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Francisco
Suarez

Francisco
Vitoria.

Un autre publiciste remarquable du seizième siècle fut le jésuite espagnol Francisco Suarez, né en 1548 et mort en 1617, qui, dans son livre de légibus ac Deo legislatore (des lois et de Dieu législateur), signala le premier la distinction existant entre le droit naturel et les principes conventionnels observés par les nations. Il comprit et démontra que le droit international se compose non seulement des principes de justice appliqués aux relations mutuelles des États, mais encore des usages observés pendant longtemps par les peuples de l'Europe dans leurs rapports internationaux et consacrés plus tard comme loi coutumière des nations chrétiennes de l'Europe et de l'Amérique *.

Un livre important fut publié vers la même époque, celui du professeur de l'Université de Salamanque, Francisco Vitoria, intitulé Theologica relectiones, et publié pour la première fois à Lyon en 1557, œuvre de théologie casuistique, dans laquelle l'auteur traite des titres que les Espagnols possédaient à la domination du nouveau continent, ainsi que des droits de la guerre. A propos des nouvelles découvertes, il défend le droit des Indiens à la propriété exclusive de leur territoire. Il nie qu'on puisse déclarer la guerre aux païens, sous prétexte qu'ils refusent d'admettre les doctrines. chrétiennes, et reconnaît seulement qu'ils sont tenus de laisser prêcher l'Évangile à ceux qui sont disposés à l'entendre. Quant aux droits de la guerre, Vitoria examine si les peuples chrétiens peuvent la faire avec une entière justice; à qui appartient le droit de la déclarer; quelles causes peuvent justifier l'exercice de ce droit et quels sont les effets qu'une guerre juste produit sur l'ennemi. Il résout la première question dans un sens affirmatif. En ce qui concerne la seconde, après avoir comparé les droits de l'individu avec ceux de l'État. il conclut que l'État a le droit non seulement de se défendre, mais encore de demander réparation pour les préjudices qu'il peut avoir éprouvés. Examinant la troisième question, il soutient que la différence de religion ne peut être considérée comme un juste motif de guerre. Il est d'avis qu'en temps de guerre, il est permis de faire tout ce qui est nécessaire pour la défense et la conservation de l'État, et que lorsque la guerre

*

Franck, Réformateurs et publicistes de l'Europe, dix-septième siècle, p. 13, 51. Wheaton, Hist., t. I, p. 33; Mackintosh, Progress., sect. 3. p. 51; Cauchy, t. II, pp. 25-28; Hallam, Int., v. II. pp. 502 et seq.; Manning. pp. 17, 18; Fiore, Nouv. droit int., t. I. pp. 32, 33; Hautefeuille, Hist.. p. 267; Halleck, ch. 1, § 14; Heffter. § 10. p. 21, note 3 ; New American cyclopædia, v. Suarez: Pradier-Fodéré, Fiore, t I. pp. 33. 34, Nys, Le Droit de la guerre, p. 186.

est juste, on peut s'emparer du territoire de l'ennemi et de ses forteresses pour le punir et l'obliger à faire la paix. Il discute ensuite la nature et la portée des actes qui constituent l'hostilité, et établit qu'on ne doit donner la mort ni aux femmes ni aux enfants, qui, même dans les guerres contre les Turcs, doivent être tenus pour innocents. Vitoria termine cette partie de son ouvrage en posant ces trois règles:

Première règle. - Que le souverain qui possède le droit de faire la guerre ne doit point chercher de prétextes pour faire naître les hostilités; il doit, au contraire, s'efforcer de vivre en paix avec tout le monde, sans jamais perdre de vue que la déclaration de guerre ne peut se justifier que par la nécessité.

Deuxième règle. -Que, lors même qu'une guerre serait juste, elle ne doit point avoir pour but la destruction complète de l'ennemi, mais seulement de lui infliger des dommages dans la mesure nécessaire pour assurer la conclusion de la paix.

Troisième règle.

Que le vainqueur doit faire usage de la victoire avec modération et humilité chrétienne*.

Conrad Brunius, savant allemand, né en 1491, mort en 1563 est l'auteur d'un ouvrage intitulé De legationibus qui parut à Mayence en 1578.

Brunius.

Domingo Soto, théologien espagnol (1494-1560) publia sous le Domingo Soto titre de De justitia et de jure un ouvrage où il se montre l'adversaire de la politique espagnole à l'égard des Indiens et de la traite des noirs.

L'ouvrage de Balthasar de Ayala, né à Anvers en 1548, mort à Alost le 1er septembre 1584, intitulé: De jure belli et officiis bellicis, est peut-être le traité le plus complet qui ait été publié à cette époque (1581) sur les principes de la guerre.

