droit ou devoir, aucun auteur ne nous fournit des données nettes, irrefragables sur lesquelles on puisse baser des règles fixes et précises; ce n'est donc pas dans les écrits des publicistes qu'il faut chercher le fil conducteur. La multiplicité d'appréciations qu'ils nous présentent et la divergence que nous venons de signaler parmi leurs opinions, démontrent suffisamment la difficulté qu'offre le côté purement théorique du droit d'intervention. Suivant nous, on ne saurait se flatter de résoudre la question d'une manière entièrement satisfaisante, qu'en se transportant sur le terrain de la pratique, qui seul conduit à reconnaître que, si parfois on a fait dériver les interventions de calculs égoïstes ou de l'interprétation erronée d'engagements conventionnels, il est des cas d'immixtion qui reposent sur l'exercice d'un droit incontestable, et dont la tendance et l'appréciation sont logiquement et nécessairement d'accord avec les vrais principes internationaux. Cette manière de voir est pleinement confirmée par l'étude des cas d'intervention les plus importants que présente l'histoire, surtout dans les temps qui se rapprochent le plus de nous.

§ 140. Si nous remontons jusqu'à l'antiquité, nous voyons que le maintien d'un certain équilibre de puissance, comme fait, sinon comme droit, caractérisait la politique de la Grèce. La guerre du Péloponèse fut causée en réalité par l'alarme qu'inspirait aux confédérés, à la tête desquels se trouvait Sparte, l'accroissement de la grandeur d'Athènes. Plus tard c'est Athènes qui s'allie avec Sparte, son ancienne ennemie, contre Thèbes, qui commençait à devenir trop puissante.

§ 141. L'histoire extérieure de Rome n'est qu'une série d'interventions dans les affaires des autres peuples, se terminant par la conquête des pays attaqués ou secourus.

§ 142. Au moyen-âge, l'intervention apparaît à l'époque de l'Empire germanique, où la féodalité régissait non seulement les suzerains et leurs vassaux, mais aussi les empereurs et les princes feudataires, qui devaient subir la haute suzeraineté impériale avec le droit d'intervenir dans les affaires politiques qui agitaient les États soumis au vasselage. Et comme, à l'aide d'un tel système, l'autorité des empereurs s'accrut démesurément, souvent les peuples

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au XVIe et au xvne siè

cle.

Origine des interventions

XVII siècle.

indépendants étaient eux-mêmes assujettis à cette juridiction suprême.

Les Papes, de leur côté, étaient parvenus à se faire reconnaître un pouvoir supérieur à celui des rois et le droit souverain de juger les différends qui surgissaient entre les princes de la chrétienté. Ces prétentions de la papauté ont été la source de nombreuses interventions, appuyées fréquemment de la force des armes.

§ 143. Vers le seizième siècle et pendant le dix-septième, c'està-dire au début des grandes luttes de la maison d'Autriche en Allemagne et en Italie, on était venu à ne trouver de garantie de l'ordre international et du maintien de la paix publique que dans un équilibre de convention entre la puissance et l'étendue territoriale des divers États, et, comme conséquence, la pratique des interventions. dominait à peu près partout en Europe.

§ 144. Quand les intérêts politiques ou dynastiques ne suffisaient au xvi et au pas pour éveiller les ambitions ou alimenter les guerres d'agression, on cherchait des prétextes d'intervention dans ces luttes religieuses qui, du seizième siècle à la paix de Westphalie, ont accumulé tant de ruines et fait commettre tant d'attentats contre la souveraineté intérieure des États, grands ou petits. C'est ainsi que deux grands principes, l'équilibre territorial des États et l'équilibre des droits réservés aux diverses sectes religieuses, ont fondé et légitimé tantôt l'intervention de Charles-Quint et de Philippe II en faveur du parti catholique en France et en Allemagne, tantôt celle des autres puissances contre le pouvoir colossal de l'Espagne, qui menaçait de tout absorber sous sa domination en créant une sorte de monarchie universelle, un nouvel empire romain.

La paix de Westphalie ferma momentanément l'ère de ces luttes sanglantes, en imprimant aux États, dans leurs relations mutuelles, une stabilité plus grande, et en consacrant le système de la tolérance religieuse. Toutefois l'apaisement produit par cet important traité ne devait pas être de longue durée; car il est dans le caractère de toutes les solutions historiques d'être passagères, transitoires, et de ne pouvoir dominer le jeu des passions humaines. La rupture violente de la paix par Louis XIV, alluma de nouvelles guerres entre la France et l'Autriche et les États protestants de l'Allemagne, de nouvelles révolutions au centre de l'Europe et en Italie, et provoqua enfin de nouvelles interventions, fondées, ainsi que ces guerres, sur des raisons qui répugneraient aux principes du droit des gens actuel. La forme des interventions n'a rien de commun avec le principe historique qui leur sert de base, et c'est

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