Ayala soutient que les formes à observer dans la déclaration d'une guerre sont tellement essentielles, que leur oubli empêcherait toute guerre d'être considérée comme juste. D'accord en cela avec Vitoria, il reconnaît que le pouvoir de déclarer et de faire la guerre est un droit exclusif de l'État, et que ni les rebelles ni les pirates ne peuvent être regardés comme ennemis publics. Il dit aussi que la différence de religion n'est pas une juste cause de guerre, et que les infidèles possèdent aussi bien que les chrétiens.

Wheaton, Hist., t. I, pp. 32, 33-41; Cauchy, t. II, pp. 11-21; Hallam, int., v. II, pp. 77, 78; Cantu, Hist. univ., t. XV, p. 407, Halleck, ch. I, § 14; Réal, Science, t. VIII, p. 450; Fiore, t. I, pp. 31, 32 ; Pradier-Fodéré, Grotius, t. I, p. 34; New American cyclopedia, v. Victoria; Alcorta, t. I, p. 295, Nys, Le Droit de la guerre, p. 168.

Balthasar

de Ayala

les droits de souveraineté et de domaine admis par le droit des gens. Les représailles, selon le même auteur, participent du caractère des guerres, et, partant, ne peuvent être décrétées que par le pouvoir suprême de chaque État.

En ce qui concerne les choses prises à l'ennemi et le jus postlimini, Ayala soutient que les premières appartiennent de droit au vainqueur, et il cite à cet effet les lois de l'Espagne, d'après lesquelles les terres et les maisons, ainsi que les navires de guerre capturés, deviennent la propriété de la couronne. Quant aux biens meubles, il dit que l'État doit limiter le droit, acquis aux vainqueurs, de se les approprier. Plusieurs textes de droit romain lui fournissent la preuve que les personnes pouvaient aussi devenir la propriété de l'ennemi, et que cette pratique a été longtemps en usage dans les guerres entre les chrétiens et les musulmans ; mais il est vrai qu'en vertu d'un droit de postliminium les personnes ainsi réduites en esclavage recouvraient leur liberté quand elles rentraient dans leur patrie, et que, d'après le même principe, les biens immeubles retournent à leur propriétaire, dès que les ennemis ont été repoussés du pays qu'ils occupaient.

Aux yeux d'Ayala, tout contrat passé soit avec des rebelles, soit avec des tyrans ou des usurpateurs, est radicalement et complètement nul.

Les traités internationaux sont divisés par cet auteur en trois grandes classes ou groupes, savoir:

1o Les traités dans lesquels le vainqueur impose sa loi au vaincu ;

2o Les traités de paix et d'alliance, fondés sur des conditions réciproques;

3o Les traités d'alliance entre nations qui ne se sont jamais fait la

guerre.

Ce dernier groupe peut se subdiviser en traités d'alliance à la fois défensive et offensive, en y rattachant les conventions antérieures de commerce et de navigation.

Ayala s'est occupé en outre du droit de légation: il établit que dans tous les temps, chez toutes les nations, les ambassadeurs ont été considérés comme sacrés et inviolables; il fait toutefois remarquer que ce principe ne saurait être revendiqué ni par les pirates, par les brigands, ni par les rebelles, et que le caractère seul d'ambassadeur ou d'envoyé ne suffit pas pour rendre les traîtres inviolables. C'est en appliquant ces principes au cas des deux ambassadeurs de François Ier assassinés dans le Milanais, qu'Ayala

ni

prouve que la raison et la justice étaient du côté de l'empereur, Charles-Quint *.

Albéric Gentilis, né à San Ginesio (Marche d'Ancône), le 14 janvier 1550, mort le 19 juin 1608, públia, en 1583, un traité De jure belli, dont les développements et l'esprit semblent avoir suggéré à Grotius l'idée de son ouvrage sur le même sujet ; et, en 1589, un livre sur le droit d'ambassade, De legationibus, qu'il dédia à sir Philippe Sydney, et dans lequel il discute entre autres la question de savoir si le caractère public des ambassadeurs s'étend aux États près lesquels ils ne sont pas accrédités. Gentilis résout la question négativement, et, comme Ayala, il dénie d'une manière générale aux rebelles tout droit d'ambassade; il va plus loin et soutient que, même en cas de guerre civile, le droit de représentation ne prend naissance qu'autant que les deux partis sont égaux en forces, de sorte que les rebelles puissent être regardés comme des ennemis publics. Par contre, il n'admet pas que les différences de religion affectent le droit absolu d'accréditer des agents au dehors, parce que, suivant lui, quand même deux peuples se considèreraient et se traiteraient mutuellement comme hérétiques ou schismatiques, ces peuples n'en sont pas moins soumis au règles générales du droit

des gens.

Gentilis étend les immunités des ambassadeurs aux personnes qui les accompagnent, aux biens qu'ils possèdent et aux maisons qu'ils habitent; mais il réserve à l'appréciation de la juridiction territoriale, à l'action des tribunaux civils ordinaires, tous les contrats passés pendant la durée de la mission.

Enfin il examine les qualités nécessaires à un ambassadeur; il en dresse une énumération aussi nombreuse que celle des qualités qui, pour Cicéron, constituent un orateur parfait. Ainsi il veut notamment qu'un ambassadeur soit éloquent, possède de grandes connaissances en histoire et en philosophie politique, ait de la dignité dans les manières, de la prudence et de la fermeté dans le caractère, et défende à outrance la vérité et la justice **.

* Wheaton, Hist., t. I, pp. 41-47; Cauchy, t. II, pp. 29-32; Hallam, Int., v. II, pp. 78-80; Cantu, Hist. univ., t. XV, p. 407; Grotius, Le droit, proleg., § 38; Fiore, t. I, p. 34; Halleck, ch. 1, § 14; Pradier-Fodéré, Grotius, t. I, pp. 35-36; New American cyclopædia, v. Ayala ; Nys, Le Droit de la guerre, p. 173.

**

Wheaton, Hist., t. I, pp. 49-52; Cauchy, t. II, pp. 33-38; Grotius, Le droit, proleg., § 38; Réal, Science, t. VIII, pp. 617, 618; Hallam, Int., v. II, pp. 80-82; Cantu, Hist. univ., t. XV, p. 408; Manning, pp. 18-20; Ompteda, Litt., t. I, p. 168; Kaltenborn, Die Vorläufer; Hautefeuille, Hist.,

Albéric

Gentilis.

J. de Hevia
Bolanos.

Jean Bodin.

Peckius.

Santerna.

Grot us.

Parmi les ouvrages importants sur le droit des gens qui se rapportent à cette période, nous devons citer encore la Curia philippica (Curie philippique), de l'Asturien Juan de Hevia Bolanos, qui acheva au Pérou en 1615 ce livre, où sont traitées avec beaucoup de savoir de nombreuses questions de droit commercial et maritime; - le traité de politique de Jean Bodin, paru en 1577 à Paris sous le titre De la République ; — les études du belge Peckius, Ad rem nauticam (Sur les affaires nautiques), publiées en 1556; — et le traité du Portugais Santerna, De mercatura (De la marchandise), en 1623.

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Quoi qu'il en soit, ni l'œuvre de Machiavel, ni celles de Vitoria, d'Ayala ou de Gentilis ne renferment une théorie de droit international à la hauteur de cette phase de l'histoire. Il fallait un homme capable de dominer toutes les grandes questions qui agitaient la société européenne au seizième siècle et pendant les premières années du dix-septième, un homme qui ne fût étranger ni à la religion, ni à la politique, ni à la philosophie, ni à l'histoire, et qui, de plus, sût donner de l'unité à ses idées et les systématiser. Cet homme qui devait jouer ce rôle important dans l'histoire de l'humanité, a été Hugo Grotius, né à Delft le 10 avril 1583, mort à Rostock le 28 août 1645.

Sous Louis XIII, Grotius vint en France, où il se consacra à son grand ouvrage sur le Droit de la guerre et de la paix, qui l'occupa durant dix-huit mois, c'est-à-dire depuis le commencement de l'année 1623 jusqu'au mois de juin 1624. L'impression de la première édition, dédiée à Louis XIII, fut commencée au mois de novembre de la même année et terminée en mars 1625. En 1627, le livre fut condamné par la cour de Rome.

Quelque remarquables que soient les autres ouvrages de Grotius, il faut convenir que son Droit de la guerre et de la paix est le plus important, celui qui a légué le nom de son auteur à la postérité. Sans cette œuvre remarquable, Grotius, qui a vécu dans le siècle de Scaliger, de Bellarmin, de Mariana, de Sarpi, de Bacon, de Pascal et de Hobbes, n'aurait point dépassé les limites qui séparent le publiciste ordinaire de l'homme de génie.

S'il faut en croire Ompteda, le Droit de la guerre et de la paix, adopté comme livre de texte dans toutes les universités, compta

pp. 267, 268; Fiore, t. I, pp. 36, 37; Heffter, § 10, p. 21, note 3; Vergé, Précis de Martens, t. I, p. XVI, note 1; Pradier-Fodéré, Grotius, t. I, pp. 36, 37; New American cyclopædia, v. Gentilis ; Nys, Le Droit de la guerre, p. 183; Alcorta, Curso, t. I, chap. VII.

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